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– Il a osé porter la main sur un agent de l’Inquisition? fit le roi d’un air de doute.

Espinosa s’inclina en signe d’affirmation.

– Alors, dit Philippe sur un ton tranchant, il faut le châtier… tout ambassadeur qu’il est.

– Il est nécessaire de savoir d’abord ce que veut et ce que peut le sire de Pardaillan.

– Peut-être, fit le roi, toujours glacial. Mais il est impossible de laisser impunie l’offense faite à un agent de l’État… Il faut un exemple.

– Les apparences sont sauvegardées: l’agent n’avait pas d’ordres… il a agi de sa propre initiative et par excès de zèle… C’est un manquement grave à la discipline, qui mérite une peine sévère. Elle lui sera rigoureusement infligée… C’est aussi un exemple nécessaire pour ceux de nos agents qui se mêlent d’avoir de l’initiative, alors qu’ils n’ont qu’à exécuter, sans chercher à comprendre, les ordres de leurs supérieurs… Quant au sire de Pardaillan, on saura trouver un prétexte… si besoin est.

– Bien! fit le roi avec indifférence.

Et se levant, il vint, d’un pas lent et majestueux, se placer près de la table de travail, et avec cet air sombre qui ne le quittait, pour ainsi dire, jamais:

– Faites introduire Mme la princesse Fausta.

Et il s’assit dans une attitude qui lui était familière: la jambe droite croisée sur la jambe gauche, le coude sur le bras du fauteuil, le menton appuyé sur le poing fermé.

Espinosa s’inclina profondément, alla transmettre les ordres du roi et revint se placer discrètement dans une embrasure, non loin de Barba Roja.

Au même instant, Fausta faisait son entrée.

Elle s’avançait lentement, avec cette souveraine majesté qui faisait se courber tous les fronts. Ses yeux de diamant noir se posaient, larges et lumineux, sur les yeux de Philippe qui, impassible, figé dans son immobilité voulue, la fixait avec une insistance vraiment royale.

Entre ces deux forces d’orgueil, dès le premier contact, le duel s’annonçait implacable. Comme des épées, les deux regards se tâtaient avec la même résolution de porter le premier coup, avec la même volonté de briser toute résistance.

Seulement, tandis que chez le roi le regard était froid, impérieux, foudroyant comme un coup droit qui vise à tuer d’un seul coup, chez Fausta, il se montrait enveloppant, d’une douceur inexprimable et en même temps d’une force irrésistible, qui tendait à désarmer simplement.

Et dans la lutte angoissante de ces deux caractères également dominateurs, sans que rien dans sa physionomie vînt trahir la joie du succès, Espinosa, témoin silencieux, marqua le premier coup pour Fausta.

En effet, lentement, comme à regret, le roi détourna les yeux et une légère rougeur vint colorer ses pommettes livides.

Alors Fausta se courba dans la plus impeccable des révérences de cour.

Mais de la suprême harmonie de ses attitudes, du port de tête altier, du regard fulgurant se dégageait une si souveraine autorité qu’elle semblait écraser celui devant qui elle s’inclinait.

Et l’impression était si saisissante qu’Espinosa ne put s’empêcher d’admirer, et murmura:

– Incomparable comédienne!

Et le roi, ébloui peut-être par la surhumaine beauté de cette étincelante magicienne, le roi sentit plier son indomptable orgueil.

Il se leva, fit deux pas rapides, se découvrit en un geste empreint de l’orgueilleuse élégance espagnole, et, la saisissant par la main, la redressa avant que la révérence ne fût terminée, la conduisit à un fauteuil en disant gravement:

– Veuillez vous asseoir, madame.

De la part de ce fier monarque, rigide observateur de la plus minutieuse des étiquettes, ce geste imprévu, qui stupéfia Espinosa, constituait le triomphe le plus éclatant pour Fausta.

Et, avec une sérénité souriante, elle accepta comme un tribut payé à l’ascendant suprême de son vaste génie ce qui, peut-être, n’était qu’un hommage rendu à la beauté de la femme.

Qu’était-ce que le roi Philippe?

C’était un croyant sincère.

Dès son enfance, des évêques, des cardinaux, des archevêques, avaient avec une habileté lente et patiente labouré son cerveau et y avaient semé un effroi indéracinable.

Il croyait comme on respire.

Doué d’une intelligence supérieure, il avait haussé cette foi jusqu’à l’absolu, s’en était fait une arme et un palladium – et il avait rêvé ce que, jadis, avait dû rêver Torquemada, c’est-à-dire l’univers soumis à sa foi, c’est-à-dire soumis à lui-même.

L’Histoire nous dit, en parlant de lui: sombre fanatique, orgueilleux, despote… Peut-être!… en tout cas, c’est bientôt dit.

Nous disons, nous: IL CROYAIT! Et cela explique tout.

Il croyait que la foi est nécessaire à l’homme pour vivre une vie heureuse et mourir d’une mort paisible. Attenter à la foi, c’était donc attenter au bonheur des hommes, c’était donc les vouer à une mort désespérée, puisque rien, aucun espoir, nulle croyance, ne venait adoucir l’amertume de ce dernier moment… Les incroyants, les hérétiques apparaissaient comme des êtres malfaisants qu’il était nécessaire d’exterminer.

De là les effroyables hécatombes de vies humaines. De là les raffinements inouïs de supplices. Bête féroce? Non! Il sauvait les âmes en martyrisant les corps…

Il croyait.

Et comme il voulait être inaccessible à tout sentiment de pitié, il se disait:

– Un roi est au-dessus de tout. Un roi, c’est le bras de Dieu chargé de maintenir sur terre les fidèles dans la foi et de les y maintenir impitoyablement.

De là son orgueil.

– Je suis roi des Espagnes, roi de Portugal, empereur des Indes, souverain des Pays-Bas, fils de l’empereur d’Allemagne, époux d’une reine d’Angleterre; je suis le monarque le plus puissant de la terre, celui que Dieu a désigné pour imposer la foi sur le monde entier!

Et sa foi religieuse se transformait en foi politique, il avait cru à la monarchie universelle.

De là ses menées dans tous les pays d’Europe.

De là son intervention immédiate dans les affaires de la France. Ce pays, logiquement, devait être annexé le premier puisqu’il se trouvait sur sa route, et, en l’annexant, il réunissait en même temps ses États en un formidable faisceau.

Tel était l’homme sur lequel Fausta, par la force du regard, par l’éclat de sa prestigieuse beauté, venait de remporter un premier succès dont elle avait le droit d’être fière.

Fausta s’assit donc en une de ces poses de grâce dont elle avait le secret.

À son tour le roi s’assit et:

– Parlez, madame, dit-il avec une sorte de déférence.

Alors, de cette voix harmonieuse dont le charme était si puissant:

– J’apporte à Votre Majesté la déclaration du roi Henri III, par laquelle vous êtes reconnu comme successeur et unique héritier du roi de France.

Espinosa darda son œil de feu sur Fausta et pensa: