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– Tout, monseigneur! Demandez!

Espinosa s’approcha jusqu’à le toucher presque, et le dominant du regard:

– Prenez garde, cardinal!… Prenez bien garde!… Je sauve cette femme, puisque sa vie vous est précieuse au-dessus de tout… Mais en échange, vous, vous m’appartenez… n’oubliez pas cela…

Montalte secoue furieusement la tête pour manifester que sa résolution est irrévocablement prise, et d’une voix rauque, il gronde:

– Je n’oublierai pas, monseigneur. Sauvez-la et je vous appartiens… Mais, pour Dieu, hâtez-vous, ajoute-t-il en essuyant son front où perle la sueur de l’angoisse.

– Je retiens votre engagement, dit Espinosa gravement.

Et désignant Fausta rigide:

– Aidez-moi.

Avec des gestes doux comme des caresses, Montalte prit la tête de Fausta dans ses mains tremblantes, et frissonnant d’espoir, la souleva doucement pendant qu’Espinosa versait dans la bouche le contenu de son flacon.

– Attendons maintenant, dit l’inquisiteur.

Au bout de quelques instants, une légère rougeur vint colorer les joues de Fausta.

Montalte, penché sur elle, suivait avec une angoisse inexprimable les effets du contrepoison, qui lui paraissaient d’une lenteur mortelle.

Enfin un souffle à peine perceptible s’échappe doucement des lèvres entrouvertes et Montalte, qui sent sur son visage ce souffle léger, pousse lui-même un profond soupir, comme s’il voulait aider au travail lent qui se fait dans cet organisme.

Il pose sa main sur le sein et se redresse les yeux étincelants: le cœur bat… très faiblement, il est vrai, mais enfin il bat.

– Elle vit! elle vit! crie-t-il, éperdu de joie.

Au même instant Fausta ouvre les yeux et les pose sur Montalte qui se penche sur elle. Presque aussitôt elle les referme.

Un souffle régulier soulève son sein. Elle semble dormir.

Alors Espinosa qui, impassible, a considéré toute cette scène, dit:

– Avant deux heures la princesse Fausta aura retrouvé toute sa conscience.

Certain désormais que le miracle est enfin accompli, Montalte esquisse un signe de tête pour indiquer qu’il prend acte de cette affirmation, et s’inclinant devant Espinosa prononce:

– Vos ordres, monseigneur?

– Monsieur le cardinal, répond l’inquisiteur, je suis venu d’Espagne à Rome tout exprès pour chercher un document portant la signature d’Henri III de France, ainsi que son cachet. Ce document est enfermé dans le petit meuble placé dans la chambre de Sa Sainteté. En l’absence du pape, nul ne peut pénétrer dans sa chambre… Nul… hormis vous, Montalte!… Ce document, reprend-il après une légère pause, ce document, il nous le faut.

Ce disant, Espinosa fixe Montalte droit dans les yeux.

Le cardinal répond froidement:

– C’est bien… Je vais le chercher.

Et il sort aussitôt d’un pas rude et violent.

Demeuré seul, Espinosa paraît plongé un moment dans une profonde méditation. Puis il s’approche de Fausta, la touche légèrement à l’épaule pour la réveiller, et dit:

– Êtes-vous assez forte, madame, pour m’entendre et me comprendre?

Fausta ouvre les yeux et les pose graves et lucides sur le visage de l’inquisiteur qui se contente de cette réponse muette et reprend:

– Avant mon départ, je veux, madame, vous rassurer sur le sort de votre enfant… Il vit… Et votre servante Myrthis doit, à l’heure qu’il est, avoir quitté Rome, emportant ce dépôt sacré que vous lui avez confié… Toutefois, ne croyez pas que Sixte Quint a laissé vivre cet enfant uniquement pour tenir le serment qu’il vous a fait… Si l’enfant vit, madame, c’est que Sixte sait que vous avez caché quelque part une somme de dix millions [2] et que ces millions, vous les avez légués à votre fils… Si Myrthis a pu quitter Rome sans encombre, c’est que Sixte sait que votre suivante connaît l’endroit où sont enfouis ces millions.

