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– Nous acceptons ce rôle, monsieur de Bussi-Leclerc… Mais la princesse a donc des ennemis si puissants, si terribles, qu’il lui faut trois gardes du corps tels que nous?

– Ne vous ai-je pas prévenus?… Il y aura bataille.

– C’est vrai, mordieu! Bataille donc!

– Il vous reste à nous désigner ces ennemis.

– La princesse n’a qu’un ennemi, dit Bussi, soudain grave.

– Un ennemi!… Et on nous engage tous les trois! Vous voulez plaisanter?

– La princesse, et vous trois, et moi, et d’autres encore, nous ne serons pas de trop pour faire face à cet ennemi-là.

– Oh! oh!… C’est vous, monsieur de Bussi-Leclerc, qui prononcez de telles paroles?

– Oui, monsieur de Chalabre. Et j’ajoute: malgré tous nos efforts réunis, je ne suis pas sûr que nous en viendrons à bout! fit Bussi toujours grave.

Les trois se regardèrent, impressionnés.

– C’est donc le diable en personne? dit Sainte-Maline.

– C’est celui qui, détenu à la Bastille, a enfermé le gouverneur à sa place, dans son cachot; c’est celui qui, ensuite, s’est emparé de la forteresse et a délivré tous les prisonniers. Et vous le connaissez comme moi, car si j’étais le gouverneur, vous étiez, messieurs, au nombre de ces prisonniers.

– Pardaillan!

Ce nom jaillit des trois gorges en même temps, et au même instant, les trois furent debout, se regardant, effarés, bouclant d’un geste machinal leurs ceinturons qu’ils avaient dégrafés, comme si l’ennemi eût été là, prêt à fondre sur eux.

– Je vois, messieurs, que vous commencez à comprendre qu’il n’est plus question de plaisanter.

– Pardaillan! C’est lui que nous devons combattre?… C’est lui que nous devons tuer?…

– C’est lui!… Pensez-vous encore que nous serons trop de quatre?

– Pardaillan!… Oh diable!… Nous lui devons la vie, après tout.

– Oui, mais tu oublies que nous avons acquitté notre dette…

– C’est vrai, au fait!

– Décidez-vous, messieurs. Êtes-vous à Fausta? Marchez-vous contre Pardaillan?

– Eh bien, mordieu! oui, nous sommes à Fausta! Oui, nous marchons contre Pardaillan!…

– Je retiens cet engagement, messieurs. Et maintenant, je bois à la princesse Fausta et à ses ordinaires. Je bois au triomphe de Fausta et au succès de ses ordinaires!

– À Fausta! aux ordinaires de Fausta! reprit le trio en cœur.

– Et maintenant, messieurs, en route!

– Où allons-nous, monsieur?

– En Espagne!

IX CONJONCTION DE PARDAILLAN ET DE FAUSTA

Bussi-Leclerc, Montsery, Sainte-Maline et Chalabre traversèrent la France, franchirent les Pyrénées sans encombre, et pénétrèrent dans la Catalogne où ils espéraient sinon rencontrer Fausta, du moins trouver ses traces.

Ils s’arrêtèrent à Lérida, autant pour y prendre un instant de repos que pour se renseigner.

À l’auberge, avant même de mettre pied à terre, Bussi s’informa et l’aubergiste répondit:

– L’illustre princesse dont parle Votre Seigneurie a daigné s’arrêter dans notre ville. Elle est partie, voici une heure environ, se dirigeant sur Saragosse pour, de là, gagner Madrid, résidence habituelle de la cour de notre sire, le roi Philippe, qui la préfère à Tolède, l’antique capitale des Castilles, maintenant déchue.

Et sur une nouvelle question de Bussi:

– La princesse voyage en litière. Vous n’aurez pas de peine à la rejoindre.

Ces renseignements précieux étant acquis, ils mirent pied à terre, et:

– Mes compagnons et moi, nous sommes affamés et nous étranglons de soif… Y a-t-il à manger chez vous?… La moindre des choses…

– Dieu merci! nous avons des provisions, seigneur. De quoi satisfaire les plus délicats et les plus affamés, répondit l’aubergiste, non sans orgueil.

