Выбрать главу

Grave révérence du duc.

– Vous composerez notre conseil et vous aurez chacun la haute main sur dix chefs et sur leurs troupes. À dater de maintenant, vous faites partie de notre maison et je pourvoirai à tous vos besoins. Nous réglerons ces questions secondaires plus tard. Pour le moment, je tiens à vous dire ceci: je compte sur vous, messieurs, pour que vos hommes n’oublient pas un instant que ce qui importe avant tout, c’est de sauver le prince dont nous ferons un roi. À vous je dis, séance tenante, ce prince vous le connaissez. Il est célèbre dans l’Andalousie. On le nomme don César.

– Le Torero! s’exclamèrent les cinq.

– Lui-même. Vous connaissez l’homme. Pensez-vous qu’il soit à la hauteur du rôle que nous voulons lui faire jouer?

– Oui, par le Christ! C’est une vraie bénédiction du ciel que ce soit justement celui-là le fils de don Carlos. Nous ne pouvions rêver chef plus noble, plus généreux, plus brave! s’écria le duc de Castrana, avec une sorte d’enthousiasme.

– Bien, duc. Vos paroles me rassurent, car je vous sais très réservé dans vos admirations. Je dois vous avouer que je connais peu le prince. Je sais qu’on parle de lui comme d’une manière de Cid dont on se montre très glorieux. Mais je me demandais, non sans inquiétude, s’il aurait assez d’intelligence pour me comprendre, assez d’ambition pour adopter mes idées et les faire siennes. En un mot, si nous arriverions facilement à nous entendre. Car pour ce qui est de sa bravoure, elle ne saurait être mise en doute.

Avec un peu plus de perspicacité, le duc et les cinq hommes qui l’entouraient eussent pu se demander justement comment cette princesse avait pu parler de son mariage certain avec un homme qu’elle ne connaissait même pas.

Ils n’y pensèrent pas. Ou s’ils y pensèrent, comme elle ne leur paraissait pas femme à s’avancer à la légère, ils durent supposer qu’elle disposait de moyens connus d’elle seule pour amener le prince à accepter cette union.

Quoi qu’il en soit, le duc se contenta de dire:

– Le Torero, c’est un fait connu, a des idées qui se rapprochent sensiblement des nôtres, et s’il est une chose qui nous étonne, c’est qu’il ne soit pas déjà venu à nous. Pour ce qui est de vos inquiétudes, je crois fermement qu’elles seront dissipées dès que vous aurez eu un entretien avec le prince. Il est impossible qu’avec un caractère tel que le sien il ne soit pas ambitieux. Nul doute, pour moi, que vous ne vous entendiez à merveille.

– J’en accepte l’augure. Mais, duc, n’oubliez plus qu’il n’y a pas, qu’il ne peut y avoir de fils de don Carlos. Il ne peut y avoir qu’un fils légitime du roi. Don César, puisqu’ainsi on le nomme, est ce fils… Il importe essentiellement que vous soyez tous pénétrés de cette vérité si vous voulez la propager efficacement. Pour convaincre les incrédules, pour leur parler avec la persuasion nécessaire, il n’est rien de tel que de paraître sincère et convaincu soi-même. Cette sincérité, vous l’obtiendrez en vous habituant à considérer, vous-mêmes, comme une vérité absolue, ce que vous voulez faire pénétrer dans l’esprit des autres.

– C’est vrai, madame. Soyez assurée que nous n’oublierons pas vos recommandations.

Fausta approuva de la tête et reprit:

– Pour l’exécution de vastes desseins il me faut des hommes d’élite et c’est pourquoi je vous ai pris à part. Il faut que ces hommes sachent être des chefs énergiques envers les troupes qu’ils auront à commander, audacieux et résolus dans l’exécution des ordres reçus.

– Sur ce point, madame, je crois pouvoir vous affirmer que vous aurez toute satisfaction avec nous, fit le duc au nom de tous.

– Je le crois, dit froidement Fausta. Mais, en même temps, il faudra que ces hommes consentent à rester entre mes mains des instruments passifs.

