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– Je suis chargé de dire à Votre Majesté que l’original se trouve entre les mains de Mme la princesse Fausta, laquelle, accompagnée de S. E. le cardinal Montalte, doit être, à l’heure présente, en route vers l’Espagne pour le remettre aux mains de Sa Majesté Catholique.

– Ensuite, monsieur?

– C’est tout, Sire. Le souverain pontife a cru devoir donner à Votre Majesté ce témoignage de son amitié en l’avertissant. Quant au reste, le Saint-Père connaît trop bien la vaste intelligence de Votre Majesté pour n’être pas assuré que vous saurez prendre telles mesures que vous jugerez utiles.

Henri IV inclina la tête en signe d’adhésion. Puis, après un léger silence, en fixant Ponte-Maggiore:

– Le cardinal Montalte n’est-il pas parent de Sa Sainteté?

Le duc s’inclina.

– Alors?

– Le cardinal Montalte est en état de rébellion ouverte contre le Saint Père! dit rudement Ponte-Maggiore.

– Bien!…

Et s’adressant à un des deux secrétaires:

– Rusé, conduisez M. le duc auprès de M. le chevalier de Pardaillan, et faites en sorte qu’ils se puissent entretenir librement. Puis, quand ils auront terminé, vous m’amènerez M. de Pardaillan.

Et, avec un gracieux sourire:

– Allez, monsieur l’ambassadeur, et n’oubliez pas qu’il me sera agréable de vous revoir avant votre départ.

Quelques instants après, Ponte-Maggiore se trouvait en tête-à-tête avec le chevalier de Pardaillan, assez intrigué au fond, mais dissimulant sa curiosité sous un masque d’ironie et d’insouciance.

– Monsieur, dit le chevalier d’un ton très naturel, vous plairait-il de me dire ce qui me vaut l’insigne honneur que veut bien me faire le Saint-Père en m’adressant, à moi, pauvre gentilhomme sans feu ni lieu, un personnage illustre tel que M. le duc de Ponte-Maggiore et Marciano?

– Monsieur, Sa Sainteté m’a chargé de vous faire savoir que la princesse Fausta est vivante… vivante et libre.

Le chevalier eut un imperceptible tressaillement et, tout aussitôt:

– Tiens! tiens! Mme Fausta est vivante!… Eh bien, mais… en quoi cette nouvelle peut-elle m’intéresser?

– Vous dites, monsieur? dit Ponte-Maggiore abasourdi.

– Je dis: qu’est-ce que cela peut me faire à moi, que Mme Fausta soit vivante? répéta le chevalier d’un air si ingénument étonné que Ponte-Maggiore murmura:

– Oh! mais… il ne l’aime donc pas?… Mais alors ceci change bien les choses!

Pardaillan reprit:

– Où se trouve la princesse Fausta, en ce moment?

– La princesse est en route pour l’Espagne.

– L’Espagne! songea Pardaillan, le pays de l’Inquisition!… Le génie ténébreux de Fausta devait fatalement se tourner vers cette sombre institution de despotisme… oui, c’était fatal!

– La princesse porte à Sa Majesté Catholique un document qui doit assurer le trône de France à Philippe d’Espagne.

– Le trône de France?… Peste! monsieur. Et qu’est-ce donc, je vous prie, que ce document qui livre ainsi tout un pays?

– Une déclaration du feu roi Henri troisième, reconnaissant Philippe II pour unique héritier.

Un instant, Pardaillan resta plongé dans une profonde méditation, puis relevant sa tête fine et narquoise:

– Est-ce tout ce que vous aviez à me dire de la part de Sa Sainteté?

– C’est tout, monsieur.

– En ce cas, veuillez m’excuser, monsieur, mais S. M. le roi Henri m’attend, comme vous savez… Veuillez donc transmettre à Sa Sainteté l’expression de ma reconnaissance pour le précieux avis qu’elle a bien voulu me faire passer et agréer pour vous-même les remerciements de votre très humble serviteur.

* * * * *

Henri IV avait accueilli la communication de Ponte-Maggiore avec une impassibilité toute royale, mais en réalité, le coup était terrible et à l’instant il avait entrevu les conséquences funestes qu’il pouvait avoir pour lui.

Il avait aussitôt convoqué en conseil secret ceux de ses fidèles qu’il avait sous la main, et lorsque le chevalier fut introduit, il trouva auprès du roi, Rosny, du Bartas, Sancy et Agrippa d’Aubigné, accourus en hâte.

Dès que le chevalier eut pris place, le roi, qui n’attendait que lui, fit un résumé de son entretien avec Ponte-Maggiore et donna lecture de la copie que Sixte Quint lui avait fait remettre.

Pardaillan, qui savait à quoi s’en tenir, n’avait pas bronché. Mais chez les quatre conseillers ce fut un moment de stupeur indicible aussitôt suivi de cette explosion:

– Il faut le détruire!…

Seul, Pardaillan ne dit rien. Alors le roi, qui ne le quittait pas des yeux:

– Et vous, monsieur de Pardaillan, que dites-vous?

– Je dis comme ces messieurs, sire: Il faut reprendre ce parchemin ou c’en est fait de vos espérances, dit froidement le chevalier.

Le roi approuva d’un signe de tête, et fixant le chevalier comme s’il eût voulu lui suggérer la réponse qu’il souhaitait, il murmura:

– Quel sera l’homme assez fort, assez audacieux, assez subtil pour mener à bien une telle entreprise?

D’un commun accord, comme s’ils se fussent donné le mot, Rosny, Sancy, du Bartas, d’Aubigné se tournèrent vers Pardaillan. Et cet hommage muet, venu d’hommes illustres ayant donné des preuves éclatantes de leur mérite à la guerre ou dans l’intrigue, cet hommage fut si spontané, si sincère que le chevalier se sentit doucement ému. Mais se raidissant, il répondit avec cette simplicité si remarquable chez lui:

– Je serai donc celui-là.

– Vous consentez donc? Ah! chevalier, s’écria le Béarnais, si jamais je suis roi… roi de France… je vous devrai ma couronne!

– Eh! sire, vous ne me devrez rien…

Et avec un sourire étrange:

– Mme Fausta, voyez-vous, est une ancienne connaissance à moi à qui je ne serai pas fâché de dire deux mots… Je tâcherai donc de faire en sorte que ce document n’arrive jamais aux mains de Sa Majesté Catholique… Quant aux moyens à employer…

– Monsieur, interrompit vivement le roi, ceci vous regarde seul… Vous avez pleins pouvoirs.

Pardaillan eut un sourire de satisfaction.

Le roi réfléchit un instant, et:

– Pour faciliter autant que possible l’exécution de cette mission forcément occulte, mais qui doit aboutir coûte que coûte, il est nécessaire que vous soyez couvert par une autre mission, officielle, celle-là. En conséquence, vous irez trouver le roi Philippe d’Espagne et vous le mettrez en demeure de retirer les troupes qu’il entretient dans Paris.

Et se tournant vers son secrétaire:

– Rusé, préparez des lettres accréditant M. le chevalier de Pardaillan comme notre ambassadeur extraordinaire auprès de S. M. Philippe d’Espagne. Préparez, en outre, des pleins pouvoirs pour M. l’ambassadeur.

Pardaillan, mélancolique et résigné, songeait:

– Allons! il était écrit que je finirais dans la peau d’un diplomate!… Mais que dirait monsieur mon père si, sortant du tombeau, il voyait son fils promu à la dignité d’ambassadeur extraordinaire?