– Vivedieu! servez-nous ce que vous avez de meilleur en ce cas. Et ne ménagez ni le vin, ni les victuailles.

L’instant d’après, l’hôte posait sur une table: du pain, une outre rebondie, trois oignons énormes, une épaule de mouton bouillie et un grand plat rempli de pois chiches cuits à l’eau, et se tournant vers les voyageurs:

– Vos Seigneuries sont servies… Et, pardieu! ce n’est pas souvent que nous servons pareil festin!

– Mordiable! bougonna Montsery, c’est cette maigre pitance qu’il appelle un festin!

– Ne soyons pas trop exigeants, dit Bussi-Leclerc, et tâchons de nous habituer à cette cuisine, car c’est à peu près ce que nous rencontrerons partout… D’ailleurs, au besoin, nous nous rattraperons sur les pâtisseries et les confitures, qui sont généralement exquises.

Au bout d’une heure, les quatre compagnons enfourchèrent leurs montures, se lancèrent sur les traces de Fausta, et bientôt, ils eurent la satisfaction d’apercevoir sa litière que des mules, richement caparaçonnées, traînaient d’un pas nonchalant mais sûr.

Bordée de bruyère brûlée par les rayons implacables d’un soleil éblouissant, la route pierreuse côtoyait le flanc de la montagne, enjambait une sorte de petit plateau d’où la vue s’étendait au loin, plongeait brusquement et, sinueuse, s’en allait traverser la plaine qui s’étendait à perte de vue, roussie, monotone, sans une prairie, sans un bois, sans rien sur quoi l’œil pût se reposer.

Fausta et son escorte apparurent sur le plateau et s’immobilisèrent un instant, dans un flamboiement de lumière.

Devant elle, très loin, un cavalier, lancé à toute allure, semblait accourir à sa rencontre.

Devant elle, elle venait de reconnaître Bussi-Leclerc, et elle songeait:

«Bussi-Leclerc ici!… Que vient faire Bussi-Leclerc en Espagne?»

Au même instant, elle faisait un signe, et Montalte, qui se tenait à cheval près de la litière, se courba sur l’encolure du cheval pour écouter:

– Cardinal, vous laisserez approcher ces cavaliers… au cas où ils auraient à me parler.

Montalte saluait, allait se mettre à la tête de l’escorte, donnait ses ordres.

Et Fausta s’immobilisa, sur les coussins de la litière, en une pose de grâce et de majesté, et cependant, irrésistiblement, comme attirés par quelque fluide mystérieux, ses yeux se portèrent sur le cavalier, dans la plaine, là-bas, point noir qui grossissait peu à peu.

Bussi-Leclerc et les ordinaires s’arrêtèrent devant la litière et, le chapeau à la main, attendirent que Fausta les interrogeât. Alors:

– Est-ce donc après moi que vous courez, monsieur de Bussi-Leclerc?

Bussi s’inclina.

Fausta le considéra une seconde, et sans manifester ni surprise ni émotion:

– Voyons, monsieur, qu’avez-vous à me dire?

– Je vous suis envoyé par Mme l’abbesse des bénédictines de Montmartre.

– Claudine de Beauvilliers n’a donc pas oublié Fausta?

– On ne saurait oublier la princesse Fausta quand on a eu l’honneur de l’approcher, ne fût-ce qu’une fois.

Bussi fit une pause pour juger de l’effet de sa réponse, qu’il trouvait, lui, assez galante.

Impassible, Fausta reprit:

– Que me veut Mme l’abbesse?

– Vous faire connaître que S. M. Henri de Navarre est au courant des moindres détails de la mission que vous allez accomplir auprès de Philippe d’Espagne… Il y a de longues années, madame, que le Béarnais rêve de s’asseoir sur le trône de France et qu’il prépare ses voies. Aujourd’hui, il se croit sur le point de voir ses rêves se changer en réalité. Et c’est à ce moment que vous intervenez pour lui susciter un compétiteur redoutable qui peut anéantir à jamais ses espérances… Prenez garde, madame! Henri de Navarre ne reculera devant aucune extrémité pour vous arrêter et vous briser… Prenez garde! On vient à vous!