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Et tout haut à Pardaillan:

– Puisque vous n’avez pas d’arme pour vous défendre, nous nous abstenons, monsieur. Que diable! nous ne sommes pas des assassins!

Pardaillan sourit, et comme les trois, avant de rengainer, le saluaient de l’épée d’un même geste qui ne manquait pas de noblesse, il s’inclina gracieusement, et dit, toujours calme:

– En ce cas, messieurs, écartez-vous et regardez… si cela vous intéresse.

À ce moment, sept ou huit des plus vifs parmi les assaillants n’avaient plus que deux rangées de banquettes à franchir pour être sur lui.

Posément, avec des gestes mesurés, Pardaillan se courba et saisit à pleins bras la banquette sur laquelle il appuyait son genou.

C’était une banquette longue de plus d’une toise, en chêne massif et dont le poids devait être énorme.

Pardaillan la souleva sans effort apparent et, quand les premiers assaillants se trouvèrent à sa portée, il balaya l’espace de sa banquette tendue à bout de bras, en un geste large, foudroyant de force et de rapidité, le geste du faucheur qui fauche.

Un homme resta sur le carreau, trois se retirèrent en gémissant, les autres s’arrêtèrent interdits.

Pardaillan se mit à rire doucement et souffla un moment.

Mais le reste de la bande arrivait et poussait les premiers rangs, qui durent avancer malgré eux.

Pardaillan, froidement, méthodiquement, recommença le geste de la mort. Trois nouveaux éclopés durent se retirer.

Ils n’étaient plus que treize, en omettant les trois ordinaires qui assistaient, béats d’admiration, à cette lutte épique d’un homme contre vingt.

Les hommes de Centurion s’arrêtèrent, quelques-uns même s’empressèrent de reculer, de mettre la plus grande distance possible entre eux et la terrible banquette.

Pardaillan souffla encore un moment et, profitant de ce qu’ils se tenaient en groupe compact, il souleva de nouveau l’arme formidable que lui seul peut-être était capable de manier avec cette aisance: il la balança un instant et la jeta à toute volée sur le groupe pétrifié.

Alors ce fut la débandade. Les hommes de Centurion s’enfuirent en désordre et ne s’arrêtèrent que dans l’espace libre devant l’estrade.

Avec Centurion, qui avait eu la chance de s’en tirer avec quelques contusions sans importance, bien qu’il ne se fût pas ménagé, ils n’étaient plus que six hommes valides.

Cinq étaient restés sur le carreau, morts ou trop grièvement endommagés pour avoir la force de se relever. Les autres, plus ou moins éclopés, geignant et gémissant, étaient hors d’état de reprendre la lutte.

Pardaillan passa sa main sur son front ruisselant de l’effort soutenu, et en riant, du bout des lèvres:

– Eh bien, mes braves, qu’attendez-vous? Chargez donc, morbleu! Vous savez bien que je suis seul et sans arme!

Mais comme en disant ces mots il plaçait son pied sur la banquette qui se trouvait à sa portée, les autres, malgré les objurgations de Centurion, restèrent cois.

Alors Pardaillan se mit à rire plus fort, et s’apercevant que plusieurs rapières s’étalaient à ses pieds, il se baissa tranquillement, ramassa celle qui lui parut la plus longue et la plus solide, et, la faisant siffler, de son air railleur, il leur lança:

– Allez, drôles! le chevalier de Pardaillan vous fait grâce!

Et se tournant vers Fausta, sans plus s’occuper d’eux:

– À vous revoir, princesse! lui cria-t-il.

Il fit un demi-tour méthodique, et lentement, sans se retourner, comme s’il eût été sûr qu’on n’oserait inquiéter sa sortie, il se dirigea vers la muraille qui fermait le fond de la salle, dans ce coin où il avait plu à Fausta de le placer parce qu’elle se croyait certaine qu’il n’y avait là aucune issue.

Arrivé au mur, il frappa dessus trois coups du pommeau de la rapière qu’il venait de ramasser.

La muraille s’ouvrit d’elle-même.

Avant de sortir, il se retourna, Centurion et ses hommes, revenus de leur stupeur, se lançaient à sa poursuite. Les trois ordinaires eux-mêmes, le voyant armé, chargeaient de leur côté.

Le rire clair de Pardaillan fusa plus ironique que jamais. Il lança:

– Trop tard! mes agneaux.

Et il sortit, sans se presser, la tête haute.

Quand la bande hurlante et menaçante arriva, elle se heurta à la muraille qui s’était refermée d’elle-même.

Honteux, furieux, enragés, ils se mirent à frapper le mur à coups redoublés. Trois hommes de Centurion soulevèrent péniblement une de ces banquettes que le chevalier avait maniée avec tant de facilité apparente, et s’en servirent de bélier sans réussir davantage à ébranler le mur.

Exténués, ils se résignèrent à abandonner la poursuite, et piteux, ils se rangèrent autour de Fausta. Centurion surtout était très inquiet. Il s’attendait à des reproches sanglants, et bien que, personnellement, il se fût comporté bravement, il se demandait comment elle allait prendre cette défaite honteuse.

Sainte-Maline, Chalabre, Montsery n’étaient pas très rassurés non plus. Certes, leur geste avait été chevaleresque et ils ne le regrettaient pas, mais enfin, Fausta les payait pour tuer Pardaillan et non pour faire assaut de galanterie et de générosité avec lui.

Ils se tenaient donc raides, comme à la parade, attendant l’averse avec une mélancolique résignation.

À la grande surprise de tous, Fausta ne fit aucun reproche. Elle savait, elle, que Pardaillan devait sortir vainqueur de la lutte. La défaite de ses hommes ne pouvait donc ni la surprendre ni l’indigner. Ils avaient fait ce qu’ils avaient pu, elle les avait vus manœuvrer. S’ils avaient été battus, c’est qu’ils s’étaient heurtés à une force surnaturelle. Ils eussent été trois fois plus nombreux, ils eussent subi le même sort: c’était fatal. Dès lors, à quoi bon se fâcher?

Donc Fausta se contenta de dire:

– Ramassez ces hommes, qu’on leur donne les soins que nécessite leur état. Vous distribuerez à chacun cent livres à titre de gratification. Ils ont fait ce qu’ils ont pu, je n’ai rien à dire.

Une rumeur joyeuse accueillit ces paroles. En un clin d’œil les éclopés furent enlevés, et il ne resta que Centurion et les trois ordinaires.

– Messieurs, leur dit Fausta, veuillez m’attendre un moment dans le couloir.

Silencieusement les quatre hommes s’inclinèrent et sortirent, la laissant seule.

Longtemps, Fausta resta immobile sur la banquette où elle s’était assise cherchant, combinant, mettant en œuvre toutes les ressources de son esprit si fertile en inventions de toutes sortes.

Que voulait-elle? Peut-être ne le savait-elle pas très bien elle-même. Toujours est-il que de temps en temps elle prononçait un mot, toujours le même:

– La folie!…

Et après avoir prononcé ce mot, elle se replongeait dans sa méditation.

Enfin, ayant sans doute trouvé la solution tant cherchée, elle se leva, rejoignit ses gardes du corps et remonta dans ses appartements.

Tandis que les ordinaires, sur un signe d’elle, s’installaient dans le vestibule, elle pénétra dans son cabinet, suivie de Centurion à qui elle donna des instructions claires et minutieuses, ensuite de quoi le bravo quitta la maison des Cyprès et rentra dans Séville en marchant d’un pas allongé.