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– Oui… je sais… vous avez des espions partout, et il semble que vous en ayez jusque dans le cœur des hommes… mais je ne vous fuyais pas… car vous êtes la Mort… et je ne fuis pas la mort!…

Un sourire livide glissa sur les lèvres de Fausta, qui continua:

– Remarquez encore, Farnèse, que je suis venue seule. Aucune escorte n’est apostée dans le voisinage. En sorte que vous pourriez facilement me tuer… vous me tueriez peut-être?

Le cardinal leva sur elle des yeux sans colère, d’une étrange clarté.

– Oui, dit-il, je vous tuerais! Je profiterais de cette folie qui vous fait vous livrer à moi!…

– J’en suis bien sûre, dit Fausta. Mais je vous ai dit que j’avais à vous entretenir de Léonore…

Farnèse tressaillit de la tête aux pieds.

– Et c’est cela, acheva Fausta, qui fait que votre poignard ne sort pas du fourreau. C’est cela qui fait que nous allons pouvoir nous dire paisiblement des choses nécessaires à notre commun bonheur.

– Il n’est plus de bonheur pour moi, dit le cardinal.

– Qu’en savez-vous?… Jeune encore, un rayon d’amour peut faire fondre cette glace qui pèse sur votre cœur… Que Léonore revienne à la santé… à la raison… qu’elle vous pardonne le passé… que vous soyez relevé de vos vœux religieux, et voilà le bonheur qui commence pour vous!…

Le cardinal écoutait en frémissant. Un immense étonnement le stupéfiait, le paralysait… et dans cet étonnement, il y avait une lueur d’espérance!…

– Revoir Léonore! murmura-t-il.

Un éclair illumina l’œil noir de Fausta.

Elle comprit qu’elle venait de porter au cardinal un coup décisif. Cet homme était donc encore ce qu’il avait toujours été… le faible qui n’ose prendre une décision, l’irrésolu qui se laisse ballotter au gré des événements comme une épave par les flots de la vie…

Et c’était un Farnèse!… C’est-à-dire un membre de cette famille d’aigles qui avait étonné l’Italie par son audace, par sa magnificence et parfois son génie… c’est-à-dire un parent de cet Alexandre Farnèse qui, à ce moment même, exécutait pour le compte de Philippe d’Espagne une des expéditions les plus hardies que seuls les éléments déchaînés devaient faire avorter.

Le cardinal était bien toujours l’homme dont Fausta connaissait admirablement la faiblesse. Elle savait que, quelle que fût sa destinée, Farnèse courberait la tête, ne se révolterait pas contre le malheur… elle savait qu’il y avait en lui une sorte de fatalisme à la façon des anciens qui disaient:

– Il est inutile et dangereux d’essayer d’échapper aux décrets du Destin…

– Cardinal, reprit Fausta, je n’essayerai pas de vous écraser sous une générosité qui n’existe pas; si je vous ai laissé vivre, si je viens à vous, si je vous propose de vous faire libre, de faire tomber la barrière qui vous sépare de Léonore, si je vous offre de vous la rendre et de vous rendre votre fille, c’est que j’ai besoin de vous. Avec un homme tel que vous, Farnèse, dans les circonstances graves où je me trouve, rien ne peut nous sauver tous deux qu’une franchise, une sincérité, une loyauté dignes de vous et de moi…

– Violetta! murmura Farnèse ébloui!… Léonore et Violetta!… Toute ma vie!…

Et une espérance plus ferme, plus lucide rentra dans ce cœur. Car il connaissait l’orgueil et l’ambition de Fausta, et il fallait qu’elle eût en effet bien besoin de lui pour parler comme elle venait de faire.

– Parlez, madame, dit-il d’une voix frémissante, et s’il ne faut que de la loyauté pour atteindre au bonheur que vous me laissez entrevoir…

– Il faut aussi du courage… exposer votre vie peut-être…

– Ah! s’il ne faut que risquer ma vie, moi qui ai risqué le salut de mon âme… à quoi ne m’exposerai-je pas si seulement je puis espérer sinon d’effacer le passé inoubliable, du moins de donner un peu de bonheur à ces deux êtres que j’adore!