Espinosa s’arrête un moment pour juger de l’effet produit par sa révélation.

Fausta le fixe toujours de ses grands yeux noirs. Mais sur ce visage impassible, l’œil exercé de l’inquisiteur ne découvre pas la moindre trace d’émotion, et comme il veut savoir, il insiste:

– Vous m’avez entendu?… Vous m’avez bien compris?…

D’un signe, Fausta fait entendre qu’elle a compris.

Espinosa se contente encore une fois de cette réponse muette.

– C’est tout ce que je voulais vous dire, madame.

Il s’incline gravement, avec une sorte de déférence, et se dirige lentement vers la porte qu’il ouvre. Mais, avant de franchir le seuil, il se retourne et ajoute:

– Encore un mot, madame: le sire de Pardaillan a pu échapper à l’incendie du palais Riant… Pardaillan est vivant, madame!… Vous m’entendez?… Pardaillan… vivant!

Et cette fois, Espinosa sort tranquillement.

III LA VIEILLESSE DE SIXTE QUINT

Une grande table de travail, deux fauteuils, un petit meuble, çà et là quelques escabeaux; une étroite couchette, un prie-dieu, au-dessus du prie-dieu un magnifique christ en or massif, merveille de ciselure signée Benvenuto Cellini, seul luxe de ce retrait; une vaste cheminée où pétille un feu clair; un épais tapis, de lourds rideaux hermétiquement clos: c’était la chambre de Sa Sainteté Sixte Quint.

Usé par le temps et le long effort, ce n’est plus le formidable athlète d’autrefois. Mais à l’éclair qui parfois luit sous les sourcils, on devine encore l’infatigable lutteur.

Sixte Quint était assis à sa table de travail, le dos tourné à la cheminée. Et le Pape songeait:

«À cette heure, Fausta a pris le poison. Bourreau, peuple romain, la fête est finie: Fausta est morte!… La suivante Myrthis a quitté le château Saint-Ange, emportant l’enfant de Fausta… le fils de Pardaillan!…»

Le pape se leva, fit quelques pas, les mains au dos, puis revint s’asseoir dans son fauteuil, qu’il tourna vers le feu, et présenta ses mains amaigries à la flamme. Et il reprit sa rêverie:

«Oui, les quelques jours que j’ai à vivre seront paisibles, car l’aventurière n’est plus!… Il me reste, avant de mourir, il me reste à frapper Philippe d’Espagne… Le frapper! Lui! Le roi catholique!… Oui, par le ciel, puisqu’il a voulu me frapper, et que nul n’a impunément bravé Sixte Quint!… Mais comment le frapper?… Comment?…»

Le pape allongea la main vers le petit meuble et y prit un parchemin qu’il parcourut des yeux, lentement. Et il murmura:

– Funeste inspiration que j’ai eue d’arracher cette déclaration à la pusillanimité d’Henri III… inspiration plus funeste encore que j’aie eue de la garder si longtemps… Maintenant, Philippe connaît son existence, et le grand inquisiteur est venu ici me menacer de mort!… Moi!…

Sixte Quint haussa les épaules:

– Mourir!… ce n’est rien… Mais mourir sans avoir réalisé son rêve: Philippe chassé d’Italie!… L’Italie unifiée du nord au midi, l’Italie entière soumise et asservie et la papauté maîtresse du monde… Que faire?… Envoyer ce parchemin à Philippe? – Par quelqu’un qui n’arriverait jamais?… Peut-être… L’anéantir?… Ce serait un coup terrible pour Philippe… Aussi bien j’ai juré à Espinosa qu’il a été détruit… Oui… un geste, et il devient la proie de cette flamme!…

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[2] Somme qui, à notre époque (vers 1910), représenterait environ vingt-cinq millions de francs. (Note de M. Zévaco).