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Toutefois, sans se laisser intimider par la valetaille il commanda, sur un ton qui n’admettait pas de résistance, au premier venu de ces escogriffes, d’aller demander à sa maîtresse si elle consentait à recevoir don César, gentilhomme castillan.

Sans hésiter, le laquais répondit avec déférence:

– Sa Seigneurie l’illustre princesse Fausta, ma maîtresse, n’est pas en ce moment à sa maison de campagne. Elle ne saurait en conséquence recevoir le seigneur don César.

«Bon! pensa le Torero, cette illustre princesse s’appelle Fausta C’est toujours un renseignement.»

Et tout haut:

– J’ai besoin de voir la princesse Fausta pour une affaire du plus haut intérêt et qui ne souffre aucun retard. Veuillez me dire où je pourrai la rencontrer.

Le laquais réfléchit une seconde et:

– Si le seigneur don César veut bien me suivre, j’aurai l’honneur de le conduire auprès de M. l’intendant qui pourra peut-être le renseigner.

Le Torero, à la suite du laquais, traversa une enfilade de pièces meublées avec un luxe inouï, dont il n’avait jamais eu l’idée.

«Oh! oh! songeait-il, je comprends les exclamations admiratives de don Miguel. Il faut que cette princesse soit puissamment riche pour s’entourer d’un luxe pareil. Et quand je pense que ces trésors sont restés toute une nuit sans défense, à la portée du premier malandrin venu, je me dis qu’il faut que cette princesse soit singulièrement dédaigneuse de ces richesses… ou qu’un mobile très puissant, que je ne devine pas, la guide à mon endroit, puisque c’est pour m’être agréable, pour me permettre d’arriver jusqu’à Giralda, qu’elle a consenti à laisser ces merveilles à l’abandon.»

En songeant de la sorte, il était parvenu au premier étage et était entré dans une chambre confortablement meublée. C’était la chambre de M. l’intendant à qui le laquais expliqua ce que désirait le visiteur et se retira aussitôt après.

M. l’intendant était un vieux bonhomme tout ridé, tout courbé, tout confit en douceur, d’une politesse obséquieuse.

– Le laquais qui vous a conduit à moi, dit cet important personnage, me dit que vous vous appelez don César. Je pense que ceci n’est que votre prénom… Excusez-moi, monsieur, avant de vous conduire près de mon illustre maîtresse, j’ai besoin de savoir au moins votre nom… Vous comprendrez cela, je l’espère.

Très froid, le jeune homme répondit:

– Je m’appelle don César, tout court. On m’appelle aussi le Torero.

À ce nom, l’intendant se courba en deux et tout confus murmura:

– Pardonnez-moi, monseigneur, je ne pouvais pas deviner… Je suis au désespoir de ma maladresse; j’espère que monseigneur aura la bonté de me la pardonner… La princesse est menacée dans ce pays, et je dois veiller sur sa vie… Si monseigneur veut bien me suivre, j’aurai l’insigne honneur de conduire monseigneur auprès de la princesse qui attend la visite de monseigneur avec impatience, je puis le dire.

Devant ce respect outré, sous cette avalanche de «monseigneur» inattendue, le Torero demeura muet de stupeur. Il jeta les yeux autour de lui pour voir si ce discours ne s’adressait pas un autre. Il se vit seul avec M. l’intendant. Alors il regarda celui-ci comme pour s’assurer s’il avait bien tout son bon sens. Et il dit doucement, comme s’il avait craint de l’exciter en le contrariant:

– Vous vous trompez, sans doute. Je vous l’ai dit: je m’appelle don César, tout court, et je n’ai aucun droit à ce titre de monseigneur que vous me prodiguez si abondamment.

Mais le vieil intendant secoua la tête et, se frottant les mains à s’en écorcher les paumes:

– Du tout! du tout! dit-il. C’est le titre auquel vous avez droit… en attendant mieux.

Le Torero pâlit et, d’une voix étranglée par l’émotion:

– En attendant mieux?… Que voulez-vous donc dire?

– Rien que ce que j’ai dit, monseigneur. La princesse vous expliquera elle-même. Venez, monseigneur, elle vous attend et elle sera bien contente… oui, je puis le dire, bien contente.

– En ce cas, conduisez-moi auprès d’elle, dit le Torero qui se dirigea vers la porte.

– Tout de suite! monseigneur, tout de suite! acquiesça l’intendant qui se hâta de prendre son chapeau, son manteau et se précipita à la suite du Torero.

Hors la maison, l’intendant précéda don César et, trottinant à pas rapides et menus, il le conduisit en ville, sur la place San-Francisco, déjà encombrée d’une foule bruyante, avide d’assister au spectacle promis.

Si le pavé de la place était envahi par une masse compacte de populaire, les tribunes, les balcons, les fenêtres qui entouraient la place n’étaient pas moins garnis. Mais là, c’était la foule élégante des seigneurs et des nobles dames.

Tous et toutes, nobles et manants attendaient avec la même impatience sauvage.

Au centre de la place se dressait le bûcher, immense piédestal de fascines et de bois sec sur lequel devaient prendre place les sept condamnés. Autour du bûcher, un triple cordon de moines sinistres, immobiles comme des statues, la cagoule rabattue, attendaient, la torche à la main, que les victimes leur fussent livrées pour communiquer le feu aux fascines. Et, en attendant, des torches allumées, une fumée âcre s’échappait en volutes épaisses, s’élevait en tourbillonnant et empestait l’air devenu difficilement respirable.

Nul ne s’en montrait incommodé, au contraire. Cette fumée, c’était comme le prélude de la fête. Tout à l’heure, l’encens viendra se mêler à elle, les flammes s’élèveront claires et gigantesques et purifieront tout.

Face au bûcher se dressait l’autel construit sur la place même. En temps ordinaire cet autel s’ornait d’une croix sur laquelle un Christ de bronze ciselé tendait ses bras implorants, levait vers le ciel des yeux vitreux qui semblaient le prendre à témoin de la méchanceté des hommes. Aujourd’hui l’autel est paré de riches dentelles, tendu de fine lingerie, d’une blancheur immaculée, enguirlandé, fleuri, illuminé comme pour une grande fête: et c’était en effet jour de grande fête.

Du haut de la grosse tour du couvent de San-Francisco, proche, sans discontinuer, le glas tombait lent, lugubre, sinistre, affolant. Il annonçait que la fête était commencée, c’est-à-dire que les condamnés, les juges, les moines, les confréries, la cour, le roi, tout ce qui constituait l’abominable cortège, sortait de la cathédrale pour traverser processionnellement les principales voies de la ville, toutes aussi encombrées de curieux, avant d’aboutir à la place où les victimes, du haut de leur bûcher, devaient assister à la célébration de la messe, avant que les moines bourreaux ne missent le feu aux fascines. Il continuera de tinter, ce glas, jusqu’à la fin de la cérémonie, c’est-à-dire jusqu’à ce que le feu ait accompli son œuvre en dévorant les corps des suppliciés.

Et les cris de joie, les interpellations, les grasses plaisanteries, les imprécations, les malédictions à l’adresse des hérétiques, les hurlements de fauves, les trépignements d’impatience, les rires hystériques éclataient, fusaient, bourdonnaient, rebondissaient parmi cette foule endimanchée.

Oui, c’était une grande fête!

La haine, la fureur, l’impatience, la joie, une joie hideuse, tels étaient les sentiments qui éclataient sur toutes ces faces convulsées. Pas un mot de pitié, pas une protestation.