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– Je vous écoute, fit-elle froidement.

Pardaillan la regarda droit dans les yeux et, posément:

– Que vous fassiez assassiner le roi Philippe, comme il y a quelques mois vous avez fait assassiner Henri de Valois, c’est affaire entre vous et lui. Je n’ai pas à prendre la défense de Philippe qui, du reste, me paraît de taille à se défendre lui-même. Que vous mettiez, dans un but d’ambition personnelle, ce pays à feu et à sang, que vous y déchaîniez les horreurs de la guerre civile, comme vous l’avez fait en France, ceci encore est affaire entre vous et Philippe ou son peuple. Si les moyens que vous employez étaient avouables, je dirais même que je n’en suis pas fâché, car en soulevant l’Espagne contre son roi, vous donnerez assez d’occupation à celui-ci pour le mettre dans l’impossibilité de poursuivre ses projets sur la France. Par cela même, mon malheureux pays, sous la conduite d’un roi rusé mais brave homme, tel que le Béarnais, aura le temps de réparer en grande partie les calamités que vous aviez déchaînées sur lui. Sur ces deux points, madame, si je n’approuve pas vos idées et vos procédés, du moins, vous ne me trouverez pas devant vous.

– C’est beaucoup, cela, chevalier, dit-elle franchement, et si vous n’avez pas des exigences inacceptables en échange de cette neutralité qui m’est précieuse, je suis assurée du succès.

Pardaillan eut un sourire réservé et il reprit:

– Faites ce que bon vous semblera ici, cela vous regarde. Mais ne jetez pas les yeux sur mon pays. Je vous l’ai dit, la France a besoin de repos et de paix. Ne cherchez pas à y fomenter la haine et la discorde comme vous l’avez déjà fait, vous me trouveriez sur votre route. Et sans vouloir vous humilier, sans trop me vanter non plus, vous devez savoir ce qu’il en coûte de m’avoir pour ennemi.

– Je le sais, dit-elle gravement. Est-ce tout ce que vous aviez à me dire?

– Non, par tous les diables! j’ai encore à vous dire ceci: la nouvelle entreprise que vous tentez ici est appelée à un échec certain. Elle aura le même sort qu’ont eu vos entreprises en France: vous serez battue.

– Pourquoi?

– Je pourrais vous dire: parce que ces entreprises sont fondées sur la violence, la trahison et l’assassinat. Je vous dirai plus simplement: parce que vos rêves d’ambition reposent sur la tête d’un homme loyal et simple, le Torero, qui n’acceptera pas les offres que vous voulez lui faire. Parce que don César est un homme que j’estime et que j’aime, moi, et que je vous défends, vous entendez bien, je vous défends de vous attaquer à lui, si vous ne voulez me trouver sur votre route. Et maintenant que je vous ai dit ce que j’avais à vous dire, vous pouvez faire entrer vos assassins.

En disant ces mots, il se leva et se tint debout devant elle, rayonnant d’audace.

Et, comme s’ils eussent entendu son ordre, au même moment les assassins se ruèrent dans la salle avec des cris de morts.

Fausta s’était levée aussi.

Elle ne répondit pas un mot. Sans se presser, elle se retourna, s’éloigna majestueusement et alla se placer à l’autre extrémité de la salle, désireuse d’assister à la lutte.

Si Pardaillan avait voulu, il n’aurait eu qu’à étendre le bras, abattre sa main sur l’épaule de Fausta, et le combat eût été terminé avant que d’être engagé. C’eût été là une merveilleuse égide. Aucun des assistants n’eût osé ébaucher un geste en voyant leur maîtresse aux mains de celui qu’ils avaient pour mission de tuer sans pitié.

Mais Pardaillan n’était pas homme à employer de tels moyens. Il la regarda s’éloigner sans faire un geste.

Centurion avait bien fait les choses. Il avait été un peu long, mais il savait qu’il pouvait compter sur Fausta pour garder le chevalier autant de temps qu’il serait nécessaire. Il amenait avec lui une quinzaine de sacripants, ses séides ordinaires, qui le suivaient dans toutes ses expéditions avec Barba-Roja et lui obéissaient avec une précision toute militaire, assurés qu’ils étaient de l’impunité et de recevoir en outre une gratification raisonnable.

En plus de cette troupe, le familier amenait avec lui les trois ordinaires de Fausta: Sainte-Maline, Montsery et Chalabre, lesquels avaient bien consenti à suivre Centurion parlant au nom de la princesse, mais étaient bien résolus à agir à leur guise, peu soucieux qu’ils étaient de se placer sous les ordres d’un personnage qui ne leur inspirait nulle sympathie.

Les deux troupes, car les ordinaires ne se quittaient pas et s’écartaient ostensiblement de leurs compagnons de rencontre, les deux troupes réunies formaient un total d’une vingtaine d’hommes – juste le chiffre annoncé par Fausta – armés de solides et longues rapières et de bonnes et courtes dagues.

Les assaillants, avons-nous dit, s’étaient rués avec des cris de mort. Mais si la précaution qu’avait eue Fausta de placer Pardaillan au fond de la salle était bonne en ce sens qu’elle l’acculait dans un coin et le mettait dans la nécessité d’enjamber un nombre considérable d’obstacles et de passer sur le ventre de toute la troupe pour atteindre la sortie, cette précaution devenait mauvaise en ce sens que, pour atteindre leur victime, les hommes de Centurion devaient d’abord, eux aussi, enjamber ces mêmes obstacles, ce qui ralentissait considérablement leur élan.

Pardaillan les regardait venir à lui avec ce sourire railleur qu’il avait dans ces moments.

Il avait dédaigné de tirer sa dague, seule arme qu’il eût à sa disposition. Seulement, il s’était placé derrière la banquette, sur laquelle il était assis l’instant d’avant. Cette banquette était la dernière de la rangée. Pardaillan avait placé son genou gauche sur cette banquette, et ainsi placé, les bras croisés, le sourire aux lèvres, l’œil aux aguets et pétillant de malice, il attendait qu’ils fussent à sa portée.

Que méditait-il? Quel coup d’audace, foudroyant et imprévu, leur réservait-il? C’est ce que se demandait Fausta, qui le surveillait de sa place, et qui, devant cette froide intrépidité, sentait le doute l’envahir de plus en plus, et se disait:

«Il va les battre tous! c’est certain! c’est fatal! Et il sortira d’ici sans une égratignure.»

Cependant, Pardaillan avait reconnu les ordinaires, et de sa voix railleuse:

– Bonsoir, messieurs!

– Bonsoir, monsieur de Pardaillan, répondirent poliment les trois.

– C’est la deuxième fois aujourd’hui que vous me chargez, messieurs. Je vois que vous gagnez honnêtement l’argent que vous donne Mme Fausta. Seulement je suis confus de vous donner tant de mal.

– Quittez ce souci, monsieur. Pourvu que nous vous ayons au bout du compte, c’est tout ce que nous demandons, dit Sainte-Maline.

– J’espère que nous serons plus heureux cette fois-ci, ajouta Chalabre.

– C’est possible! fit paisiblement Pardaillan, d’autant que, vous le voyez, je suis sans arme.

– C’est vrai! dit Montsery, en s’arrêtant, M. de Pardaillan est désarmé!

– Ah! diable! firent les deux autres, en s’arrêtant aussi.

– Nous ne pouvons pourtant pas le charger, s’il ne peut se défendre, dit tout bas Montsery.

– Très juste, opina Chalabre.

– D’autant qu’ils sont assez nombreux pour mener à bien la besogne, ajouta Sainte-Maline en désignant du coin de l’œil les hommes de Centurion.