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Pardaillan passa sa main sur son front ruisselant de l’effort soutenu, et en riant, du bout des lèvres:

– Eh bien, mes braves, qu’attendez-vous? Chargez donc, morbleu! Vous savez bien que je suis seul et sans arme!

Mais comme en disant ces mots il plaçait son pied sur la banquette qui se trouvait à sa portée, les autres, malgré les objurgations de Centurion, restèrent cois.

Alors Pardaillan se mit à rire plus fort, et s’apercevant que plusieurs rapières s’étalaient à ses pieds, il se baissa tranquillement, ramassa celle qui lui parut la plus longue et la plus solide, et, la faisant siffler, de son air railleur, il leur lança:

– Allez, drôles! le chevalier de Pardaillan vous fait grâce!

Et se tournant vers Fausta, sans plus s’occuper d’eux:

– À vous revoir, princesse! lui cria-t-il.

Il fit un demi-tour méthodique, et lentement, sans se retourner, comme s’il eût été sûr qu’on n’oserait inquiéter sa sortie, il se dirigea vers la muraille qui fermait le fond de la salle, dans ce coin où il avait plu à Fausta de le placer parce qu’elle se croyait certaine qu’il n’y avait là aucune issue.

Arrivé au mur, il frappa dessus trois coups du pommeau de la rapière qu’il venait de ramasser.

La muraille s’ouvrit d’elle-même.

Avant de sortir, il se retourna, Centurion et ses hommes, revenus de leur stupeur, se lançaient à sa poursuite. Les trois ordinaires eux-mêmes, le voyant armé, chargeaient de leur côté.

Le rire clair de Pardaillan fusa plus ironique que jamais. Il lança:

– Trop tard! mes agneaux.

Et il sortit, sans se presser, la tête haute.

Quand la bande hurlante et menaçante arriva, elle se heurta à la muraille qui s’était refermée d’elle-même.

Honteux, furieux, enragés, ils se mirent à frapper le mur à coups redoublés. Trois hommes de Centurion soulevèrent péniblement une de ces banquettes que le chevalier avait maniée avec tant de facilité apparente, et s’en servirent de bélier sans réussir davantage à ébranler le mur.

Exténués, ils se résignèrent à abandonner la poursuite, et piteux, ils se rangèrent autour de Fausta. Centurion surtout était très inquiet. Il s’attendait à des reproches sanglants, et bien que, personnellement, il se fût comporté bravement, il se demandait comment elle allait prendre cette défaite honteuse.

Sainte-Maline, Chalabre, Montsery n’étaient pas très rassurés non plus. Certes, leur geste avait été chevaleresque et ils ne le regrettaient pas, mais enfin, Fausta les payait pour tuer Pardaillan et non pour faire assaut de galanterie et de générosité avec lui.

Ils se tenaient donc raides, comme à la parade, attendant l’averse avec une mélancolique résignation.

À la grande surprise de tous, Fausta ne fit aucun reproche. Elle savait, elle, que Pardaillan devait sortir vainqueur de la lutte. La défaite de ses hommes ne pouvait donc ni la surprendre ni l’indigner. Ils avaient fait ce qu’ils avaient pu, elle les avait vus manœuvrer. S’ils avaient été battus, c’est qu’ils s’étaient heurtés à une force surnaturelle. Ils eussent été trois fois plus nombreux, ils eussent subi le même sort: c’était fatal. Dès lors, à quoi bon se fâcher?

Donc Fausta se contenta de dire:

– Ramassez ces hommes, qu’on leur donne les soins que nécessite leur état. Vous distribuerez à chacun cent livres à titre de gratification. Ils ont fait ce qu’ils ont pu, je n’ai rien à dire.

Une rumeur joyeuse accueillit ces paroles. En un clin d’œil les éclopés furent enlevés, et il ne resta que Centurion et les trois ordinaires.

– Messieurs, leur dit Fausta, veuillez m’attendre un moment dans le couloir.

Silencieusement les quatre hommes s’inclinèrent et sortirent, la laissant seule.

Longtemps, Fausta resta immobile sur la banquette où elle s’était assise cherchant, combinant, mettant en œuvre toutes les ressources de son esprit si fertile en inventions de toutes sortes.

Que voulait-elle? Peut-être ne le savait-elle pas très bien elle-même. Toujours est-il que de temps en temps elle prononçait un mot, toujours le même:

– La folie!…

Et après avoir prononcé ce mot, elle se replongeait dans sa méditation.

Enfin, ayant sans doute trouvé la solution tant cherchée, elle se leva, rejoignit ses gardes du corps et remonta dans ses appartements.

Tandis que les ordinaires, sur un signe d’elle, s’installaient dans le vestibule, elle pénétra dans son cabinet, suivie de Centurion à qui elle donna des instructions claires et minutieuses, ensuite de quoi le bravo quitta la maison des Cyprès et rentra dans Séville en marchant d’un pas allongé.

Fausta attendit dans son cabinet. Son attente ne fut pas longue, d’ailleurs, car une demi-heure à peine s’était écoulée depuis le départ de Centurion, que la litière de Fausta l’attendait devant le perron, et une partie de ses gens allaient et venaient dans la maison.

Il faisait jour maintenant. Fausta monta dans sa litière, qui s’ébranla aussitôt, sans qu’elle eût besoin de donner aucun ordre. Autour de la litière caracolaient ses gardes ordinaires: Montsery, Chalabre, Sainte-Maline, et derrière venait une imposante escorte de cavaliers armés jusqu’aux dents.

La litière pénétra dans l’Alcazar et s’arrêta devant les appartements réservés à Mgr le grand inquisiteur.

Quelques instants plus tard, Fausta était introduite auprès d’Espinosa, avec qui elle eut une longue et secrète conversation. Sans doute ces deux puissants personnages arrivèrent-ils à s’entendre, sans doute Fausta obtint ce qu’elle voulait, car lorsqu’elle sortit, reconduite jusqu’à sa litière par d’Espinosa lui-même, un sourire de triomphe errait sur ses lèvres et une lueur de contentement rendait ses yeux noirs plus brillants.

Et pour ceux qui connaissaient la princesse, la satisfaction qui éclatait sur son visage ne pouvait provenir du grand honneur que lui faisait le grand inquisiteur: Fausta était accoutumée à recevoir les hommages des plus grands parmi les plus grands.

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Avril 2008

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