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– On lui a fait connaître la volonté du roi. El Torero participera à la course, répondit Espinosa de sa voix calme.

Se tournant vers Fausta, avec un air de galanterie sinistre chez lui:

– Vous ne connaissez pas El Torero, madame? demanda Philippe. C’est le premier toréador d’Espagne. C’est un innovateur, une manière d’artiste dans son genre. Il est adoré de toute l’Andalousie. Vous ne savez pas ce qu’est une course de taureaux? Eh bien, je vous réserve une place à mon balcon. Venez, madame, vous verrez un spectacle intéressant… Tel que vous n’avez jamais rien vu de semblable, insista-t-il avec la même intonation qui avait déjà frappé Fausta.

Et ses paroles étaient accompagnées d’un geste de congé, aussi gracieux qu’il pouvait l’être chez un tel personnage.

Fausta se leva donc et dit simplement:

– J’accepte avec joie, Sire.

Au même instant, la porte s’ouvrit et un huissier annonça:

– M. le chevalier de Pardaillan, ambassadeur de S. M. le roi Henri de Navarre.

Et tandis que Fausta, malgré, elle, restait clouée sur place, tandis que le roi la fixait avec cette insistance qui décontenançait les plus intrépides et les plus grands de son royaume, et que le plus grand inquisiteur se rencoignait, toujours calme, l’étudiant de son coin avec une attention soutenue, le chevalier s’avançait d’un pas assuré, la tête haute, le regard droit, avec cet air de simplicité ingénue qui masquait ses véritables impressions, s’arrêtait à quatre pas du roi et s’inclinait avec cette grâce altière qui lui était particulière.

Mais, en traversant la vaste salle, les yeux fixés sur les yeux du roi qui s’efforçait – comme il avait coutume de faire – de le contraindre à baisser la paupière, Pardaillan songeait: «Mordieu! Voici donc, de près, ce redoutable sire… D’où vient donc que je ne suis pas ébloui?… J’en tiens pour ce que j’ai dit: c’est un triste sire.»

Et un fugitif sourire vint arquer ses lèvres narquoises tandis que d’un coup d’œil rapide il dévisageait Barba Roja, immobile et rêveur dans son encoignure, et Espinosa, plus près.

Et à la vue de cette physionomie calme, presque souriante, il murmura:

– Celui-là, c’est le véritable adversaire que j’aurai à combattre. Celui-là, seul, est redoutable.

Le résultat de ces réflexions, rapides comme un éclair, fut qu’Espinosa, observateur attentif, n’aurait pu dire si la révérence de cet extraordinaire ambassadeur s’adressait au roi, à Fausta, qui le fixait de ses yeux ardents, ou à lui-même.

Et le grand inquisiteur, de son côté, murmura:

– Voici un homme!

Et son œil calme semble peser tour à tour Fausta et Philippe, revient de nouveau se poser sur Pardaillan, et alors il a une moue imperceptible qui semble dire:

– Heureusement, je suis là, moi!

Et il se rentre dans son coin davantage encore, s’efface le plus qu’il peut.

Et, en se courbant avec cette élégance naturelle, quelque peu hautaine, qui constituait à elle seule une flagrante infraction aux règles de la rigide étiquette espagnole, Pardaillan songeait encore: «Ah! tu cherches à me faire baisser les yeux!… Ah! tu t’es découvert devant Mme Fausta et tu remets ton chapeau pour recevoir l’envoyé du roi de France!… Ah! tu fais trancher la tête du téméraire qui ose parler devant toi sans ta permission!… Mordiable! tant pis…»

Et faisant deux pas rapides vers Fausta, qui se retirait lentement, avec ce sourire de naïveté aiguë qui faisait qu’on ne savait pas s’il plaisantait:’

– Quoi! vous partez, madame?… Restez donc!… Puisque le hasard nous met tous les trois en présence, nous pourrons ainsi régler d’un coup nos petites affaires.

Ces paroles, dites avec une cordiale simplicité, produisirent l’effet de la foudre.

Fausta s’arrêta net et se retourna, fixant tour à tour Pardaillan, comme si elle ne le connaissait pas, et le roi pour deviner s’il n’allait pas foudroyer à l’instant l’audacieux qui osait une telle inconvenance.

Le roi devint plus livide encore; son œil gris lança un éclair et se porta aussitôt sur Espinosa comme pour dire: Quel homme est-ce là?

Barba Roja, lui-même, se redressa, porta la main à la garde de son épée et regarda le roi, attendant l’ordre de frapper.

Espinosa, en réponse à l’interrogation muette du roi, eut un haussement d’épaules et un geste qui signifiaient:

– Je vous ai averti… Laissez faire… Nous réglerons tout quand il en sera temps.

Et le roi Philippe II, acceptant le conseil de son inquisiteur, intéressé malgré lui peut-être par la hardiesse et la bravoure étincelantes de ce personnage qui ressemblait si peu à ses courtisans, toujours courbé devant lui, Philippe se taisait; mais en lui-même il murmurait: «Voyons jusqu’où ira l’insolence de ce routier!»

Et son regard restait fulgurant; l’expression de sa physionomie, de glaciale qu’elle était, se faisait terrible.

Fausta, oubliant qu’elle avait congé, oubliant le roi lui-même, fixait sur Pardaillan un regard résolu, prête à relever le défi – et cependant d’un esprit trop supérieur pour ne pas admirer intérieurement.

Chez Espinosa, l’admiration se traduisait par cette réflexion: «Il faut que cet homme soit à nous à tout prix!»

Barba Roja, lui, s’étonnait que le roi ne lui eût pas fait signe déjà.

Seul Pardaillan souriait de son sourire naïf, ne paraissait pas soupçonner le moins du monde la tempête déchaînée par son attitude et qu’il jouait sa tête.

Et avec la même simplicité, la même rondeur souriante, se tournant vers le roi:

– Je vous demande pardon, Sire, je manque peut-être à l’étiquette, mais mon excuse est dans ce fait que notre sire, le roi de France (et il insistait sur ces derniers mots) nous a habitués à une large tolérance sur ces questions, quelque peu puériles.

La position risquait de devenir ridicule, c’est-à-dire terrible pour le roi. Il fallait, de toute nécessité, réprimer ce qui lui apparaissait comme une insolence, ou l’écraser de son dédain. Or, puisqu’il avait résolu de patienter, il lui fallait absolument répondre.

– Faites, monsieur, comme si vous étiez devant le roi de France, dit-il, en insistant à son tour sur ces derniers mots, d’une voix blanche de fureur concentrée et sur un ton qui eût fait rentrer sous terre tout autre que Pardaillan.

Mais Pardaillan en avait vu et entendu bien d’autres. Pardaillan était dans un de ses moments de bonne humeur. Pardaillan, enfin, avait résolu de piquer l’orgueil de ce roi qui lui déplaisait outrageusement.

Il ne rentra donc pas sous terre, mais il s’inclina avec grâce et avec, au coin de l’œil, l’intense jubilation de l’homme qui s’amuse follement.

– Je remercie Votre Majesté de la permission qu’elle daigne m’accorder avec tant de bonne grâce, dit-il. Figurez-vous que je suis curieux de voir de près certain parchemin que possède Mme la princesse Fausta. Mais curieux à tel point, Sire, que je n’ai pas hésité à traverser la France et l’Espagne tout exprès pour satisfaire cette curiosité que vous partagez, j’en jurerais, attendu que ce parchemin n’est pas dénué d’intérêt pour vous.

Et tout à coup, avec cette froide tranquillité qu’il prenait parfois:

– Ce parchemin, je suis certain que vous l’avez demandé à Mme Fausta, je suis certain qu’elle vous a répondu qu’elle ne l’avait pas sur elle, qu’il était placé en lieu sûr… Eh bien! c’est faux… Ce parchemin est là…

Et, tendant le bras, il touchait presque le sein de la papesse du bout de son index.

Et le ton était d’une assurance si irrésistible, le geste à la fois si imprévu et si précis que, de nouveau, l’espace de quelques secondes, le silence pesa lourdement sur les acteurs de cette scène rapide.