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Et revenant à ce qui était le fond de sa pensée:

– Toutes mes rencontres avec Pardaillan me sont fatales… Si Pardaillan revoit Philippe, cet amour du roi s’éteindra aussi vite qu’il s’est allumé. Pourquoi?… Comment?… Je n’en sais rien! mais cela sera, c’est inéluctable… Il faut donc que Pardaillan meure!…

Encore un coup une saute dans sa pensée:

– Myrthis!… Où peut être Myrthis en ce moment? Et mon fils?… Son fils!… Ils doivent être en France maintenant. Comment les retrouver?… Qui envoyer à la recherche de cet enfant… mon enfant! Je cherche vainement, nul ne me paraît assez sûr, assez dévoué.

Et avec un accent intraduisible:

– Fils de Pardaillan!… Si ton père t’ignore, si ta mère t’abandonne, que seras-tu?… que deviendras-tu?…

Longtemps elle resta ainsi à songer, à combiner. Enfin, sa résolution sans doute inébranlablement prise, elle sortit de sa chambre et entra dans un salon meublé avec un luxe raffiné.

Elle fit venir son intendant, lui donna des instructions et demanda:

– Monsieur le cardinal Montalte est-il là?

Son Éminence n’est pas encore rentrée, madame.

Fausta fronça le sourcil et elle réfléchit.

– Cette disparition est étrange… Montalte me trahirait-il? Ne lui a-t-on pas plutôt tendu quelque embûche?… Il doit y avoir de l’Inquisition là-dessous… J’aviserai…

Et tout haut:

– Messieurs de Sainte-Maline, de Chalabre et de Montsery?

– Ces messieurs sont avec le sire de Bussi-Leclerc qui sollicite la faveur d’être reçu.

Fausta réfléchit une seconde et ordonna:

– Faites entrer le sire de Bussi-Leclerc avec mes gentilshommes.

L’intendant sorti, Fausta prit place dans un fauteuil monumental et somptueux comme un trône, en une de ces attitudes de charme et de grâce dont elle avait le secret, et attendit.

Quelques instants plus tard, les trois ordinaires s’inclinaient respectueusement devant elle pendant que Bussi, avec cette galanterie de salle d’armes qu’il croyait irrésistible, débitait son compliment:

– Madame, j’ai l’honneur de déposer aux pieds de votre radieuse beauté les très humbles hommages du plus ardent de vos admirateurs.

Ayant dit, il se campa, frisa sa moustache, et attendit l’effet de sa galanterie. Comme toujours, cette superbe assurance sombra piteusement devant l’accueil hautain de Fausta, qui, avec un fugitif sourire de mépris, répondit:

– Soyez le bienvenu, monsieur.

Et tout aussitôt, sans plus s’occuper de lui, avec ce sourire enchanteur et de cette voix chaude et caressante qui charmaient les plus réfractaires:

– Messieurs, dit-elle, asseyez-vous. Nous avons à causer. Monsieur de Bussi-Leclerc, vous n’êtes pas de trop.

Les quatre gentilshommes s’inclinèrent en silence et prirent place dans des fauteuils disposés autour d’une petite table qui les séparait de la princesse.

– Messieurs, reprit Fausta, en s’adressant particulièrement à ses ordinaires, vous avez bien voulu accourir du fond de la France pour m’apporter l’assurance de votre dévouement et l’appui de vos vaillantes épées. Le moment me paraît venu de faire appel à ce dévouement. Puis-je compter sur vous?

– Madame, dit Sainte-Maline, nous vous appartenons.

– Jusqu’à la mort! ajouta Montsery.

– Donnez vos ordres, fit simplement Chalabre.

Fausta remercia d’un signe de tête et reprit:

– Avant toute chose, je désire établir nettement les conditions de votre engagement.

– Les conditions que vous nous avez faites nous paraissent très raisonnables, madame! dit Sainte-Maline.

– Combien vous rapportait votre emploi auprès d’Henri de Valois? demanda Fausta en souriant.

– Sa Majesté nous donnait deux mille livres par an.

– Sans compter la nourriture, le logement, l’équipement.

– Sans compter les gratifications et les menus profits.

– C’était peu, fit simplement Fausta.

– M. Bussi-Leclerc nous a offert le double en votre nom, madame.

– M. de Bussi-Leclerc s’est trompé, dit froidement Fausta qui frappa sur un timbre.

À cet appel, l’intendant, porteur de trois sacs rebondis, fit son entrée. Sans mot dire, il salua gravement, aligna ses trois sacs sur la petite table, salua de nouveau et disparut.

Du coin de l’œil, les trois spadassins soupesèrent les sacs et se regardèrent avec des sourires émerveillés.

– Messieurs, dit Fausta, il y a trois mille livres dans chacun de ces sacs… C’est le premier quartier de la pension que j’entends vous servir… sans compter la nourriture, le logement et l’équipement… sans compter les gratifications et les menus profits.

Les trois eurent un éblouissement. Cependant Sainte-Maline, non sans dignité, s’exclama:

– C’est trop! madame… beaucoup trop!

Les deux autres approuvèrent de la tête, cependant que des yeux ils caressaient les vénérables sacs.

– Messieurs, reprit Fausta toujours souriante, vous étiez au service du roi. Vous voici à celui d’une princesse qui redeviendra souveraine un jour, peut-être… mais qui ne l’est plus pour le moment. C’est une sorte de déchéance pour vous… je vous dois bien une compensation.

Et désignant les sacs:

– Prenez donc sans scrupules ce qui vous est donné de grand cœur.

– Madame, dit avec chaleur Montsery, qui était le plus jeune, entre le service du plus grand roi de la terre et celui de la princesse Fausta, croyez bien que nous n’hésiterons pas un seul instant.

– Même sans compensation! ajouta Sainte-Maline, en faisant disparaître un des trois sacs.

– Ni menus profits! dit Chalabre à son tour, en subtilisant d’un geste prompt le deuxième sac.

Ce que voyant, Montsery, pour ne pas être en reste s’empara du dernier sac en disant:

– C’est pour vous obéir, madame.

Cette sorte d’escamotage avait été si prestement exécuté, avec des airs si ingénument détachés, que Bussi-Leclerc, témoin silencieux et impassible, ne put réprimer un sourire.

Fausta, elle, ne sourit pas, mais elle dit:

– Vous allez en expédition, messieurs.

Les trois dressèrent l’oreille.

– La même somme vous sera comptée à la fin de l’expédition… Les trois furent aussitôt debout:

– Noël pour Fausta!… Bataille!… Sangdieu!… Tripes du pape!… crièrent-ils, électrisés.

Alors Fausta, soudain très grave, révéla:

– Il s’agit de Pardaillan, messieurs.

– Ah! ah! pensa Bussi, je me disais aussi: de quelle entreprise mortelle cette générosité, plus que royale, est-elle le prix?

L’enthousiasme des trois spadassins tomba instantanément. Les faces épanouies s’effarèrent, devinrent graves et inquiètes, le sourire se figea sur les lèvres pincées et les yeux scrutèrent les coins d’ombre, comme s’ils se fussent attendus à voir apparaître celui dont le nom seul suffisait à les affoler.