– Eh bien, dit Fausta, j’ai besoin de vous, Farnèse! Voilà la vérité… Tandis que je suis ici, tandis que je prépare les grands événements que vous connaissez, Sixte, rentré en Italie, travaille avec sa prodigieuse activité… Notre plan initial qui était d’attendre la mort de ce vieillard pour nous déclarer, ce plan est renversé… D’abord, Sixte ne meurt pas! Ensuite, ce qui se passe en Italie nous oblige à précipiter les choses… En France, tout va bien… Guise est docile… Guise a repris l’énergie nécessaire… Valois va succomber et bientôt ce royaume aura le roi de notre choix.

Farnèse écoutait avec une attention profonde. L’abandon avec lequel Fausta lui faisait part de pareils secrets lui était un garant de sa sincérité. Et sa simplicité de parole et d’attitude la rapprochait du cardinal en la faisant plus humaine.

– Donc, continua Fausta, ici, en France, Dieu se déclare pour nous…

– C’est donc en Italie que ma faible puissance pourrait vous être utile?…

– Oui, Farnèse. L’Italie m’échappe. Plusieurs de nos cardinaux ont fait leur soumission au Vatican. Une grande quantité d’évêques demeurent dans l’attente, prêts à se retourner contre moi au premier coup qui me frappera. Quant aux prêtres qui feignent d’ignorer les engagements qu’ils ont pris, et dédaignent même de répondre à mes messagers, ils sont innombrables… Or, c’est vous, Farnèse, qui aviez entraîné la plupart de ces évêques et de ces cardinaux… C’est lorsqu’ils vous ont su séparé de moi qu’ils ont tourné leur sourire vers le vieux Sixte.

Un profond soupir de sourde joie souleva la poitrine du cardinal. Oui, tout cela était vrai! Tout cela, lui-même l’avait prévu! Fausta avait bien réellement besoin de lui, et elle était prête à tous les sacrifices pour s’assurer son aide!…

– Voici donc ce que je suis venue vous demander… Vous me direz si vous vous sentez de taille à accomplir une telle mission, et je vous dirai ensuite tout ce que je puis faire pour votre bonheur… Il s’agirait, cardinal, de vous rendre en Italie, de voir les hésitants, et surtout ceux qui se déclarent contre nous. Vous avez sur eux une autorité, un ascendant qu’ils ont tous reconnu. Pour les faire rentrer dans le devoir, je m’en rapporte aux arguments que vous trouverez dans votre grand cœur, vous qui avez pu les décider une fois déjà!… Mais pour frapper leurs esprits d’une terreur salutaire, vous leur direz ce qui est la stricte et impitoyable vérité…

Ici, Fausta s’arrêta comme si elle eût eu quelque hésitation.

– Parlez, madame, dit Farnèse, parlez sans crainte: même si nous devons être ennemis, les secrets sacrés que vous me confiez demeureront liés dans mon cœur comme dans une tombe jusqu’à l’heure où je devrai m’en servir pour vos intérêts.

– Eh bien!, s’écria Fausta emportée par un mouvement de passion qui eût achevé de convaincre Farnèse s’il ne l’eut été déjà, dites-leur donc, à ces prêtres orgueilleux et rebelles, dites-leur d’abord ce que vous savez déjà: qu’Henri de Valois va mourir! qu’Henri 1er de Lorraine va être roi de France… qu’il va répudier Catherine de Clèves… que je serai, moi, la reine de ce grand et puissant royaume!… Mais dites-leur aussi une chose que vous ignorez… Alexandre Farnèse a préparé et réuni dans les Pays-Bas une armée, la plus forte, la plus terrible qu’on ait vue depuis la grande armée de Charles-Quint!… Ces troupes devaient être embarquées à bord des vaisseaux de Philippe d’Espagne pour être jetées en Angleterre… Une tempête a détruit l’Invincible Armada… Mais Alexandre Farnèse demeure avec son armée intacte puisqu’elle n’a pu être embarquée… Et maintenant, écoutez! Alexandre, sur un signe de moi, est prêt à entrer en France… il attend… et dès que Valois sera mort, ses troupes, comme un torrent, viendront se joindre aux troupes de la Sainte Ligue [4]… Vous savez l’admiration et la terreur que le nom d’Alexandre Farnèse inspire en Italie… Dites-leur donc qu’il m’est tout dévoué! Que ce torrent, je le précipiterai sur l’Italie! que j’en dirigerai à mon gré la course et les ravages! Malheur! malheur aux insensés qui auront appelé sur eux ce nouveau fléau de Dieu!…

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[4] Projet historique. Alexandre Farnèse était réellement prêt à entrer en France. (Note de M. Zévaco).