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– Bataille! bataille!

Fausta comprit que si elle les laissait faire, dans leur ardeur guerrière, ils oublieraient totalement qu’ils avaient un but bien déterminé à atteindre. Elle refréna leur ardeur d’une voix rude:

– Il ne s’agit pas, dit-elle, d’échanger stupidement des coups. Il s’agit de sauver le prince. Il ne s’agit que de cela pour le moment, entendez-vous?

Et avec un accent solenneclass="underline"

– Jurez de mourir jusqu’au dernier, s’il le faut, mais de le sauver, coûte que coûte. Jurez!

Ils comprirent qu’ils s’étaient emballés et, d’une seule voix:

– Nous jurons! crièrent-ils en brandissant leurs épées.

– Bien! dit gravement Fausta. À lundi donc, à la corrida royale.

Elle sentait qu’il n’y avait pas à douter de leur sincérité et de leur loyauté. Ils marcheraient tous bravement à la mort s’il le fallait. Mais Fausta ne négligeait aucune précaution. De plus elle savait que, si grand que soit un dévouement, un peu d’or répandu à propos n’est pas fait pour le diminuer, au contraire.

D’un air détaché elle porta le coup qui devait lui rallier les hésitants, s’il y en avait parmi eux, et redoubler le zèle et l’ardeur de ceux qui lui étaient acquis.

– Dans une entreprise comme celle-ci, dit-elle, l’or est un adjuvant indispensable. Parmi les hommes qui vous obéissent, il doit s’en trouver à coup sûr un certain nombre qui sentiront redoubler leur audace et leur courage lorsque quelques doublons seront venus garnir leurs escarcelles. Répandez l’or à pleines mains. Ne craignez pas de vous montrer trop généreux. On vous l’a dit tout à l’heure, nous sommes fabuleusement riche. Que chacun de vous fasse connaître à M. le duc de Castrana la somme dont il a besoin. Elle lui sera portée à son domicile demain. La distribution que vous allez faire se rapporte exclusivement au combat de demain. Par la suite il sera bon de procéder à d’autres largesses. Les sommes nécessaires vous seront remises au fur et à mesure des besoins. Et maintenant, allez, messieurs, et que Dieu vous garde.

Fausta omettait volontairement de leur parler d’eux-mêmes. Elle savait bien qu’ils ne s’oublieraient pas, eux, le proverbe qui dit que charité bien ordonnée commence par soi-même ayant été vrai de tous les temps. En agissant ainsi elle évitait de froisser des susceptibilités à effaroucher. Mais elle put lire sur tous les visages devenus radieux combien son geste généreux était apprécié à sa valeur.

Ayant dit, elle les congédia d’un geste de reine et fit un signe imperceptible au duc de Castrana, lequel alla incontinent se placer près de l’ouverture par laquelle ils étaient bien obligés de sortir tous, puisqu’il n’y en avait pas d’autre – du moins pas d’autre apparente.

Au geste de congé de celle qui, après s’être révélée souveraine par l’autorité, se montrait doublement souveraine par la générosité plus que royale, les conjurés répondirent par des acclamations et chacun fit ses préparatifs de départ en répétant:

– À la corrida, demain.

Le départ se fit lentement, un à un, car il ne fallait pas éveiller l’attention en se montrant par groupes dans les rues de la ville, non encore éveillée.

Le duc de Castrana recueillait et notait sur des tablettes le chiffre que lui donnait chacun avant de s’éloigner. Il échangeait quelques mots brefs avec celui-ci, faisait une recommandation à celui-là, serrait la main de cet autre et chacun se retirait ravi de son urbanité car personne ne doutait que, sous le nouveau régime, il ne deviendrait un puissant personnage, et chacun aussi s’efforçait de se concilier ses bonnes grâces.

Pendant ce temps Fausta, demeurée seule sur l’estrade, n’avait pas bougé de son fauteuil et semblait surveiller de loin la sortie de ces hommes qu’elle avait su faire siens grâce à son habileté et à sa générosité.

Pardaillan ne la quittait pas des yeux, et sans doute avait-il appris à lire sur cette physionomie indéchiffrable, ou peut-être était-il servi par une intuition mystérieuse, car il murmura:

– La comédie n’est pas finie, ou je me trompe fort. Ceci me fait l’effet d’un temps de repos et je serais fort étonné qu’il n’y eût pas une deuxième séance. Attendons encore.

Ayant ainsi décidé il mit à profit le temps, assez long, du départ de conjurés et se retourna vers le Chico.

Le nain avait attendu très patiemment sans bouger de sa place. Ce qui se passait derrière ce mur le laissait parfaitement indifférent, et même il se demandait quel intérêt pouvait trouver son compagnon à écouter ces sornettes de conspirateurs.

Quant à lui, Chico, s’il était à la place du seigneur français, il savait bien qu’il serait déjà loin de ces lieux où on avait voulu le faire périr d’une mort lente et atroce. Mais l’ascendant que Pardaillan avait pris sur lui était déjà tel qu’il se serait bien gardé de se permettre la plus petite observation. Si le seigneur français restait, c’est qu’il le jugeait utile et il n’avait qu’à attendre qu’il lui plût de s’en aller.

C’est ce qu’il avait fait et tandis que Pardaillan écoutait et regardait, lui s’était replongé dans ses rêves d’amour. Si bien que le chevalier dut le secouer, croyant qu’il s’était bonnement endormi.

Donc, en attendant que le dernier conjuré se fût éloigné, Pardaillan se mit à causer avec le Chico, non sans animation. Et sans doute s’était-il avisé de demander quelque chose d’extraordinaire, car le nain, après avoir montré un ébahissement profond, s’était mis à discuter vivement comme quelqu’un qui s’efforce d’empêcher de commettre une sottise.

Sans doute Pardaillan réussit-il à le convaincre, et obtint-il de lui ce qu’il désirait, car lorsqu’il se mit à regarder par l’excavation, il paraissait satisfait et son œil pétillait de malice.

Fausta maintenant était seule. Le dernier conjuré s’était retiré, et cependant elle restait calme et majestueuse, dans son fauteuil, semblant attendre on ne savait quoi ou qui. Tout à coup, sans que Pardaillan pût dire par où elle était venue, une ombre surgit de derrière l’estrade et vint silencieusement se placer devant Fausta. Puis une deuxième, une troisième, jusqu’à six ombres surgirent de même et vinrent se ranger, debout, devant Fausta.

Pardaillan, parmi ceux-là, reconnut le duc de Castrana, et aussi le familier qu’il avait jeté hors du patio: Cristobal Centurion, dont il savait le nom maintenant.

Le sourire de Pardaillan s’accentua.

– Pardieu! murmura-t-il, je savais bien que tout n’était pas fini.

– Messieurs, commença Fausta de sa voix grave, j’ai demandé à M. le duc de Castrana de me désigner quatre des plus énergiques et des plus décidés d’entre vous tous. Il vous connaît tous. S’il vous a choisis, c’est qu’il vous a jugés dignes de l’honneur qui vous est réservé. Je n’ai donc qu’à ratifier son choix.

Les quatre désignés s’inclinèrent profondément et attendirent. Fausta reprit en désignant Centurion:

– Celui-ci a été choisi directement par moi parce que je le connais. Il est à moi corps et âme.

Salut de Centurion ressemblant à une génuflexion.

– Vous tous ici présents, vous serez les chefs des chefs qui viennent de sortir. À part don Centurion qui reste attaché à ma personne, vous recevrez les ordres de M. le duc de Castrana, qui devient ainsi le chef suprême.