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– Calomnie odieuse et sacrilège! Crime de lèse-majesté! tonna Fausta indignée.

Et à demi redressée, les poings crispés sur les bras de son fauteuil, l’œil fulgurant, avec une violence qui fit passer le frisson de la malemort sur plus d’une nuque:

– Le blasphémateur qui, sous une influence diabolique, oserait salir d’une aussi vile et basse accusation la mémoire vénérée de la défunte reine, mériterait d’avoir la langue arrachée, d’être démembré vif, lambeau par lambeau, et sa charogne, indigne de sépulture, jetée en pâture aux pourceaux!

Pardaillan sourit.

– Allons, grommela-t-il, je retrouve la tigresse! Douceur, tolérance, mansuétude, sont des sentiments qui ne pouvaient s’accorder longtemps avec sa férocité naturelle.

Les conjurés, eux, se regardaient avec effarement. Que voulait dire ceci? Était-ce une trahison? Parlait-elle sérieusement et où voulait-elle en venir, enfin? Sans paraître remarquer les effets de sa violence, Fausta continua:

– Nous avons en main des documents d’une authenticité incontestable. Ces documents portent la signature et le cachet de nombreux dignitaires de la cour. Voici l’énumération d’une partie de ces documents: premièrement, attestation de médecins et de la première femme de chambre de la reine, comme quoi Sa Majesté était en état de grossesse en l’année 1568, année de sa mort; secondement, attestation desdits médecins et de ladite femme de chambre qui aidèrent à la délivrance de la reine; troisièmement, attestation de la naissance d’un infant; quatrièmement, attestation d’un prince de l’Église, lequel ondoya, à sa naissance, ledit enfant. Je ne cite que les plus importants. Toutes ces pièces, et d’autres encore démontrent jusqu’à la plus complète évidence que celui que nous avons choisi est bien légitimement le fils de la reine Isabelle, épouse légitime de S. M. Philippe, roi d’Espagne. Le père de l’enfant n’est pas cité. Mais il va de soi que le père ne peut être que l’époux de la mère, lequel n’a cessé de témoigner publiquement de son estime pour sa défunte épouse. L’enfant dont il est question est donc bien le fils aîné du roi actuel et, comme tel, l’unique héritier de ses États et de ses couronnes. Celui qui osera soutenir le contraire encourra le châtiment réservé aux régicides. Voilà, messieurs, la vérité claire et lumineuse, vérité dont nous pourrons étaler au grand jour les preuves irréfutables. C’est cette vérité qu’il vous faut, dès aujourd’hui, répandre dans la foule: «L’enfant, abandonné ou volé, est fils du roi et de la reine Isabelle.»

– Le roi niera cette paternité.

– Trop tard! fit Fausta d’une voix rude. Les preuves abondent. Elles convaincront les plus incrédules. La foule, messieurs, est simpliste. Elle ne comprendra pas, elle n’admettra pas que le roi ait attendu vingt ans pour porter une accusation d’adultère – car son désaveu de paternité tendrait à cela – contre une épouse dont il a toujours proclamé les vertus.

– Il peut s’obstiner contre toute évidence.

– Nous ne lui en laisserons pas le temps, déclara Fausta avec un geste d’une éloquence terrible. Et quand au reste, des juristes savants, des casuistes subtils démontreront, avec textes à l’appui, la force et la valeur de ce prince de droit romain: Is pater est quem nuptiæ demonstrant. Ce qui, en langage vulgaire, signifie: l’enfant conçu pendant le mariage ne peut avoir pour père que l’époux.

«Oh! diable! pensa Pardaillan, je n’aurais jamais trouvé celle-là, moi. Forte! très forte décidément!»

C’était aussi le sentiment des conjurés, qui avaient enfin compris où elle voulait en venir et qui saluèrent ses paroles par des acclamations folles.

Imperturbablement, Fausta insista:

– Il faut donc, dès maintenant, combattre de toutes vos forces et détruire à tout jamais cette légende d’un fils de don Carlos et de la reine Isabelle. Il n’y a, il ne peut y avoir qu’un fils du roi Philippe, lequel fils, par droit d’aînesse, succède à son père. Cette vérité reconnue et admise, il n’y aura ni contestation ni opposition le jour où l’héritier présomptif montera sur le trône laissé vacant par son père.

Il faut rendre cette justice aux auditeurs de Fausta: nul ne protesta, nul ne s’indigna. Tous, sans hésiter, acceptèrent ces instructions et se firent complices. Avec une unanimité touchante, le plan de la future reine d’Espagne fut adopté. Chacun s’engagea à répandre dans le peuple les idées qu’elle venait d’exposer.

Il fut entendu que si le roi – chose improbable, car on ne lui en laisserait pas le temps – si le roi protestait, l’infant aurait été écarté par suite d’on ne savait quelle aberration. La même, sans doute, qui lui avait fait écarter le premier infant, don Carlos, qu’il avait fini par faire arrêter et condamner. Et en exploitant habituellement ces deux abandons aussi inexplicables qu’injustifiés, on pourrait parler de folie.

Si le roi n’avait pas le temps de protester, c’est-à-dire s’il était doucement envoyé ad patres avant d’avoir pu élever la voix, le futur Charles VI aurait été enlevé au berceau par des criminels, qu’on retrouverait au besoin. Le roi, naturellement, n’aurait jamais cessé de faire rechercher l’enfant volé. Et l’émotion, la joie d’avoir enfin miraculeusement retrouvé l’héritier du trône, auraient été fatales au monarque affaibli par la maladie et les infirmités, ainsi que chacun le savait.

Ces différents points étant réglés:

– Messieurs, dit Fausta, préparer l’accès du trône à celui que nous appèlerons Carlos, en mémoire de son grand-père, l’illustre empereur, c’est bien. Encore faut-il qu’on ne l’assassine pas avant. Il nous faut parer à cette redoutable éventualité. Je vous ai dit, je crois, que l’assassinat serait perpétré au cours de la corrida qui aura lieu demain lundi, car nous voici maintenant à dimanche. Tout a été lentement et savamment combiné en vue de ce meurtre. Le roi n’est venu à Séville que pour cela. Il faudra donc vous trouver tous à la corrida, prêts à faire un rempart de vos personnes à celui que je vous désignerai et que vous connaissez et aimez tous, sans connaître sa véritable personnalité. Il faudra, sans hésiter, risquer vos existences pour sauver la sienne. Amenez avec vous vos hommes les plus sûrs et les plus déterminés. C’est à une véritable bataille que je vous convie, et il est nécessaire que le prince ait autour de sa personne une garde d’élite uniquement occupée de veiller sur lui En outre, il est indispensable d’avoir sur la place San-Francisco, dans les rues adjacentes, dans les tribunes réservées au populaire et dans l’arène même, le plus grand nombre de combattants possibles. Les ordres définitifs vous seront donnés sur ce que je n’hésiterai pas à appeler le champ de bataille. De leur exécution rapide et intelligente dépendra le salut du prince, et partant l’avenir de notre entreprise.

Ces dispositions causèrent une profonde surprise aux conjurés. Il leur parut évident qu’il n’était pas question d’une échauffourée insignifiante, d’une bagarre sans importance, mais bien d’une belle et bonne bataille comme elle l’avait dit.

La perspective était moins attrayante. Mais quoi? Obtient-on rien sans risques et périls?

Puis, pour tout dire, si ces hommes étaient pour la plupart des ambitieux sans grands scrupules, ils étaient tous des hommes d’action, d’une bravoure incontestable. Le premier moment de stupeur passé, leurs instincts guerriers se réveillèrent. Les épées jaillirent comme d’elles-mêmes hors des fourreaux et comme s’il eût fallu charger à l’instant même. Vingt voix ardentes crièrent: