– Le Français l’aimera et alors je mourrai.
– Encore! Décidément, c’est une manie!
– Qu’importe après tout! Est-ce que je compte? J’aurai réparé le mal que j’aurai fait. Je ne serai plus un assassin. Ma maîtresse me devra son bonheur. Je pourrai m’en aller content, je serai regretté!
– Superbe idée, par ma foi! et bien digne de cette espèce de fou qui s’appelle un amoureux.
– C’est dit. Je vais fouiller toutes les caches que je connais.
– Bon! Tu n’iras pas loin, dit Pardaillan en riant sous cape.
Et sans faire de bruit, il se retira au fond du cachot, s’enroula dans son manteau, s’étendit sur les dalles et parut dormir profondément. Le nain continua:
– Si je ne le trouve pas… s’il est mort… demain j’irai le réclamer à la princesse.
Et avec un sourire douloureux:
– Nul doute qu’elle ne m’envoie le rejoindre. Ainsi Juana ignorera toujours l’horrible vérité. Elle croira que je suis mort en cherchant à le sauver et elle me pleurera.
Il grommela encore quelques mots vagues, et brusquement il éteignit chandelle et sortit en disant:
– Allons!
Tout de suite la tache noire que faisait Pardaillan étendu sur les dalles blanches attira ses regards. Il frissonna:
– Le Français!
Il blêmit et se sentit défaillir. Il ne s’attendait pas à le trouver si vite… Là surtout… Il s’inquiéta:
– Comment ne l’ai-je pas vu en entrant? Ah! oui, la dalle le masquait et je ne me suis pas retourné. Aussi, comment supposer… Et moi qui ai parlé tout haut!…
Il s’approcha doucement de Pardaillan qui le guignait du coin de l’œil tout en paraissant profondément endormi.
«Serait-il mort? songea le nain.»
Cette pensée le fit frémir, sans qu’il eût pu dire si c’était de joie ou d’appréhension. Il ne savait plus rien, le petit nain, sinon que sa tête était vide de pensées, que son pauvre petit cœur saignait affreusement.
Entre le mal et le bien, la lutte avait été longue et rude. Maintenant le bien triomphait définitivement: il était bien résolu à sauver son rival, et cependant on l’eût fort étonné en lui disant qu’il accomplissait un acte héroïque. Il ne pensait qu’une chose, lui: c’est qu’il ne voulait pas que Juana le détestât et le traitât d’assassin. Et puisqu’il fallait donner sa vie pour cela, il trouvait très naturel de la donner. Voilà tout. Le reste ne comptait pas.
Il s’approcha encore de Pardaillan et il perçut le bruit rythmé de sa respiration.
– Il dort! fit-il.
Et malgré la jalousie qui le déchirait, il ne put se tenir de rendre un hommage mérité à son rival, car il murmura en hochant doucement la tête:
– Il est brave. Il dort et il doit cependant savoir ce qui l’attend et qu’il peut être frappé pendant son sommeil. Oui, il est brave, et c’est peut-être pour cela que Juana l’aime.
Et sans amertume, sans envie, comme une simple constatation:
– Moi aussi, si j’étais fort comme lui, je serais brave… il me semble, du moins.
El Chico ne se doutait pas que celui dont il admirait la bravoure, tout en feignant de dormir, l’admirait lui-même pour une bravoure qu’il ne soupçonnait pas.
XXV OÙ LE CHICO SE DÉCOUVRE UN AMI
Le nain se pencha sur le chevalier et le toucha à l’épaule.
Celui-ci feignit se réveiller en sursaut. Il le fit d’une manière si naturelle qu’El Chico s’y laissa prendre. Pardaillan se mit aussitôt sur son séant et ainsi placé, il dominait encore d’une bonne moitié de tête le nain debout devant lui.
– Le Chico? s’exclama Pardaillan, étonné.
Et d’un air apitoyé, il ajouta:
– Te voilà donc prisonnier aussi, pauvre petit! Tu ne sais pas quel horrible supplice nous est réservé.
– Je ne suis pas prisonnier, seigneur Français, dit le Chico avec gravité.
– Tu n’es pas prisonnier! s’écria Pardaillan, au comble de l’étonnement. Mais alors que fais-tu ici, malheureux? N’as-tu pas entendu: c’est la mort, une mort hideuse, qui nous attend.
Le Chico parut faire un effort, et d’une voix sourde:
– Je suis venu vous chercher, dit-il.
– Pour quoi faire?
– Pour vous sauver, tiens!
– Pour me sauver? Ah! diable!… Tu sais donc comment on sort d’ici, toi?
– Je le sais, seigneur. Tenez, voyez!
En disant ces mots, le Chico s’approchait de la porte de fer et, sans chercher, il appuyait sur un des nombreux clous énormes qui rivaient les plaques épaisses.
Le chevalier qui, sans bouger, le regardait faire, frémit en songeant:
«Quel temps précieux j’aurais perdu en recherches vaines avant de songer à la porte!»
Cependant la dalle s’était soulevée sans bruit.
– Voilà! dit simplement le Chico.
– Voilà! répéta Pardaillan avec son air le plus naïf. C’est par là que tu es venu pendant que je dormais?
Le Chico fit signe que oui de la tête.
– Je n’ai rien entendu. Et c’est par là que nous allons nous en aller?
Nouveau signe de tête affirmatif.
– Tu n’es pas très bavard, remarqua Pardaillan, qui sourit en songeant que l’instant d’avant, quand il se croyait seul, le nain s’était montré moins avare de ses paroles.
– Il vaudrait mieux partir tout de suite, seigneur, dit le Chico.
– Nous avons le temps, dit Pardaillan avec flegme. Tu savais donc que j’étais enfermé ici? Car tu m’as bien dit, n’est-ce pas, que tu étais venu me chercher?
Cette question parut embarrasser le nain qui s’abstint d’y répondre.
– Tu me l’as bien dit, pourtant, insista le chevalier.
– Je l’ai dit. La vérité est que si je vous cherchais, j’ignorais que vous fussiez ici.
– Alors pourquoi y es-tu venu? Qu’y fais-tu?
Toutes ces questions mettaient le nain dans un cruel embarras. Pardaillan ne paraissait pas le remarquer. El Chico aux abois lâcha:
– C’est ici mon logis, tiens!
Il n’avait pas plutôt dit qu’il regrettait ses paroles.
– Ici? dit Pardaillan incrédule. Tu veux rire! Tu ne loges pas dans cette manière de sépulcre?
Le nain fixa le chevalier. El Chico n’était pas un sot. Il haïssait Pardaillan, mais sa haine n’allait pas jusqu’à l’aveuglement. Sans le savoir, un vague instinct lui faisait entrevoir confusément ce qui était beau, réprouver ce qui était laid ou vil. S’il avait pu, il aurait tué Pardaillan en qui il voyait un rival heureux, et il n’eût éprouvé aucun remords de ce meurtre. Il avait cependant senti ce qu’il y avait eu de bas dans le fait de conduire son rival à la mort pour une somme d’argent. Et lui, pauvre diable, vivant de rapines ou de la charité publique, il avait rejeté avec dégoût cet or primitivement accepté! Il haïssait Pardaillan. Cependant, il avait rendu hommage à la bravoure de son ennemi dormant paisiblement, ayant la mort à son chevet. Il haïssait Pardaillan; mais en considérant cette physionomie étincelante de loyauté, et où il lui semblait démêler une expression de pitié attendrie, il comprit d’instinct que l’homme possesseur d’une telle physionomie devait avoir le cœur trop haut placé pour le trahir, lui chétif.