Et avec un accent d’irrésistible autorité:
– Faites, ce que je vous demande… pas autre chose… et nous serons quittes, mon prince.
Et le prince, subjugué par l’irrésistible ascendant de cet homme, prit silencieusement la dague qu’on lui tendait et se plaça près de Fausta, avec un visage si froidement résolu que Pardaillan se sentit rassuré sur ce point et remercia d’un mince sourire.
Cependant, la porte s’était ouverte. Quatre hommes, l’épée nue à la main, se montrèrent sur le seuil. Et sans doute ne s’attendaient-ils pas à trouver là cet adversaire car ils s’arrêtèrent indécis et se consultèrent du regard avant d’attaquer. Et Pardaillan, voyant leur hésitation, de sa voix narquoise, railla:
– Bonsoir, messieurs!… Monsieur de Chalabre, monsieur de Montsery, monsieur de Sainte-Maline, enchanté de vous revoir!
– Monsieur, dit poliment Sainte-Maline en saluant galamment, tout l’honneur est pour nous.
Chalabre et Montsery exécutèrent la plus impeccable des révérences de cour que Pardaillan leur rendit très poliment, en ajoutant:
– Nous allons donc une fois de plus essayer de mettre à mal le sire de Pardaillan… S’il ne m’était si cher, et pour cause, je vous souhaiterais volontiers meilleure chance, messieurs.
– Vous nous comblez, monsieur, dit Montsery.
– À vrai dire, ce n’est pas vous que nous pensions trouver ici, ajouta Chalabre.
– Et malgré la sympathie que nous avons toujours eue pour vous – du diable si nous savons pourquoi! – nous ferons de notre mieux pour que cette fois-ci soit la bonne, répliqua Sainte-Maline.
Le quatrième personnage qui accompagnait les trois ordinaires n’était autre que Bussi-Leclerc.
Sa stupeur avait été telle, en reconnaissant Pardaillan, qu’il était encore là, sans parole, immobile, les yeux exorbités, comme pétrifié.
Pardaillan l’avait tout de suite aperçu, mais suivant une tactique qui avait le don d’exaspérer le célèbre bretteur, il feignait de ne pas le voir.
Jusqu’ici, il avait répondu aux trois gentilshommes avec cette politesse raffinée qui était d’usage alors, comme si Bussi-Leclerc n’eût pas existé pour lui.
Cependant, il ne le perdait pas de vue. Au compliment de Sainte-Maline, il s’écria tout à coup avec un air de surprise indignée:
– Mais, que vois-je?… Mais oui, c’est Jean Leclerc!… Comment des gentilshommes aussi accomplis peuvent-ils se commettre en semblable compagnie! Fi! messieurs, vous me chagrinez!… Comment des braves tels que vous peuvent-ils s’accommoder de la présence de ce lâche… Mais regardez-le donc!… Voyez, sur sa joue, la trace de la main que voici, et qui s’abattit sur sa face suant la peur, est encore apparente… Fi donc!
Ces paroles produisirent l’effet qu’il en attendait. Sans dire un mot, les dents serrées, fou de honte et de fureur, Bussi-Leclerc coupa court aux compliments alambiqués en se ruant, l’épée haute, et les autres bondirent à la rescousse.
Pendant un moment, qui parut mortellement long à Fausta gardée à vue par le Torero, on n’entendit, dans le petit cabinet, que le froissement du fer et le souffle rauque des combattants qui s’escrimaient en silence.
La pièce était petite; si simplement meublée qu’elle fût, les quelques meubles qu’elle renfermait diminuaient encore l’espace et gênaient les mouvements.
Les quatre bravi se gênaient mutuellement plus qu’ils ne s’aidaient.
Pardaillan était plus libre de ses mouvements qu’eux. Il était resté le dos tourné à la porte secrète ouverte derrière lui.
Fausta avait immédiatement remarqué ce détail. Elle se disait que si Pardaillan avait voulu il aurait pu l’entraîner avec lui, bondir par cette ouverture, repousser la porte et il se serait ainsi dérobé à la lâche agression des quatre. Il ne l’avait pas fait: donc il ne l’avait pas voulu.
Pourquoi? Parce qu’il était sûr de battre ses bretteurs, se répondait Fausta.
Et un morne désespoir lentement s’emparait d’elle. Elle voyait, elle sentait que Pardaillan serait vainqueur.
Et elle?… Elle aurait donc, et toujours inutilement, essayé de l’atteindre par un coup de traîtrise!… Pardaillan se déferait sans peine des quatre assassins et elle se trouverait alors irrémédiablement à sa merci.
Les quatre s’animaient; ils frappaient d’estoc et de taille, ils bondissaient, renversant les obstacles, se ruaient en avant, rompaient d’un bond de fauve, s’écrasaient sur le parquet pour se relever aussitôt, et maintenant les injures, les menaces les plus effroyables sortaient de leurs bouches crispées.
Pardaillan restait immuable, impavide, ferme comme un roc. Il n’avançait pas encore, mais il n’avait pas rompu d’une semelle.
Il semblait s’être interdit de franchir cette porte ouverte derrière lui et il se tenait parole. Son épée seule agissait. Elle était partout à la fois, parant ici, frappant là, se multipliant avec une telle rapidité qu’on eût pu croire que, tel le Briarée [10] de la mythologie, il disposait de plusieurs bras armés de glaives étincelants.
Cependant, Pardaillan aussi commençait à s’échauffer, et il se disait surtout qu’il était temps d’en finir.
Alors, il se mit en marche, attaquant à son tour avec une impétuosité irrésistible.
Son effort se portait principalement sur Bussi. Et ce qui devait arriver arriva. Pardaillan se fendit dans un coup foudroyant et Bussi tomba comme une masse.
Or, pendant tout le temps qu’avait duré cette lutte inégale, Bussi n’avait eu qu’une crainte, si tenace, si violente, qu’elle le paralysait et lui enlevait la meilleure partie de ses moyens. Bussi se disait: «Il va me désarmer… encore!» Si bien que lorsqu’il reçut le coup en pleine poitrine, il eut un sourire de satisfaction intense, et en rendant un flot de sang, il exhala sa satisfaction dans ce mot:
– Enfin!…
Et il demeura immobile… à jamais.
Alors, Pardaillan s’occupa sérieusement des trois qui restaient. Et aussi paisiblement que s’il eut été sur les planches d’une salle d’armes, il dit très sérieusement:
– Messieurs, en souvenir de certaine offre galante que vous me fîtes un jour que vous me croyiez dans l’embarras, je vous ferais grâce de la vie…
Et avec un froncement de sourcils:
– Mais comme vous devenez par trop encombrants, je me vois obligé de vous condamner à l’inaction… pour un bout de temps.
Il achevait à peine que Sainte-Maline, la cuisse traversée, s’écroulait en poussant un cri de douleur.
– Un!… compta froidement Pardaillan.
Et presque aussitôt:
– Deux!
C’était Chalabre qui était atteint à l’épaule.
Restait Montsery, le plus jeune. Pardaillan baissa son épée et dit doucement.
– Allez-vous-en!
– Fi! monsieur, s’écria Montsery, rouge d’indignation, je ne mérite pas l’injure que vous me faites.
Et il se rua à corps perdu.
– C’est vrai! confessa gravement Pardaillan en parant, je vous demande pardon… Trois!
– À la bonne heure, monsieur! cria joyeusement Montsery, en secouant son poignet droit traversé de part en part. Vous êtes un galant homme… Merci!
Et il s’évanouit.
Pardaillan considéra un moment, avec une inexprimable pitié, les quatre corps étendus sans mouvement, et avec un mouvement d’épaules comme pour jeter bas le fardeau d’une obsédante pensée:
– J’ai défendu ma peau, murmura-t-il. Au surplus, ils en seront quittes pour garder la chambre un bon mois. Quant à celui-ci (Bussi-Leclerc) Dieu m’est témoin que j’ai agi sans haine vis-à-vis de lui… À toutes nos rencontres il a voulu me tuer… Finalement, j’ai perdu patience et cela lui a porté malheur.
Telle fut l’oraison funèbre de Bussi-Leclerc, spadassin redoutable, maître incontesté en fait d’armes… qui avait enfin trouvé son maître.
Après avoir ainsi médité, Pardaillan se tourna vers Fausta, et d’une voix cinglante comme un coup de fouet, il dit en montrant la porte par où les bravi avaient fait irruption: