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Au moment où nous pénétrons dans cette petite pièce, très simplement meublée, Fausta terminait un long entretien qu’elle venait d’avoir avec le Torero.

– Madame, disait le Torero d’une voix très triste, croyant m’amener à accepter vos propositions et levant certains scrupules que j’avais, vous avez eu la cruauté de me faire connaître la douloureuse et sombre vérité sur ma naissance. Peut-être eût-il été plus humain de me laisser ignorer cette fatale vérité!… N’importe, le mal est fait, il n’y a plus à y revenir… Mais votre but n’est pas atteint. À quoi bon vous obstiner inutilement? Je ne suis pas le frénétique ambitieux que vous avez souhaité. Je n’éprouve aucune jouissance malsaine à la pensée de dominer mes semblables et, maintenant plus que jamais, je suis résolu à ne pas me dresser contre celui qui est et restera, pour moi, le roi… pas autre chose. Mon ambition, madame, est de me retirer dans ce beau pays de France avec mon ami M. de Pardaillan, et de tâcher de me faire ma place au soleil. Le rêve de ma vie est de finir mes jours avec la compagne que j’ai choisie. Celle-là n’a pas votre incomparable beauté, elle n’a ni titres ni richesses, elle n’a même pas un nom à elle… Mais je l’aime… et cela suffit.

– Oh! gronda Fausta avec rage, aurai-je donc toujours cette cruelle déception, croyant m’adresser à des hommes, de ne rencontrer que des femmes… de misérables et faibles femmes, qui ne vivent que de sentiments!… Pourquoi ne suis-je pas un homme moi-même?…

– Eh! madame, ne faites pas fi du sentiment. Il nous aide diantrement à trouver la vie supportable.

Comme si elle n’avait pas entendu, Fausta continua:

– Ce Pardaillan que tu veux suivre, misérable insensé, ce Pardaillan, l’homme du sentiment par excellence, sais-tu seulement ce qu’il est devenu?

– Que voulez-vous dire? s’exclama le Torero qui ignorait l’arrestation du chevalier.

– Mort! dit Fausta d’une voix glaciale. Mort, ce Pardaillan dont la pernicieuse influence t’a soufflé ta stupide résistance. Mort fou… fou furieux… Ah! ah! ah! un fou furieux était tout désigné pour servir de modèle à cet autre fou que tu es toi-même! Et c’est moi, moi Fausta, qui l’ai acculé à la folie, moi qui l’ai précipité dans le néant.

– Par le Christ! madame, si ce que vous dites est vrai, votre…

D’un geste violent, Fausta l’interrompit.

– Tu m’écouteras jusqu’au bout, gronda-t-elle. Et n’oublie pas qu’au moindre geste que tu feras, tu tomberas pour ne plus te relever… Ces murs ont des yeux et des oreilles… et je suis bien gardée… César… puisque tu t’appelles César. Quant à ta bien-aimée… cette misérable bohémienne pour qui tu refuses le trône que je t’offre… eh bien!… sache-le donc, misérable fou, elle est morte… morte, entends-tu?… morte déshonorée, salie par les baisers de Barba-Roja… Sois donc fidèle à son souvenir… Peut-être, toi aussi, à l’imitation de Pardaillan le fou, as-tu résolu de vivre éternellement fidèle au souvenir d’une morte… une morte souillée!

D’un bond le Torero fut sur elle et lui saisit le poignet, et avec des yeux de dément, il lui cria dans la figure:

– Répétez, répétez ces infâmes paroles… et, j’en jure Dieu, votre dernière heure est venue… Vous ne pourrez plus jamais vous vanter d’avoir assassiné personne.

Fausta ne sourcilla pas. Elle ne chercha pas à se dégager de son étreinte. Seulement, la main libre alla fouiller dans son sein et en sortit un mignon petit poignard.

– Une simple piqûre de ceci, dit-elle froidement, et tu es mort. La pointe de ce stylet a été plongée dans un poison qui ne pardonne pas.

Et profitant de sa stupeur, elle se dégagea d’un geste brusque, et s’adossant à la cloison, de sa voix implacable, elle reprit:

– Je répète: Pardaillan est mort fou… et c’est mon œuvre… Ta fiancée est morte souillée!… et c’est encore mon œuvre… Et toi tu vas mourir désespéré… et ce sera mon œuvre, encore, toujours!…

En disant ces mots, elle actionna le ressort qui ouvrait la porte secrète et, sans se retourner, elle fit un bond en arrière.

Elle se heurta à une poitrine humaine. Un homme était là… derrière cette porte secrète qu’elle croyait être seule à connaître… Un homme qui avait entendu, peut-être, ce qu’elle venait de dire. Qui était cet homme? Peu importait: L’essentiel était qu’il disparût. Elle leva le bras armé du poignard empoisonné et l’abattit dans un geste foudroyant.

Sa main fut happée au passage par une autre main, une tenaille vivante qui lui broya le poignet et l’obligea à lâcher l’arme mortelle, ensuite de quoi la tenaille la ramena dans le cabinet, cependant qu’une voix narquoise qu’elle reconnaissait enfin disait:

– J’entends parler de mort, de poison, de folie, de torture, que sais-je encore! J’imagine que Mme Fausta doit avoir un entretien d’amour… Toutes les fois que Fausta parle d’amour, elle prononce le mot: mort.

À ces paroles, à cette apparition inattendue, un double cri, jeté sur un ton différent, retentit:

– Pardaillan!…

– Moi-même, madame, fit Pardaillan, qui resta devant la porte secrète comme pour en interdire l’approche à Fausta.

Et de cette voix blanche qu’il avait dans ses moments de colère terrible, il reprit:

– Mon compliment, madame, ceux que vous tuez se portent assez bien, Dieu merci!… Et quant à la folie furieuse dont vous parliez tout à l’heure… peut-être suis-je fou, en effet, mais c’est du désir impérieux de vous écraser comme une bête venimeuse que vous êtes… Puissé-je être foudroyé sur l’heure plutôt que d’injurier et menacer une femme!… Mais vous, madame, j’ai eu beau m’opiniâtrer à voir en vous une femme et vous traiter comme telle, vous vous êtes acharnée à me prouver, de mille et une manières, que vous étiez un monstre vomi par l’enfer… Il me faut bien me rendre à l’évidence et vous traiter en conséquence.

– Pardaillan!… vivant… répéta Fausta.

– Vivant, morbleu! bien vivant, madame… Aussi vivant que cette jolie Giralda que vous aviez condamnée et qui n’a pas été souillée par l’illustre Barba-Roja, attendu que la main que voici l’a proprement expédié dans un autre monde… avant qu’il eût pu consommer l’attentat odieux que vous aviez prémédité… N’avez-vous pas proclamé que tout cela était votre œuvre?…

– Vivante!… Giralda est vivante? haleta le Torero.

– Tout ce qu’il y a de plus vivante, mon prince… Et soyez tranquille, nul n’a frôlé même le bout de son doigt.

– Oh! Pardaillan! Pardaillan!… comment pourrais-je…

– Laissez donc… J’ai bien d’autres chiens à fouetter pour l’heure! interrompit Pardaillan avec cette brusquerie qu’il affectait quand il voulait couper court à un attendrissement.

Cependant, Fausta s’était ressaisie. Cette femme extraordinaire avait lu sa condamnation dans les yeux de Pardaillan.

– Si je ne le tue… il me tue, se dit-elle avec ce calme surhumain qu’elle avait. Mourir n’est rien…, mais je ne veux pas mourir de sa main… à lui… Tentons l’ultime chance.

Et d’un geste prompt comme l’éclair, elle saisit un petit sifflet d’argent qu’elle avait suspendu à son cou et le porta à ses lèvres.

Pardaillan vit le geste. Il eût pu l’arrêter. Il dédaigna de le faire.

Mais en même temps que Fausta appelait, lui, d’un geste plus rapide encore, tira d’un même coup sa dague et son épée, et tendant la dague à don César, désarmé, avec une physionomie hermétique, une voix étrangement calme:

– Vous demandiez comment vous acquitter du peu que j’ai fait pour vous? Je vais vous le dire: Prenez ceci… et gardez-moi madame… gardez-la moi précieusement… Vous m’en répondez sur votre vie… Au moindre geste suspect de sa part, abattez-la sans pitié… comme un chien enragé.