Centurion ne broncha pas. Il savait à quel redoutable antagoniste ils avaient affaire. Il avait été dompté.

Mais les autres se regardèrent quelque peu déconfits. Évidemment ils ne s’attendaient pas à semblable exigence. Et le ton sur lequel cela avait été dit dénotait une résolution que rien ne saurait fléchir.

Fausta devina leur pensée. Elle reprit:

– Évidemment, cela est dur, surtout pour des hommes de votre valeur. Il est nécessaire pourtant qu’il en soit ainsi. J’entends rester le cerveau qui pense. Vous serez les membres qui exécutent. Votre rôle, ne l’oubliez pas, sera néanmoins assez important pour vous valoir honneurs et gloire. Si vous acceptez, la destinée qui vous attend dépassera en splendeur ce que vos rêves les plus fous auront à peine osé concevoir. Afin que vous n’en ignoriez, je dois ajouter, dès maintenant, que vous trouverez en moi un maître exigeant et sévère, n’admettant aucune discussion; mais aussi un maître juste, équitable et généreux au-delà de tout ce que vous pouvez espérer. S’il en est parmi vous qui hésitent, ils peuvent se retirer, il en est temps encore.

On ne pouvait pas être d’une franchise plus brutale. Et quant à l’autorité, tout dans le ton, dans l’attitude, indiquait qu’en effet ils se trouvaient devant un être exceptionnel qui serait le maître, dans le sens absolu du mot. Cette main blanche et parfumée, cette main aux ongles roses, serait une poigne de fer à l’étreinte de laquelle on ne saurait tenter de se soustraire, une fois qu’elle se serait abattue sur vous.

Mais aussi quel prestigieux avenir entrevu!

Il n’y avait pas à en douter: cette femme tiendrait, et au-delà, ce qu’elle promettait. Et quant à essayer de lutter contre elle, il n’y avait qu’à considérer ce front pur, rayonnant d’un mâle génie, il n’y avait qu’à voir l’expression résolue de ce regard perçant et si doux, pour comprendre qu’on aboutirait fatalement à un désastre.

Le duc et ses amis furent dominés, comme l’avait été Centurion, comme l’étaient, en général, tous ceux qui approchaient de près cette femme extraordinaire.

Le duc se fit l’interprète de tous en disant:

– Nous acceptons, Madame. Disposez de nous comme d’esclaves.

– J’accepte cet engagement, dit Fausta d’une voix grave. Et soyez tranquilles, vous monterez si haut que peut-être en serez-vous éblouis vous-même. Je compte sur vous pour établir une discipline sévère et maintenir vos hommes dans des idées d’obéissance passive. C’est ce qui importe le plus, pour le moment. Je ne vous ferai pas l’injure de répéter les paroles de tolérance et d’émancipation que vous avez déjà entendues. Vous n’y croyez pas plus que je ne les pensais. Cependant, il est utile de laisser momentanément accréditer ces idées. Plus tard nous mettrons ordre à tout cela. Chaque chose viendra à son heure. Nous rêvons de grandes choses. L’empire de Charlemagne n’est pas impossible à réédifier. Je me sens la force de mener à bien cette œuvre colossale. Celui que nous avons choisi dominera le monde, grâce à vous. Vous voyez donc bien que ceux qui m’auront aidée à échafauder la puissance la plus étendue que le monde ait jamais vue, ceux-là pourront avoir toutes les ambitions.

Elle parlait plutôt pour elle-même, car elle les sentait dûment acquis. Ils écoutaient émerveillés, béats d’admiration, se demandant s’ils ne faisaient pas un rêve délicieux que la réalité viendrait brutalement interrompre.

Fausta revint vite au sentiment de la réalité.

– Ces rêves de puissance et de grandeur, dit-elle, reposent sur une tête menacée, une tête que l’on s’efforcera d’abattre demain. Ai-je besoin d’ajouter: si cette tête tombe, c’en est fait de ces rêves?