– Dites à Sa Majesté, répondit-il, que je la remercie de l’audience qu’elle veut bien m’accorder et que je m’y trouverai à l’heure dite. Mais dites-lui que je ne la remercie pas d’avoir choisi un messager tel que vous…
Villequier était en effet aussi haï et détesté des Guisards que d’Épernon lui-même.
– Je ferai votre commission, monsieur le duc, dit-il simplement, avec un mince sourire.
Là-dessus, Guise et ses gens se dirigèrent vers l’hôtellerie du Soleil-d’Or, sise aux bords de ce bras de l’Eure qui traverse la ville, tandis que l’autre bras coule hors des murs. Quant au cardinal de Guise, quant à Mayenne, ils s’y étaient rendus directement et ne s’étaient pas montrés depuis l’entrée de la procession à Chartres. Au moment où Guise et ses gentilshommes entraient dans l’hôtellerie, Maurevert saisit le bras de Maineville près de lui, et lui montrant une figure dans la foule, lui dit en pâlissant:
– Regarde!…
– Qu’est-ce? fit Maineville insoucieux.
– Non, ce n’est pas lui! reprit alors Maurevert en passant la main sur son front… mais il m’a semblé d’abord que c’était Pardaillan…
Le duc entendit ces mots et tressaillit.
– Où est-il? demanda-t-il d’une voix basse et rauque.
– Il est mort! répondit quelqu’un près de lui. Ne vous en inquiétez plus!…
Guise, Maineville, Bussi-Leclerc, Maurevert, d’un même mouvement, se retournèrent et virent la duchesse de Montpensier qui souriait. Elle fit signe à Guise de la suivre.
– Pardieu! grogna Bussi-Leclerc, s’il est mort, il n’y a pas longtemps! Le duc, troublé, avait marché jusqu’à l’appartement qui lui était destiné, entraîné par sa sœur.
– Mon frère, lui dit celle-ci quand ils furent seuls, vous devez cesser désormais de vous enquérir de ce Pardaillan, qui plus que de raison vous a mis la cervelle à l’envers.
– Vous dites qu’il est mort? Comment le savez-vous?
– Je le sais par celle qui sait tout, qui jusqu’ici ne s’est jamais trompée, ne nous a jamais trompés…
– Fausta? fit le duc en tressaillant.
– Voici ses paroles: «Dites au duc que Pardaillan est mort; et s’il s’étonne, ajoutez que c’est moi qui l’ai tué.» Voilà les paroles que je devais vous répéter dès que vous seriez entré dans Chartres.
– Et depuis que nous sommes dans Chartres, elle ne vous a rien dit?
– Elle vient de me confirmer la chose.
Guise demeura pensif. Bussi-Leclerc s’était-il trompé?… Mais après tout, Bussi-Leclerc n’avait pas vu Pardaillan; il l’avait entendu seulement. Non, Fausta ne se trompait jamais! Sans doute, elle savait que Pardaillan était dans la procession. Sans doute elle avait établi quelque piège où cette nuit même le chevalier était tombé. Pardaillan avait donc été tué par les gens de Fausta au cours de la dernière nuit, après sa rencontre avec Leclerc.
Guise dissimula soigneusement ses impressions. Mais le profond soupir qui lui échappa prouva à sa sœur quel soulagement il éprouvait de cette nouvelle.
– Laissons cela, reprit-il. Que cet aventurier soit mort ou vif, la question est de maigre importance. Où est l’homme?
– Dans Chartres, répondit tranquillement la duchesse. Il est venu avec la procession.
Quelle que fut l’insensibilité de Guise, il ne put s’empêcher de frissonner à la pensée que l’assassin d’Henri III avait voyagé avec lui et qu’à cette heure même, le moine s’apprêtait à porter le coup mortel au roi.
– Êtes-vous prêt, mon frère? reprit Marie de Montpensier.
