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– Va-t-elle réellement remettre le parchemin?

Le roi dit:

– Voyons cette déclaration.

Fausta jeta sur lui ce rapide et sûr coup d’œil habitué à fouiller les masques les plus impassibles, à sonder les consciences les plus hermétiques, et ne le voyant pas au point où elle le désirait:

– Avant de vous remettre ce document, il me paraît indispensable de vous donner quelques explications, de me présenter à vous. Il est nécessaire que Votre Majesté sache ce qu’est la princesse Fausta, ce qu’elle a déjà fait et ce qu’elle peut et veut faire encore.

Espinosa se rencoigna et grommela:

– J’en étais sûr!

Le roi dit simplement:

– Je vous écoute, madame.

– Je suis celle que vingt-trois princes de l’Église, réunis en un conclave secret, ont jugée digne de porter les clefs de saint Pierre. Celle à qui ils ont reconnu la force et la volonté de réformer le culte. Celle qui, par la persuasion ou par la violence, saura imposer la foi à l’univers entier. Je suis la papesse!

Philippe, à son tour, la considéra une seconde.

Un tel aveu fait à lui, le roi catholique, dénotait de la part de son auteur une bravoure peu commune, car il pouvait avoir des conséquences mortelles.

Philippe admira peut-être, mais:

– Vous êtes celle qu’un souffle du chef de la chrétienté a renversée avant qu’elle ne mît le pied sur les marches de ce trône pontifical convoité. Vous êtes celle que le pape a condamnée à mort, dit-il non sans rudesse.

– Je suis celle que la trahison a fait trébucher dans sa marche, c’est vrai!… Mais je suis aussi celle que ni la trahison, ni le pape, ni la mort même, n’ont pu abattre parce qu’elle est l’Élue de Dieu qui la conduit à l’inéluctable triomphe pour le bien de la foi!

Ceci était dit avec un tel accent de sincérité solennelle que le roi, croyant comme il l’était, ne pouvait pas ne pas en être impressionné et qu’il commença de la regarder avec un respect mêlé de sourde terreur.

Plus sceptique, sans doute, Espinosa songea: «Quelle puissance! Et quel admirable agent de l’Inquisition, si je puis…»

Fausta reprit:

– Quelle est la loi qui interdit à la femme le trône de Pierre? Des théologiens savants ont fait des recherches minutieuses et patientes; rien, dans les écrits saints, dans les paroles du Christ, rien n’autorise à croire qu’elle doit être exclue. L’Église l’admet à tous les échelons de la hiérarchie. Elle prononce ses vœux et elle porte la parole du Christ. Il y a des abbesses et il y a des saintes. Pourquoi n’y aurait-il pas une papesse? D’ailleurs, il y a un précédent. Les écrits prouvent que la papesse Jeanne a régné. Pourquoi ce qui a été fait une fois ne saurait-il être recommencé? Le sexe féminin est-il un obstacle aux grandes conceptions? Voyez la papesse Jeanne, voyez Jeanne d’Arc, voyez, dans ce pays même, Isabelle la Catholique, regardez-moi, moi-même, croyez-vous que cette tête fléchirait sous le poids de la triple couronne?

Elle était rayonnante d’audace et de foi ardente.

– Madame, dit gravement Philippe, j’avoue que les feux d’une couronne royale pâliraient singulièrement sous l’éclatante blancheur de ce front si pur… Mais une tiare!… excusez-moi, madame, il me semble que d’aussi jolies lèvres ne peuvent être faites pour d’aussi graves propos.

Cette fois, Fausta se sentit touchée.

Elle s’était efforcée de transporter son auditeur à des hauteurs où le vertige est seul à redouter et voilà que, par des fadaises, il la ramenait brutalement à terre. Elle avait cru se poser à ses yeux comme un être exceptionnel, planant au-dessus de toutes les faiblesses humaines, et voilà qu’il n’avait vu en elle que la femme.

Le coup était rude; mais elle n’était pas femme à renoncer pour si peu.

Elle reprit avec force!

– Si je suis l’Élue de Dieu pour le gouvernement des âmes, vous l’êtes, vous, pour le gouvernement des peuples. Ce rêve de monarchie universelle qui a hanté tant de cerveaux puissants, vous êtes désigné pour le réaliser… avec l’aide du chef de la chrétienté, représentant de Dieu. Je ne parle pas ici d’un pape préoccupé avant tout de son pouvoir temporel et qui, pour étendre ses propres États, reprend d’une main ce qu’il a donné de l’autre… Je parle d’un pape qui vous soutiendra en tout et pour tout parce qu’il aura l’indépendance nécessaire, parce qu’il aura besoin de s’appuyer sur vous comme vous aurez besoin de son assistance morale. Et pour qu’il en soit ainsi, que faut-il? Peu de choses en vérité: que les États de ce pape soient suffisants pour lui permettre de tenir dignement son rang de souverain pontife. Donnez-lui l’Italie, il vous donnera le monde chrétien. Vous pouvez être ce maître du monde… je puis être ce pape…

Philippe avait écouté avec une attention soutenue sans rien manifester de ses impressions.

Lorsqu’elle se tut:

– Mais, madame, dit-il, l’Italie ne m’appartient pas. Ce serait une conquête à faire.

Fausta sourit.

– Je ne suis pas aussi déchue qu’on le croit, dit-elle. J’ai des partisans nombreux et décidés, un peu partout. J’ai de l’argent. Ce n’est pas une aide pour une conquête que je demande. Ce que je demande, c’est votre neutralité dans ma lutte contre le pape. Ce que je demande, c’est l’assurance d’être reconnue par Votre Majesté si je triomphe dans cette lutte. Le reste me regarde seule… y compris l’unification de l’Italie.

Le roi paraissait réfléchir profondément, et d’un air rêveur, il murmura:

– Il faudrait des millions pour cette entreprise. Nos coffres sont vides.

L’œil de Fausta étincela:

– Que Votre Majesté dise un mot, et avant huit jours j’aurai fait entrer dans ses coffres dix millions, plus si c’est nécessaire, dit-elle avec dédain.

Philippe la fixa une seconde, et hochant la tête:

– Je vois ce que vous me demandez et que je ne saurais vous donner puisqu’il ne m’appartient pas… Je vois mal ce que vous pourriez me donner en échange.

– J’apporte à Votre Majesté la couronne de France… Il me semble que cela compenserait largement l’abandon du Milanais.

– Eh! madame, si je la veux, cette couronne de France, il me faudra la conquérir. Et si je la prends, ce seront mes canons et mes armées qui me l’auront donnée, et non vous!

– Votre Majesté oublie la déclaration du roi Henri III? dit vivement Fausta.

– La déclaration du roi Henri III? fit le roi en ayant l’air de chercher. J’avoue que je ne comprends pas.

– Cette déclaration est formelle. Grâce à elle, c’est la reconnaissance assurée de Votre Majesté par les deux tiers, au moins, du royaume de France.

– C’est tout à fait différent, en ce cas. Cette déclaration peut avoir la valeur que vous dites… Encore faudrait-il la voir? Ne devriez-vous pas me la remettre, madame? dit négligemment le roi en la regardant fixement.

Fausta soutint ce regard sans sourciller et, tranquillement:

– Votre Majesté ne pense pas que j’aurais été assez insensée pour porter sur moi un document de cette valeur?

– Évidemment, madame, vous n’êtes pas femme à commettre une telle imprudence! répondit Philippe sans qu’il fut possible de percevoir la moindre ironie dans ces paroles prononcées avec sa gravité habituelle.