– J’oserai tout… si je n’obtiens de vous ce que je suis venu demander.
– Et que veux-tu?
– Je veux…
– Allons, ose! puisque tu es en veine d’audace insensée!
– Je veux… eh bien, je veux la grâce de Fausta.
Le pape eut un mouvement de surprise, puis, songeant qu’elle était morte, un sourire:
– La grâce de Fausta?
– Oui, Saint-Père, dit Montalte courbé.
– La grâce de Fausta?… Soit!
Le pape choisit un parchemin parmi les nombreux papiers rangés sur sa table, et, très posément, le remplit et le signa d’une main ferme.
Pendant que le pape écrivait, Montalte, d’un coup d’œil rapide, parcourait le parchemin qu’il venait de lui arracher.
– Voici la grâce, dit Sixte Quint, grâce pleine et entière. Et maintenant que tu as obtenu ce que tu voulais, rends-moi ce parchemin, et va-t’en… va-t’en… À toi aussi, fils de ma sœur bien-aimée, je fais grâce!
– Saint-Père, avant de vous rendre ce parchemin, un mot: si vous avez signé cette grâce, c’est que vous croyez Fausta morte… Eh bien, vous vous trompez, mon oncle, Fausta n’est pas morte!
– Fausta vivante?
– Oui! car je l’ai sauvée en lui faisant prendre moi-même le contrepoison qui l’a rappelée à la vie.
Sixte Quint resta un moment rêveur, puis:
– Eh bien, soit! Après tout, que m’importe Fausta vivante?… Elle ne peut plus rien contre moi. Sa puissance religieuse est morte en même temps que naissait son enfant… Mais toi, qu’espères-tu donc d’elle?… As-tu fait ce rêve insensé que tu pourrais être aimé de Fausta?… Triple fou!… Sache donc, malheureux, que tu attendriras le marbre le plus dur avant que d’attendrir le cœur de Fausta.
Et gravement:
– Il n’y a pas deux Pardaillan au monde!
Montalte ferma les yeux et pâlit.
Plus d’une fois, en effet, il avait songé en grinçant à ce Pardaillan inconnu qui avait été aimé de Fausta. Et alors il avait senti une haine mortelle et tenace l’envahir. Alors des imprécations furieuses étaient montées à ses lèvres. Alors des pensées de meurtre et de vengeance étaient venues le hanter. Et d’une voix morne, il répondit:
– Je n’espère rien. Je ne veux rien… si ce n’est sauver Fausta… quant à ce parchemin, ajouta-t-il rudement, je vais le remettre à Fausta qui ira le porter, elle, à Philippe d’Espagne à qui il appartient… Et pour plus de sûreté j’accompagnerai la princesse.
Sixte Quint eut un geste de rage. La pensée de paraître céder à des menaces à peine déguisées lui était insupportable. Bravant le poignard de Montalte, il allait appeler, lorsqu’il se souvint que ce parchemin, somme toute, il l’avait lui-même retiré de la flamme où il hésitait à le jeter. L’instant d’avant il était irrésolu, cherchant une solution. Cette solution, sans le vouloir, Montalte la lui indiquait peut-être… Pourquoi pas?… Après tout, qu’importait le messager: Fausta ou comparse, pourvu qu’il n’arrivât pas à destination? Sa résolution fut prise. Il répondit:
– Peut-être as-tu raison. Et puisque j’ai fait grâce à toi et à elle, va!…
Un quart d’heure plus tard, Montalte rejoignait Espinosa et lui disait:
– Monseigneur, j’ai le parchemin.
L’œil froid de l’inquisiteur eut comme une lueur aussitôt éteinte, et toujours calme:
– Donnez, monsieur.
– Monseigneur, avec votre agrément, la princesse Fausta ira le porter à S. M. Philippe d’Espagne… C’est là, je crois, ce qui vous importe le plus.
Espinosa fronça légèrement le sourcil, et:
– Pourquoi la princesse Fausta?
– Parce que je vois là un moyen de la préserver de tout nouveau danger, dit fermement Montalte en le regardant en face.
Espinosa réfléchit une seconde, puis:
– Soit, monsieur le cardinal. L’essentiel, en effet, est, comme vous le dites, que ce document parvienne à mon souverain le plus tôt possible.
– La princesse partira dès que ses forces lui permettront d’entreprendre le voyage… Je puis vous assurer que le parchemin parviendra à destination, car j’aurai l’honneur de l’accompagner moi-même.
– En effet, dit sérieusement Espinosa, la princesse sera bien gardée.
– Je le crois aussi, monseigneur, répondit froidement Montalte.
IV LE RÉVEIL DE FAUSTA
Lorsque Fausta revint à elle, ce fut d’abord, dans son esprit, un prodigieux étonnement. Sa première pensée fut que Sixte Quint n’avait pas permis qu’elle échappât à la hache du bourreau. Le cri de Montalte, clamant sa joie de la voir vivante, était si vibrant de passion qu’elle voulut savoir quel était l’homme qui l’aimait à ce point. Elle ouvrit les yeux et reconnut le neveu du pape. Elle les referma aussitôt et pensa:
«Celui-là, a obtenu de Sixte qu’il me fît grâce de la vie… Que m’est la vie à présent que morte est mon œuvre et que Pardaillan n’est plus! Que suis-je, à présent? Néant. Je dois retourner au néant. Avant ce soir ce sera fait!»
Cette résolution prise, elle écouta et alors elle comprit qu’elle s’était trompée. Non! Sixte Quint n’avait pas fait grâce. Montalte, seul, au prix de quelque infamie héroïquement consentie, avait accompli ce miracle de l’arracher à Sixte et à la mort. Aussitôt, elle entrevit tout le parti qu’elle pourrait tirer d’un pareil dévouement. Mais à quoi bon!… Elle voulait, elle devait mourir!
Malgré tout, elle ne put se désintéresser de ce qui se disait près d’elle Qu’était-ce que ce document?… Quel rapport entre elle et ce parchemin?…
Elle sentit qu’on la touchait à l’épaule… on lui parlait… Elle ouvrit les yeux et fixa Espinosa. Et, au fur et à mesure, son esprit réfutait ses arguments.
Son fils?… Oui! Sa pensée s’est déjà portée vers l’innocente créature. Il vit… Il est libre… C’est là le point capital… quant au reste: mieux vaut sa mère morte qu’ensevelie vivante dans un cachot.
Et soudain, comme un coup de tonnerre, ces mots répétés dans son esprit éperdu:
– Pardaillan vivant!
Deux mots évocateurs d’un passé d’enivrante passion… et de luttes mortelles! Ce passé qui lui semblait si éloigné!… et qui, cependant, était si proche, puisque quelques mois à peine la séparaient du moment où elle avait voulu faire périr Pardaillan, dans l’incendie du palais Riant!… Ce Pardaillan si haï… et tant adoré!…
Quel passé!…
Elle: riche, souveraine, puissante et adulée, vaincue, brisée, meurtrie dans toutes ses entreprises. Lui: pauvre, gentilhomme sans feu ni lieu, vainqueur par la force de son génie d’intrigue et de son cœur généreux. Et, suprême humiliation, son amour à elle, la vierge d’orgueil, son amour dédaigné!…
Pardaillan vivant!… Mais alors la mort, pour Fausta, ce serait la fuite devant l’ennemi! Et Fausta n’a jamais fui!… Non, elle ne veut plus mourir… Elle vivra pour reprendre le tragique duel interrompu et sortir enfin triomphante de ce suprême combat.
C’est à ce moment que Montalte s’approcha d’elle.
Pendant qu’il se courbait, elle l’étudiait d’un coup d’œil prompt et sûr, et tout de suite, comme si elle eût toujours été la souveraine redoutée – ou peut-être pour bien marquer, dès le début, la distance infranchissable qu’elle entendait établir entre eux – cette femme étrange qui semblait échapper à toutes les faiblesses, à toutes les fatigues, se redressa en une majestueuse attitude, et d’une voix qui ne tremblait pas!
– Vous avez à me parler, cardinal? Je vous écoute.
En même temps ses yeux noirs se posaient sur ceux de Montalte, étrangement dominateurs et pourtant graves et doux.