– Prêt?… Qu’entendez-vous par là? fit le duc en frémissant. Je ne veux, d’aucune façon, être mêlé à ce qui va se passer. Je suis perdu si jamais on apprend…
– Soyez donc tranquille! La mort du roi ne sera qu’un de ces accidents que Dieu permet parfois, que l’histoire enregistre aveuglément et que les peuples accueillent comme des événements de délivrance. Nul ne saura. Jacques Clément lui-même ne sait pas. Seulement soyez prêt, mon frère!…
– Quand aura lieu… l’accident?
Marie de Montpensier regarda fixement son frère et répondit:
– Demain!…
Le duc tressaillit, passa la main sur son front et murmura:
– Si tôt!…
– Le plus tôt est le mieux, fit sourdement la duchesse dont le visage si riant d’ordinaire prit une effrayante expression de haine. Les jours de Valois sont comptés. À quoi bon prolonger son agonie et la nôtre?
– Oui, oui, vous avez raison… balbutia le duc.
– Demain, après l’audience, Valois se rendra à la cathédrale, en procession, les pieds nus, un cierge à la main et couvert d’un sac. C’est un vœu qu’il a fait s’il se réconciliait avec Paris. Or, demain la réconciliation sera parfaite. Le moine marchera près du roi, car dans ces processions, il est accessible à tous. Le coup lui sera porté devant la cathédrale. Vous, cependant, vous réunirez hors des murs ce que vous avez de gentilshommes et de ligueurs… le reste vous regarde!
Marie de Montpensier s’enveloppa alors d’une capuche qu’elle rabattit sur sa tête, fit un dernier signe à son frère et, étant sortie, retrouva dehors deux gentilshommes qui se mirent à l’escorter: c’étaient deux de ces cavaliers qui pendant le voyage de Paris à Chartres avaient entouré la mystérieuse litière qui marchait en queue de la colonne.
Quant au duc de Guise, ayant fait appeler Mayenne et le cardinal, il conféra longtemps avec eux. Puis, vers le soir, il se mit à table, et voulut que Maurevert, Leclerc et Maineville prissent place à ses côtés. Et malgré la gravité de la situation, malgré l’acte terrible qui se préparait dans l’ombre, ce fut encore de Pardaillan qu’ils causèrent. Bussi-Leclerc se rappela fort à propos que le chevalier lui avait dit:
– Je n’arriverai peut-être pas jusqu’à Chartres!…
Il ne fallait plus en douter: Pardaillan était mort et bien mort.
– Ma foi, je le regrette! fit Maineville. J’eusse eu plaisir à le lier sur une aile de moulin.
– Moi aussi, dit Bussi-Leclerc.
Quant à Maurevert, il se contenta de sourire.
Vers cette heure-là, et comme la nuit tombait, celui qui faisait l’objet, de ces pensées railleuses ou sinistres dînait tranquillement avec le duc d’Angoulême dans une petite auberge, à une table accotée contre une fenêtre basse. En face de l’auberge se dressait un de ces mornes hôtels comme on en voit encore à Chartres et, de temps à autre, Pardaillan, soulevant les rideaux de la fenêtre, jetait un rapide coup d’œil sur la façade de l’hôtel où tout était éteint et clos.
– À qui appartient cet hôtel? demanda Pardaillan à la servante, en soulevant encore une fois le rideau.
La servante s’arrêta de marcher, regarda, sourit et dit:
– Cet hôtel?… Ah! dame… il appartient comme qui dirait à personne. C’est-à-dire, dans les temps jadis, c’était l’hôtel des sires de Bonneval, à ce qu’on dit du moins. Mais depuis que je vis, et il y a vingt-neuf ans de cela, je n’ai jamais vu personne entrer là-dedans, jamais la porte ou les fenêtres s’ouvrir.
– Oui, murmura Pardaillan, mais en ce moment, des gens sont rassemblés là-dedans. Et je voudrais bien savoir ce qu’ils font…
– Que voulez-vous qu’ils fassent, cher ami? grommela le duc d’Angoulême. Que voulez-vous qu’ils fassent, si ce n’est de conspirer quelque mauvais coup, puisque c’est la Fausta qui les a assemblés là?…