– Le petit nain!… Est-il seul? Que vient-il faire ici?
Comme s’il eût voulu le renseigner, le nain s’écria à haute voix:
– Enfin! me voilà chez moi!
«Chez lui! pensa Pardaillan en regardant autour de lui. Il ne couche pourtant pas dans ce tombeau!»
La dalle se refermait automatiquement, mais il ne s’en occupait plus maintenant. Il avait changé d’idée. Il n’avait d’yeux que pour El Chico.
«Que diable fait-il donc? pensait-il.»
El Chico, qui, on le voit, avait commis une grave imprudence en ne se retournant pas, ouvrait la porte – si l’on peut ainsi dire – de son logis et allumait sa chandelle.
– Ah! ah! fit Pardaillan émerveillé, voici donc ce qu’il appelle son chez lui! Du diable si j’aurais jamais trouvé le secret de ces ouvertures. Mais voici un petit bout d’homme que je ne serais pas fâché d’étudier d’un peu près!
El Chico avait – deuxième imprudence – laissé sa porte ouverte. En rampant, Pardaillan s’approcha de l’ouverture et jeta un coup d’œil indiscret dans l’intérieur. Il ne put s’empêcher d’éprouver une sorte d’admiration pour l’ingéniosité déployée par le petit homme dans l’aménagement de son mystérieux retrait.
«Pauvre petit bougre! pensa le chevalier apitoyé. Comment peut-il vivre là-dedans? Est-il possible qu’une créature humaine, parce qu’elle est faible et solitaire, en soit réduite à vivre dans une tombe, sans air, sans lumière, pour se mettre à l’abri de la méchanceté de ces loups dévorants que sont les hommes!»
Emporté par son cœur généreux, Pardaillan oubliait ses préventions contre le nain et qu’il le soupçonnait véhémentement d’avoir participé à le mettre dans la situation précaire où il se trouvait. Sa bonté naturelle faisait taire son ressentiment et il n’éprouvait plus qu’une immense pitié pour le pauvre déshérité.
Le nain s’était assis devant sa table et il tournait le dos à l’ouverture par laquelle Pardaillan pouvait l’observer à loisir. Le Chico était du reste à mille lieues de soupçonner qu’on l’épiait.
Après être resté un long moment pensif, il allongea la main vers le sac et le vida sur la table.
«Peste! songea Pardaillan en entendant le bruit de l’or remué, ce petit mendiant est riche comme feu Crésus. Où a-t-il pris cet or?»
Comme pour le renseigner, le Chico dit:
– Les cinq mille livres y sont bien. La princesse n’a pas menti.
«De mieux en mieux, se dit Pardaillan, il est cousu d’or et il connaît des princesses. Il ne reste plus qu’à apprendre qu’il est lui-même un prince métamorphosé en nain par quelque méchant enchanteur.»
Une idée lui passant soudain par l’esprit, une lueur de colère s’alluma dans son œil.
– Triple sot! fit-il. Cette princesse, c’est Fausta… Cet or, c’est le prix de mon sang… C’est pour toucher cet or que ce misérable avorton m’a conduit dans le traquenard où j’ai donné tête baissée. Je ne sais ce qui me retient de l’étriller comme il le mérite.
Le nain replaça son or dans le sac qu’il ficela solidement, puis il alla à son coffre, en tira une poignée de pièces d’argent qu’il déposa sur la table. Il vida ensuite la bourse qu’il tenait de la générosité de don César et fit son compte à haute voix.
– Cinq mille cent livres, plus quelques réaux, dit-il.
Il était debout devant la table, et Pardaillan le voyait de profil!
«Il a l’air lugubre, pensa le chevalier. Cinq mille livres constituent pourtant un assez joli denier. Serait-ce un avare?»
– Je suis riche! répéta le Chico d’un air morne.
Et, avec colère:
– À quoi me sert cette fortune? Juana ne voudra jamais de moi, puisqu’elle aime le Français!
«Oh! diable! s’écria Pardaillan dans son for intérieur. Voici du nouveau, par exemple! Je commence à comprendre maintenant. Ce n’est pas un avare, c’est un amoureux… et un jaloux. Pauvre petit diable!»
– Et le Français est mort! continua le Chico.
«Je suis mort? Je veux bien, moi!… C’est inimaginable ce que je rencontre de gens qui veulent à toute force me voir dûment cloué entre quatre planches! C’est assommant, à la longue!»
– Que vais-je faire de tout cela?… Puisque je ne puis avoir Juana, eh bien, j’emploierai cet or en cadeaux pour elle. Il y a de quoi en acheter, des bijoux et des casaques richement brodées, et des robes, et des écharpes, et des mantilles, et des mignons souliers en satin et même en cuir de Cordoue souple et parfumé… Il y en aura!… Et ma Juana! Dieu! qu’elle sera belle… et heureuse! Elle qui aime tant la toilette!
Il rayonnait, le Chico.
«Où diable l’amour va-t-il se nicher? pensa Pardaillan.»
La joie du nain tomba soudain. Il râla:
– Non! Je ne veux même pas avoir cette joie. Juana s’étonnerait de me voir si riche. C’est qu’elle est fine, tiens! Elle devinerait peut-être d’où m’est venue ma richesse. Elle me chasserait, elle me jetterait mes cadeaux au visage en me traitant d’assassin. Non! cet or est maudit, c’est le prix du sang et je ne puis m’en servir… J’aurai été inutilement criminel!
Et d’un geste furieux, il balaya le sac qui alla rouler sur les dalles.
«Tiens! tiens! fit Pardaillan, dont l’œil pétilla, il me plaît ce bout d’homme!»
Le Chico allait et venait avec agitation dans son petit réduit. Il s’arrêta devant l’ouverture, l’œil perdu dans le vague, le sourcil froncé, et il murmura:
– Assassin… Juana l’a dit: je suis un assassin… Au même titre que ceux qui ont tué le Français… plus… Tiens! sans moi, il ne serait pas mort… C’est comme si je l’avais tué de mes mains… Je n’avais pas pensé à cela, moi. La jalousie me rendait fou… Et maintenant que ma maîtresse a prononcé ce mot terrible: assassin! je comprends et je me fais horreur!…
Pardaillan ne perdait pas une de ces paroles et il suivait avec une attention passionnée les phases du combat qui se livrait dans l’esprit du nain.
Celui-ci reprit à haute voix le cours de ses réflexions coupées par les apartés du chevalier:
– Le Français n’est peut-être pas mort?
– C’est à quoi il eût fallu songer d’abord! railla Pardaillan.
– Il est peut-être encore possible de le sauver. Je l’ai promis à Juana.
– Je ne pensais pas que cette petite Juana pût s’intéresser si vivement à moi!
– Si le Français est mort, Juana mourra et moi je mourrai de la mort de Juana.
– Mais non, mais non! Je ne veux pas toutes ces morts sur ma conscience, morbleu!
– Si le Français est vivant et que je le sauve…
– Ceci est mieux!… Voyons, que fais-tu en ce cas?
– Juana sera heureuse… Le Français l’aimera.
– Non, cornes du diable! Je ne l’aimerai pas, niais!
Comme s’il eût entendu, Chico reprit:
– Comment ne pas l’aimer? Elle est si jolie!
– La peste soit des amoureux! Ils sont tous les mêmes! Ils se figurent que l’univers entier n’a d’yeux que pour l’objet de leur flamme.