Cela fit une excavation si basse qu’il dut baisser la tête pour la franchir. Il alluma une chandelle, dont la lueur vacillante éclaira faiblement le trou dans lequel il venait de pénétrer.
C’était un petit réduit, pratiqué dans l’épaisseur de la muraille. Ce réduit pouvait avoir six pieds de long sur trois de large. Il était assez haut pour qu’un homme de taille moyenne pût se tenir debout sans toucher la voûte.
Il y avait là-dedans une caisse élevée sur quatre pieds qui l’isolaient du sol, recouvert de sable fin. La caisse était bourrée de paille fraîche, et sur cette paille deux petits matelas étaient étendus. Des draps blancs et des couvertures achevaient de lui donner l’apparence d’un lit confortable.
Il y avait une autre caisse aménagée comme un buffet. Il y avait un petit coffre solide, muni de grosses serrures, s’il vous plaît, une petite table, deux petits escabeaux, de menus ustensiles de ménage, tout cela reluisant de propreté. On eût dit l’intérieur d’une poupée.
C’était le palais d’El Chico.
Le réduit était aéré par un soupirail devant lequel El Chico avait installé lui-même et rudimentairement un volet de bois.
Ayant allumé sa chandelle, le nain eut la précaution de pousser le volet, afin que la lumière ne trahît pas sa présence au cas où il eût pris fantaisie à la princesse ou à ses gens de descendre dans les caves qui donnaient de l’autre côté.
Mais il ne referma pas la plaque qui masquait l’entrée de sa demeure. Il était si sûr que nul ne le pouvait surprendre par là!
Le Chico posa son sac d’or sur sa table, s’assit sur un de ses escabeaux et, les coudes sur la table, la tête dans les mains, il se mit à réfléchir.
Ce que Fausta appréhendait si vivement s’était réalisé. Pardaillan n’était pas mort par le poison.
Après quelques heures d’un sommeil qui ressemblait à la mort, le réveil se fit très lentement. Pardaillan se mit sur son séant et considéra d’un œil trouble l’étrange lieu où il se trouvait. Sous l’influence des émanations soporifiques dont l’air avait été saturé, son cerveau engourdi subissait comme une sorte d’ivresse qui abolissait la mémoire et paralysait l’intelligence.
Peu à peu, ces effets stupéfiants se dissipèrent, le cerveau se dégagea, la mémoire lui revint; il retrouva toute sa conscience, et avec elle, il retrouva ce sang-froid et cette confiance en soi qui le faisaient si redoutable.
Il ne fut d’ailleurs pas étonné de se voir vivant. Il s’y attendait.
Pardaillan, en effet, n’était pas un trompeur, ou pour parler le langage du jour: ce n’était pas un bluffeur. C’était, au contraire, un sincère et un convaincu. C’est très sincèrement convaincu qu’il avait dit à Fausta qu’il échapperait au poison et sortirait de son sépulcre.
Pourquoi? D’où lui venait cette conviction?
Il eût probablement été bien embarrassé de l’expliquer. Le certain, c’est qu’il avait cette conviction et qu’il ne cherchait pas à savoir d’où elle lui venait.
Tout autre que lui se fût gardé de le dire. Mais Pardaillan n’était pas qu’un sincère. C’était aussi un esprit très simple, d’une franchise et d’une loyauté déconcertantes. Ce n’était vraiment pas sa faute si cette franchise et cette loyauté passaient aux yeux de certains pour de la diplomatie, voire de la roublardise. Cela tenait uniquement à ceci, que certaines natures retorses sont incapables de comprendre la simplicité, la bonté et la loyauté.
Pardaillan pensait – et du diable s’il savait pourquoi – qu’il échapperait au hideux supplice que lui réservait Fausta. Le pensant, il le disait sans même songer aux conséquences fâcheuses que sa franchise pouvait avoir.
Donc, ayant recouvré ses esprits, il ne fut pas étonné de voir qu’il avait échappé au poison. Il gouailla:
– Mme Fausta joue vraiment de malheur avec moi! Son poison a fait long feu. Je le lui avais bien dit! Maintenant il ne me reste plus qu’à réaliser la seconde partie de ma prédiction qui est, si j’ai bonne mémoire, que je dois sortir d’ici avant que la faim et la soif ne m’aient terrassé, ainsi qu’en a décidé cette bonne Mme Fausta qui me comble vraiment de ses attentions.
Sortir d’ici, comme disait si simplement le chevalier, apparaissait pourtant comme une entreprise plutôt chimérique. Il n’y pensa pas un instant et murmura:
– Voyons! depuis ce matin je me débats dans une foule de lieux divers qui sont des merveilles de mécanique, comme dit M. d’Espinosa.
«Ce serait bien du diable si ce tombeau n’était pas quelque peu machiné. Au surplus, je connais ma Fausta, et il me paraît invraisemblable qu’elle ne se soit pas réservé quelque voie secrète par où il lui soit possible de s’assurer qu’elle me tient toujours. Cherchons donc.
Et il se mit à chercher méthodiquement, minutieusement, patiemment, autant que cela lui était possible dans la nuit opaque qui l’enveloppait.
Mais, depuis la veille, il n’avait pris aucun repos. Sans doute, aussi, le narcotique avait considérablement affaibli ses forces, car il dut s’arrêter au bout de quelques instants.
– Diable! fit-il, m’est avis que voilà une recherche qui pourrait être plus longue et plus laborieuse que je ne le jugeais de prime abord. C’est le poison de Mme Fausta qui casse ainsi les jambes. Ne nous épuisons pas inutilement. Laissons l’effet se dissiper entièrement en nous reposant un peu.
Ayant décidé, faute de siège, il s’assit sur son manteau plié sur les dalles et attendit le retour de ses forces. En attendant, il étudiait la topographie de son cachot de son mieux, afin de faciliter, autant que possible, les recherches matérielles par des déductions.
Après un repos assez long, il jugea ses forces suffisantes pour reprendre son travail.
Et tout à coup, au lieu de se lever, il se coucha tout de son long, l’oreille collée contre les dalles. Il se redressa presque aussitôt et, restant à terre, appuyé sur ses mains, avec un sourire narquois, il murmura:
– Pardieu! ou je me trompe fort, ou voici qui va m’éviter de longues recherches. Si c’est Mme Fausta qui, pour en finir, m’envoie…
Il s’interrompit, la sueur de l’angoisse au front.
– S’ils sont plusieurs, et c’est probable, songea-t-il, aurai-je la force de lutter?
Il s’accroupit sur les talons et se mit silencieusement à faire jouer les articulations de ses bras.
– Bon! fit-il avec un sourire de satisfaction, s’ils ne sont pas trop nombreux, on pourra peut-être s’en tirer.
Et il se rencogna contre le mur, l’oreille tendue, l’œil attentif, prêt à l’action.
Il vit une dalle, là, devant lui, osciller légèrement. Vivement il s’approcha, se cala solidement sur les genoux et attendit.
Maintenant la dalle, poussée par une main invisible, se soulevait lentement et, en se soulevant, elle masquait Pardaillan accroupi.
Sans bouger de place, il tendit ses mains, prêtes à se refermer sur le cou de l’ennemi qu’il attendait là, à l’orifice du trou béant.
Ses mains ne s’abattirent pas.
Au lieu des hommes armés qu’il attendait, Pardaillan, étonné, vit surgir un petit diable qu’il reconnut aussitôt, car il murmura avec ébahissement: