Выбрать главу

– Paroles qui me touchent d’autant plus, monsieur, que moi aussi, je vois à votre air que vous ne devez pas prodiguer les marques de votre estime, répondit Pardaillan.

Espinosa le regarda un instant et approuva doucement de la tête.

– Pour en revenir à l’objet de votre mission, Sa Majesté ne refuse pas d’accéder à la demande que vous lui avez transmise. Mais vous devez comprendre qu’une question aussi importante ne se peut résoudre sans qu’on y ait mûrement réfléchi.

Ayant écarté l’orage momentanément, Espinosa s’effaça de nouveau, laissant au roi le soin de continuer la conversation dans le sens où il l’avait aiguillée. Et Philippe, comprenant que l’inquisiteur ne jugeait pas le moment venu de briser les pourparlers, ajoutait:

– Nous avons nos vues.

– Précisément, dit Pardaillan, ce sont ces vues qu’il serait intéressant de discuter. Vous rêvez d’occuper le trône de France et vous faites valoir votre mariage avec Élisabeth de France. C’est un droit nouveau en France et vous oubliez, Sire, que pour consacrer ce droit, il vous faudrait une loi en bonne et due forme. Or, jamais le Parlement ne promulguera une pareille loi.

– Qu’en savez-vous, monsieur?

Pardaillan haussa les épaules et:

– Eh! Sire, voici des années que vos agents sèment l’or à pleines mains pour arriver à ce but. Avez-vous réussi?… Toujours vous vous êtes heurté à la résistance du Parlement… Cette résistance, vous ne la briserez jamais.

– Et qui vous dit que nous n’avons pas d’autres droits?

– Le parchemin de Mme Fausta?… Eh bien, parlons-en de ce parchemin! si vous mettez la main dessus, Sire, publiez-le et je vous réponds qu’aussitôt Paris et la France reconnaissent Henri de Navarre.

– Comment cela? fit le roi avec étonnement.

– Sire, dit froidement Pardaillan, je vois que vos agents vous renseignent bien mal sur l’état des esprits en France. La France est lasse d’être pillée et ravagée sans pudeur et sans frein par une poignée d’ambitieux forcenés. La France n’aspire qu’au repos, à la tranquillité, à la paix, enfin. Pour l’avoir, cette paix, elle est prête à accepter Henri de Navarre, même s’il reste hérétique… à plus forte raison l’acceptera-t-elle s’il embrasse la religion catholique. Le roi, lui, hésite encore. Publiez ce fameux parchemin et ses hésitations disparaissent, pour en finir il se décide à aller à la messe et alors, c’est Paris qui lui ouvre ses portes, c’est la France qui l’acclame.

– En sorte que, selon vous, nous n’avons aucune chance de réussite dans nos projets?

– Je crois, dit paisiblement Pardaillan, qu’en effet, vous ne serez jamais roi de France.

– Pourquoi? fit doucement Philippe.

Pardaillan fixa son œil clair sur le roi, et avec un calme imperturbable:

– La France, Sire, est un pays de lumière et de gaieté. La franchise, la loyauté, la bravoure, la générosité, tous les sentiments chevaleresques y sont aussi nécessaires à la vie que l’air qu’on respire. C’est un pays vivant et vibrant, ouvert à tout ce qui est noble et beau, qui n’aspire qu’à l’amour, c’est-à-dire la vie, et à la lumière, c’est-à-dire la liberté. Pour régner sur ce pays, il faut nécessairement un roi qui synthétise toutes ces qualités, un roi qui soit beau, aimable, brave et généreux entre tous.

– Eh bien! fit sincèrement Philippe, ne puis-je être ce roi?

– Vous, Sire? dit Pardaillan qui prit un air stupéfait. Mais les bûchers naissent sous vos pas comme de gigantesques rôtissoires à chair humaine. Mais vous apportez avec vous votre Inquisition, sombre régime de terreur qui prétend régir jusqu’à la pensée. Mais regardez-vous, Sire, et voyez si cet air majestueux que vous avez ne suffirait pas à glacer les plus gais et les plus joyeux vivants. Mais on sait en France le régime que vous avez instauré dans les Flandres. Mais dans ce pays de joie et de lumière vous n’apporteriez que les ténèbres et la mort… Mais les pierres se dresseraient d’elles-mêmes pour vous barrer la route. Eh non! Sire, tout cela peut être bon pour l’Espagne, mais jamais ne sera accepté en France.

– Vous avez la franchise brutale, monsieur, grinça Philippe.

Pardaillan eut cet air d’étonnement ingénu qu’il prenait lorsqu’il se disposait à dire quelque énormité.

– Pourquoi? J’ai parlé au roi de France avec la même franchise que vous qualifiez de brutale, et il ne s’en est point offusqué… bien au contraire… De vrai nous ne saurions nous comprendre parce que nous ne parlons pas la même langue. En France il en serait toujours ainsi, vous ne comprendriez pas vos sujets qui ne vous comprendraient pas davantage. Le mieux est donc de rester ce que vous êtes.

Philippe eut un sourire livide.

– Je méditerai vos paroles, croyez-le bien, dit-il. En attendant, je veux vous traiter avec les égards dus à un homme de votre mérite. Vous plaîrait-il d’assister à l’autodafé dominical de demain?

– Mille grâces, Sire, mais ces sortes de spectacles répugnent à ma sensibilité un peu nerveuse.

– Je le regrette, monsieur, dit Philippe avec une amabilité sincère. Mais enfin je veux vous distraire et non vous imposer des spectacles qui, s’ils nous conviennent à nous, sauvages d’Espagne, peuvent en effet choquer votre nature raffinée de Français. Éprouvez-vous la même répugnance pour la corrida?

– Ah! pour cela, non! fit Pardaillan sans sourciller. J’avoue même que je ne serais pas fâché de voir une de ces fameuses courses. On m’a précisément parlé d’un toréador fameux en Andalousie, ajouta-t-il en fixant le roi.

– El Torero? fit le roi paisiblement. Vous le verrez… Vous êtes invité à la corrida d’après-demain lundi. Vous verrez là un spectacle extraordinaire, qui vous étonnera, j’en suis sûr, reprit Philippe avec cette intonation étrange qui fit dresser l’oreille à Pardaillan comme elle avait frappé Fausta l’instant d’avant.

Néanmoins le chevalier répondit:

– Je remercie Votre Majesté de l’honneur qu’elle veut bien me faire, et je ne manquerai pas d’assister à un aussi curieux spectacle.

– Allez, monsieur l’ambassadeur, je vous ferai connaître ma réponse à la demande de S. M. Henri de Navarre… Et n’oubliez pas la corrida, lundi. Vous verrez quelque chose de curieux… de très curieux…

«Ouais! songeait Pardaillan en s’inclinant, serait-ce quelque traquenard à mon intention?… Mordiable! il ne sera pas dit que ce sinistre despote m’aura fait reculer!»

Et en se redressant, l’œil étincelant:

– Je n’aurai garde d’oublier, Sire! Et en lui-même: Pas plus que tu n’oublieras les quelques vérités dont je t’ai gratifié.

Et d’un pas ferme, il se dirigea vers l’antichambre.

Derrière lui, sur un signe impérieux de Philippe II, Barba Roja se mit en marche.

En passant près de son maître, Barba Roja s’arrêta une seconde:

– Corrige-le, ridiculise-le devant tout le monde… mais ne le tue pas, murmura le roi.

Et le molosse sortit derrière Pardaillan en marmonnant:

– Diantre soit de la fantaisie du roi! C’était si facile de le prendre par le cou et de l’étrangler comme un poulet… ou bien encore quelque bon coup de dague ou d’épée et la besogne se trouvait proprement expédiée… Le corriger! passe encore, je sais, Dieu merci! comment m’y prendre… Mais le ridiculiser?… Que diable pourrai-je lui faire pour cela?