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Déjà il reprenait:

– Mon Dieu, oui! Je me suis dit que si j’avais été moins pressé de me tirer de la fournaise, j’aurais pu, j’aurais dû vous sauver, et j’éprouvai un vrai remords de ma stupide précipitation qui causait votre mort.

Fausta posait sur lui ses yeux de diamants noirs dont l’éclat se voilait d’une douceur attendrie et, sous son masque d’impassibilité, elle haletait, car ces paroles que Pardaillan prononçait d’un air lointain, comme s’il se fût parlé à lui-même, ces paroles venaient de faire naître un espoir insensé dans son cœur agité.

Il se mit à rire à nouveau, et:

– J’avais oublié qu’une femme de tête comme vous ne pouvait avoir manqué de prendre des mesures infaillibles pour sortir indemne d’une aussi périlleuse situation… ce dont je vous félicite!

Fausta sentit son cœur se contracter à ces paroles qui la cinglèrent comme une insulte. Son œil redevint froid, sa physionomie se fit plus hermétique, et:

– Est-ce pour me dire ces choses, que vous m’avez abordée?

– Non, pardieu! Et je vous demande pardon de vous tenir ainsi sous ce soleil torride pour écouter, avec une patience dont je vous sais un gré infini, les fadaises que je viens de vous débiter.

Gravement, Fausta approuva d’un signe de tête, et:

– Comment se fait-il donc que je vous rencontre chevauchant sous le ciel rayonnant d’Espagne?

– Je vous cherchais, répondit simplement Pardaillan.

Pour la deuxième fois, Fausta ne put réprimer un imperceptible tressaillement. Son regard s’adoucit, et:

– Eh bien! maintenant que vous m’avez trouvée, dites-moi pourquoi vous me cherchiez?

À son tour, le visage de Pardaillan se fit impénétrable:

– Madame, S. M. le roi Henri m’a chargé de lui rapporter certain parchemin qui est en votre possession et que vous destinez au roi d’Espagne. Et je vous cherchais pour vous dire: Madame, voulez-vous me remettre ce parchemin?

Tandis qu’il parlait, Fausta semblait comme perdue dans quelque rêve lointain, et quand il se tut, fixant sur lui ses yeux de flamme, comme si elle eût voulu lui communiquer sa volonté, d’une voix basse, pénétrante:

– Chevalier, je vous ai proposé, il n’y a pas bien longtemps, de vous tailler un royaume en Italie et vous avez refusé parce qu’il vous aurait fallu combattre un vieillard… Bien que ce vieillard s’appelât Sixte Quint, venant d’un esprit chevaleresque comme le vôtre, ce refus ne m’a pas surprise. Les plans que j’avais élaborés et que votre refus d’alors anéantissait, je puis les reprendre en les modifiant… Il ne s’agit plus cette fois d’attaquer un vieillard… Il s’agit de faire une alliance avec un souverain… le plus puissant de la terre…

Fausta fit une pause.

Alors, d’une voix calme, sans impatience, comme s’il n’eût rien entendu:

– Madame, voulez-vous me remettre le parchemin?

Une fois encore, Fausta sentit les étreintes du doute et du découragement. Mais elle le vit si paisible, si attentif – en apparence – qu’elle reprit:

– Écoutez-moi, chevalier… Contre la remise de ce parchemin, vous devez obtenir le commandement en chef de l’armée que Philippe enverra en France. Et cette armée sera formidable, ainsi que le comporte l’enjeu de cette entreprise… Sous le commandement d’un chef tel que vous, cette armée est invincible… À la tête de vos troupes, vous fondez sur la France, vous battez le Béarnais sans peine, vous le saisissez, on le juge, on le condamne, on l’exécute comme fauteur d’hérésie… Philippe II est reconnu roi de France et vous… on crée pour vous un gouvernement spécial, quelque chose comme la vice-royauté de France!… Vous vous en contentez… jusqu’au jour où, raccourcissant le titre d’un mot, vous pourrez, par droit de conquête, placer sur votre tête la couronne royale… Voilà mon plan… Dites un mot et ce parchemin que vous me demandez pour Henri de Navarre, je vous le remets à l’instant à vous, chevalier de Pardaillan…

Pardaillan, glacial, répéta:

– Madame, voulez-vous me remettre le parchemin que j’ai promis de rapporter à S. M. Henri, roi de France?

Fausta le fixa un instant, et se renversant sur les coussins, d’une voix morne:

– Je vous ai offert pour vous ce précieux parchemin, et vous l’avez refusé… Je le porterai donc à Philippe.

– À votre aise, madame, dit Pardaillan en s’inclinant.

– Alors, qu’allez-vous faire?

– Moi, madame?… J’attendrai… Et puisque vous êtes décidée à aller à Madrid, j’irai aussi. Je ne vous dis donc pas adieu, mais au revoir, madame.

– Au revoir, chevalier, répondit Fausta sur un ton étrange.

Pardaillan salua d’un geste large et, paisiblement, reprit le chemin par où il était venu.

Alors, quand il eut disparu au premier coude de la route, Bussi-Leclerc, Chalabre, Montsery, Sainte-Maline, Montalte, entourèrent la litière avec des jurons et des imprécations, et Montalte gronda:

– Pourquoi, madame, pourquoi nous avoir empêchés de charger ce truand?

– Oui! pourquoi? grinça Bussi.

Fausta les considéra un instant avec un sourire de dédain, et:

– Pourquoi?… Parce que vous trembliez de peur, messieurs.

– Par le Christ!… Tripes et ventre!… Mort du diable!…

– Madame, il en est encore temps!… Un mot, et cet homme n’arrive pas au bas de la montagne.

– Oui?… Eh bien, essayez…

Et du doigt elle leur désignait Pardaillan, qui réapparaissait au pas sur la route en lacets.

Humiliés par le dédain qu’elle leur manifestait, exaspérés jusqu’à la fureur par le dédain encore plus outrageant de celui qui s’en allait là-bas, sans avoir même paru remarquer leur présence, ils se ruèrent en se bousculant, grondant de sourdes menaces.

Cependant Fausta, avec un sourire étrange, se soulevait sur les coussins, s’accoudait, prenait les attitudes de quelqu’un qui se dispose à assister commodément à un spectacle intéressant.

Nous avons dit que la route serpentait le long de la montagne, en sorte que, en descendant, on avait: à droite, la masse granitique qui se dressait imposante et féerique en ses aspects changeants, variés à l’infini par les magiques rayons d’un soleil rutilant; à gauche, les pentes, tantôt douces, tantôt raides, souvent à pic, gouffres béants, prêts à engloutir, mutilée, déchiquetée par les aloès géants et les épines des cactus, la victime d’un faux pas.

Quant à ce que nous appelons la route, c’était tout simplement le fer des chevaux et des mules qui, à la longue, avait fini par tracer une sorte de sentier capricieux, tantôt assez large pour permettre à plusieurs cavaliers de l’aborder de front, tantôt à peine suffisant pour un seul. Toutefois, par-ci, par-là, les hommes avaient consenti à rectifier, arranger le chemin tracé par les bêtes.

Les cinq gardes du corps de Fausta s’étaient élancés pêle-mêle à la poursuite de Pardaillan. La route, en se rétrécissant, les obligea à se mettre en file, et voici quel était l’ordre de marche établi par le hasard En tête, Bussi-Leclerc, puis Sainte-Maline, Chalabre, Montsery, et fermant la marche, Montalte.

Pardaillan, lui, se trouvait à un angle de la route où le travail des bêtes avait été sommairement façonné par les hommes, et de telle sorte qu’il y avait là une façon de minuscule plate-forme.