Le moine venait de la part de Mgr le grand inquisiteur annoncer à Sa Seigneurie que S. M. le roi recevrait en audience d’adieux M. l’ambassadeur le dernier jour de la semaine. En même temps, le moine remit à Pardaillan un sauf-conduit en règle pour lui et sa suite, plus un bon de 50 000 ducats d’or [11] au nom de don César el Torero, payables à volonté dans n’importe quelle ville du royaume, ou à Paris, ou encore dans n’importe quelle ville du gouvernement des Flandres.
Le roi reçut fort aimablement M. l’ambassadeur et l’assura que l’Espagne ne ferait aucune difficulté pour reconnaître Sa Majesté de Navarre comme roi de France le jour où Elle se convertirait à la religion catholique.
D’Espinosa pria l’ambassadeur de bien vouloir accepter un souvenir que le grand inquisiteur lui offrait personnellement, comme au plus brave, au plus digne gentilhomme qu’il eût jamais eu à combattre.
Ce souvenir, que Pardaillan accepta avec une joie visible, était une épée de combat, une longue, solide et merveilleuse rapière, signée d’un des meilleurs armuriers de Tolède.
Pardaillan l’accepta d’autant plus volontiers que ce n’était pas là une arme de parade, mais une bonne et solide rapière très simple. Seulement, en rentrant à l’auberge, il s’aperçut que cette rapière si simple avait sa garde enrichie de trois diamants dont le plus petit valait pour le moins cinq à six mille écus.
Le Chico, qui se remettait à vue d’œil, grâce à la constante sollicitude de «sa petite maîtresse», se vit doter, par la générosité reconnaissante du Torero, d’une somme de cinquante mille livres, ce qui ne contribua pas peu à le faire bien voir du brave Manuel, lequel n’avait pas consenti sans faire la grimace au mariage de sa fille, la jolie et riche Juana, avec ce bout d’homme, gueux comme Job de biblique mémoire.
Pardaillan voulut assister au mariage du nain, estimant qu’il lui devait bien cette marque d’amitié.
D’ailleurs on peut dire sans exagérer que ce mariage fut un véritable événement et que tout ce que la ville comptait de huppés et même de gens de la cour eut la curiosité d’assister à cette union qualifiée d’extravagante par plus d’un. Mais quand on vit l’adorable couple qu’ils formaient, un concert de louanges et de bénédictions s’éleva de toutes parts.
Il va sans dire que, dès que le petit homme avait été en état de le faire, Pardaillan avait repris consciencieusement ses leçons d’escrime et se montrait surpris et émerveillé des progrès rapides de son élève.
Enfin Pardaillan reprit la route de France, emmenant avec lui le Torero et sa fiancée, la jolie Giralda, lesquels avaient résolu de s’unir en France même.
Un mois environ après son départ de Séville, Pardaillan apportait à Henri IV le précieux document conquis au prix de tant de luttes et de périls, et lui rendait un compte minutieux de l’accomplissement de sa mission.
– Ouf! s’écria le Béarnais en déchirant en mille miettes, avec une satisfaction visible, le fameux parchemin. Ventre-saint-gris! monsieur, je vous devrai deux fois ma couronne… Ne dites pas non… J’ai bonne mémoire. Ça, voyons, demeurerez-vous intraitable et ne pourrai-je rien pour vous?
– Ma foi, sire, répondit Pardaillan avec son sourire bon enfant, voici qui tombe à merveille. J’ai précisément une faveur à demander à Votre Majesté.
– Bon! fit joyeusement le roi. Voyons la faveur… et si vous n’êtes pas trop exigeant…
Et en lui-même il se disait:
– Tu y viens, comme tous les autres!…
Et Pardaillan se disait de son côté:
– … Si vous n’êtes pas trop exigeant!… Tout le Béarnais est dans ces mots.
Et tout haut:
– Je demanderai à Votre Majesté la faveur de lui présenter un ami que j’ai ramené d’Espagne.
– Comment, c’est tout?…
– Je demanderai pour lui un emploi honorable dans les armées du roi.
Et saisissant la grimace imperceptible du roi, il ajouta froidement:
– Un emploi honorifique… cela va de soi… Mon ami est assez riche pour se passer d’une solde.
– Bon! Du moment que…
Pardaillan sourit de l’aveu et reprit, toujours froidement:
– Votre Majesté voudra bien, en souvenir de la haute estime dont elle veut bien m’honorer, s’intéresser particulièrement à mon ami et lui faciliter les occasions de se produire à son avantage.
– Diable! fit le roi surpris.
– Enfin Votre Majesté voudra bien ériger en duché la terre que cet ami compte acheter en France.
– Ho! diable!… diable!… un duché!… comme cela… d’un coup… à quelque croquant… Cela fera hurler!
– Vous laisserez hurler, sire!… Mais mon ami n’est pas un croquant… Il est de noblesse authentique… et de très bonne noblesse.
– Si vous en répondez! fit le roi hésitant.
– J’en réponds, sire… Enfin, est-ce oui, est-ce non?
– C’est oui, diable d’homme!… Vous ne trouverez cependant pas excessif que je sache à qui doit s’adresser cette faveur?
– Du moment qu’elle est accordée, non, fit Pardaillan, qui avait repris son air bon enfant.
Et, en quelques mots, il expliqua qui était le Torero pour qui il demandait ces faveurs qui avaient paru excessives au roi.
– Eh! Ventre-saint-gris! que ne l’avez-vous dit tout de suite?
– J’avais mon idée, sire, répondit Pardaillan en souriant.
Le roi le regarda un moment dans les yeux, puis il éclata de rire en levant les épaules. Il avait deviné à quel mobile avait obéi Pardaillan.
Alors, lui prenant la main avec une émotion réelle:
– Et pour vous?… Ne me demanderez-vous rien?
– Mais je n’ai besoin de rien, sire, fit Pardaillan de son air le plus naïf. Ou plutôt si… j’ai besoin de quelque chose…
– Ah! vous voyez bien!…
– J’ai besoin, continua Pardaillan imperturbable, d’avoir toute ma liberté à moi.
– Ah! fit le roi déçu, quelque aventure extraordinaire, sans doute?
– Mon Dieu! non, sire… une aventure bien banale… Un enfant à rechercher.
– Un enfant? fit le roi très étonné. En quoi cet enfant peut-il bien vous intéresser?
– C’est mon fils! répondit Pardaillan en s’inclinant.
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Avril 2008
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