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– Le sire de Pardaillan sera prévenu.

Le Torero remercia et, tranquille sur le sort de la Giralda, il sortit après s’être incliné devant la fillette, avec autant de déférence que si elle avait été une grande dame.

Une fois dehors, il se dirigea à grand pas vers la maison des Cyprès, où il espérait trouver la princesse. À défaut, il pensait que quelque serviteur serait à même de le renseigner et de lui indiquer où il pourrait la trouver ailleurs.

Ce dimanche matin, on devait, comme tous les dimanches, griller quelques hérétiques. Comme le roi honorait de sa présence sa bonne ville de Séville, l’Inquisition avait donné à cette sinistre cérémonie une ampleur inaccoutumée, tant par le nombre des victimes – sept: autant de condamnés qu’il y avait de jours dans la semaine – que par le faste du cérémonial.

Aussi le Torero croisait-il une foule de gens endimanchés qui tous se hâtaient vers la place San-Francisco, théâtre ordinaire de toutes les réjouissances publiques. Nous disons réjouissances, et c’est à dessein. En effet, non seulement les autodafés constituaient à peu près les seules réjouissances offertes au peuple, mais encore on était arrivé à lui persuader qu’en assistant à ces sauvages hécatombes humaines, en se réjouissant de la mort des malheureuses victimes, il travaillait à son salut. Le clergé, pour obtenir ce résultat, avait tout simplement prêché en chaire que chaque fidèle qui assisterait au supplice aurait droit à un certain nombre d’indulgences.

La foule se rendait donc en masse à ces exécutions puisque c’était tout profit pour elle.

En dehors des autodafés, il y avait encore les corridas. Mais les corridas étaient plutôt rares. En outre, il ne faudrait pas croire que la corrida était ce qu’elle est devenue aujourd’hui: un spectacle accessible à tous, moyennant finance. La corrida était alors, en Espagne, à peu près ce qu’était le tournoi en France: une distraction sauvage réservée à la seule noblesse. Pour descendre dans l’arène et combattre le fauve, il fallait être noble, à telles enseignes que le père de Philippe II, l’empereur Charles Quint, n’avait pas dédaigné de le faire. Pour assister à la corrida il fallait encore être de noblesse. Certes on réservait une place au populaire qu’on parquait debout au plus mauvais endroit, mais la plus grande partie des places était réservée à la noblesse.

Pour les exécutions, il n’en était pas de même. Ces spectacles s’adressaient surtout au peuple avec l’intention de le moraliser et de l’édifier. Naturellement on lui réservait la place d’honneur et il en était fier.

Parmi cette foule de gens pressés d’aller occuper les meilleures places ou de jouer leur modeste rôle dans la fête, car toutes les confréries participaient à l’autodafé, il s’en trouvait qui, reconnaissant don César, le désignaient à leurs voisins en murmurant sur un mode admiratif:

– El Torero! El Torero!

Quelques-uns le saluaient avec déférence. Il rendait les saluts et les sourires d’un air distrait et continuait hâtivement sa route.

Enfin il pénétra dans la maison des Cyprès, franchit le perron et se trouva dans ce vestibule qu’il avait à peine regardé la nuit même, alors qu’il était à la recherche de la Giralda et de Pardaillan.

Comme il n’avait pas les préoccupations de la veille, il fut ébloui par les splendeurs entassées dans cette pièce. Mais il se garda bien de rien laisser paraître de ces impressions, car quatre grands escogriffes de laquais, chamarrés d’or sur toutes les coutures, se tenaient raides comme des statues et le dévisageaient d’un air à la fois respectueux et arrogant.

Toutefois, sans se laisser intimider par la valetaille il commanda, sur un ton qui n’admettait pas de résistance, au premier venu de ces escogriffes, d’aller demander à sa maîtresse si elle consentait à recevoir don César, gentilhomme castillan.

Sans hésiter, le laquais répondit avec déférence:

– Sa Seigneurie l’illustre princesse Fausta, ma maîtresse, n’est pas en ce moment à sa maison de campagne. Elle ne saurait en conséquence recevoir le seigneur don César.

«Bon! pensa le Torero, cette illustre princesse s’appelle Fausta C’est toujours un renseignement.»

Et tout haut:

– J’ai besoin de voir la princesse Fausta pour une affaire du plus haut intérêt et qui ne souffre aucun retard. Veuillez me dire où je pourrai la rencontrer.

Le laquais réfléchit une seconde et:

– