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Mais devant la question si nette et si franche du Chico, elle voyait trop tard, l’énormité à quoi aboutissait son inconséquence. Son cœur se serra. Évidemment il ne pouvait être question d’union entre la fille d’un hôtelier comme elle et ce seigneur français, envoyé d’un roi – et quel roi! le roi de France – à un autre roi! C’eût été folie insigne que de s’arrêter un instant à pareille pensée.

Alors que pouvait-elle espérer?

Le Français avait-il seulement fait attention à elle? C’était un seigneur qui paraissait avoir à régler des entreprises autrement sérieuses et importantes. Évidemment elle n’existait pas pour lui, et s’il avait eu pour elle quelques paroles de banale galanterie, c’était par pure habileté sans doute, car il n’était pas fier et il était si bon. Mais de là à concevoir un espoir quelconque, quelle folie! Elle comprit que son amour ne pourrait jamais être qu’un amour humble et dédaigné… comme celui de Chico pour elle.

Son désespoir devant l’étendue de son malheur lui fit comprendre quelle devait être la douleur de Chico, placé vis-à-vis d’elle dans la même situation où elle était vis-à-vis de Pardaillan, et combien elle avait été cruelle, sans le savoir, envers lui. Et par un effort de volonté puissant, qui dénotait la bonté de son cœur, elle eut la force de sourire et de dire sur un ton mi-plaisant:

– Ramène-le vivant, c’est tout ce que je demande. Pour le reste, je sais bien, que je n’ai rien à espérer. Le sire de Pardaillan retournera dans son pays, et moi Je me consolerai et l’oublierai petit à petit.

Après s’être efforcée de réparer en partie le mal qu’elle avait fait, elle voulut faire plus encore, et avec cette hypocrisie particulière à la femme, peut-être sincère en réalité tant sa pitié pour le Chico était grande, elle ajouta:

– Tu me resteras, toi, mon Chico, et je t’aimerai bien, va… Nul ne le mérite plus que toi.

Cette espérance qu’elle lui donnait, sans y croire elle-même peut-être, lui mit la joie dans l’âme, et, pour achever de l’affoler, elle se pencha sur lui, posa chastement ses lèvres sur son front et dit en le poussant doucement dehors:

– Va, Chico. Fais ce que tu pourras. Moi, je vais tâcher de reposer un peu en t’attendant.

XXIV SUITE DES AVENTURES DU NAIN

Le nain s’en fut à petits pas, la tête penchée sur sa poitrine, plongé dans des pensées qui l’absorbaient entièrement. Il allait sans appréhension. Qu’aurait-il redouté? Tout ce qu’il y avait de mendiants, de vagabonds, de gens de sac et de corde dans Séville – et Dieu sait s’il y en avait! – connaissaient le Chico. Tous ces bons bougres étaient trop unis contre l’ennemi commun à exploiter ou à dévaliser pour se chercher noise entre eux.

Le petit homme ne craignait donc rien, si ce n’est la rencontre d’une ronde de nuit. Mais il avait la vue perçante, l’ouïe très fine; il était vif et leste comme un singe, et, en cas d’alerte, l’exiguïté de sa taille lui permettait de se faire un abri de tout ce qu’il rencontrait sur sa route: borne, tronc d’arbre ou simple trou. Là où un homme ordinaire eût été infailliblement découvert, il était sûr, lui, de se terrer à temps.

S’il était sans appréhension, par contre il était très perplexe.

Remué jusqu’au fond de l’âme par la plainte de Juana disant qu’elle mourrait de la mort de Pardaillan, le Chico, sans mesurer la portée de ses paroles, avait promis de le rechercher et le ramener vivant, laissant ainsi entendre qu’il était persuadé que le chevalier était vivant.

Or c’était tout le contraire. Chico avait de bonnes raisons de croire que celui qu’il considérait comme un rival avait été proprement occis. Aussi, tout en marchant sous le ciel étoilé, il bougonnait, l’air furieux:

– J’avais bien besoin de promettre de le chercher! Que vais-je faire maintenant? Le Français, c’est certain, à l’heure qu’il est, son corps doit rouler dans les flots du Guadalquivir, et c’est bien fait pour lui! C’est bien fait! Tiens! Pourquoi est-il venu me voler le cœur de Juana?

Sans le savoir, il avait ainsi pris nombre de gestes, d’attitudes et d’expressions de la jeune fille. Juana était, à peu près, deux fois plus grande que lui, ce qui ne l’empêchait pas d’être petite elle-même, ce dont elle enrageait du reste. Aussi, non contente de se hausser sur de grands talons effilés et cambrés, elle redressait sa taille souple et fine et avait une manière à elle de porter haut la tête qui était un charme de plus ajouté à sa gracieuse petite personne.

Sans s’en douter, El Chico avait pris le même port de tête, et comme elle il bombait la poitrine et se redressait fièrement sans perdre une ligne de sa taille d’homuncule. Juana ayant l’habitude de trépigner quand on la contrariait ou qu’elle était en colère, le nain faisait de même, sans s’en apercevoir.

Ayant ainsi manifesté ses sentiments contre son rival, il reprit le cours de ses réflexions.

«Je ne suis pas une bête, tiens! J’ai bien compris que les hommes de Centurion avaient préparé une embuscade dans la maison où je le conduisais. Si don César n’a rien trouvé, c’est que le corps a été jeté dans le fleuve. C’est sûr. Tiens! la princesse n’aurait pas complaisamment laissé visiter sa maison si elle n’avait pas pris toutes ses précautions. À moins que…»

Il réfléchit un moment, l’index posé au coin des lèvres, sur lesquelles se jouait un sourire rusé.

«À moins que le Français ne soit enfermé dans une des caches secrètes de la maison. Tiens! c’est qu’il y en a des caches dans cette maison, et je ne les connais pas toutes. Mais pourquoi? Qu’en ferait-on, en ce cas? Qui sait si on ne le relâchera pas un de ces jours!»

Cette idée lui parut absurde. Il haussa les épaules et reprit:

«Non! ce n’est pas pour le relâcher que la princesse l’a attiré chez elle! Et si moi, Chico, j’étais assez stupide pour aller le lui demander, à cette belle princesse, comme j’en ai eu l’idée quand j’ai vu pleurer Juana, qu’arriverait-il?… On m’enverrait rejoindre le Français voilà! Aussi je n’irai pas. Pas si bête, tiens.»

Il s’arrêta un instant et réfléchit:

«Pourtant j’ai promis à Juana. Alors, que faire? Aller visiter les caches que je connais?… Et si, par malheur, je trouve le Français vivant! Il faudrait donc le prendre par la main et le conduire à petite maîtresse?… Moi!… Est-ce possible?…»

Une expression d’angoisse inexprimable crispa ses traits et, farouche, il pensa:

«Un vrai homme n’aurait pas cet affreux courage. Parce que je suis petit et faible, il faudrait que je l’aie, moi! Il me faudrait, refoulant mes sentiments, m’arracher le cœur moi-même et le jeter pantelant sous les pieds de ma maîtresse! Allons donc! C’est injuste, cela!… Je suis un homme aussi, moi, tiens! je ne suis pas un saint!»

Ces raisonnements n’arrivaient pourtant pas à le convaincre, et il murmura, d’un air rêveur:

– Je suis un homme et je suis riche maintenant, et je suis bien fait, m’a-t-on dit, et à part ma petitesse je n’ai nulle infirmité ni monstruosité. Pourquoi une femme ne voudrait-elle pas de moi? Juana, si grande près de moi, hélas! est toute petite, à ce qu’on dit. Si elle le voulait, je ferais d’elle la femme la plus heureuse du monde. Je l’aime tant! Je la gâterais tant! Oui, mais je suis petit, voilà! Alors personne ne veut de moi, elle pas plus qu’une autre. Pourquoi? Parce que le monde se moquerait de la femme qui oserait prendre pour époux un nain!… Ils ont tout dit quand ils ont dit ce mot!… Je suis condamné à ne jamais être aimé? à ne jamais avoir de foyer? Eh bien, soit! J’y consens. Mais du moins que ma maîtresse me reste comme devant. Qu’elle ne me demande pas de lui amener moi-même son galant. Non! c’est trop! je ne peux pas!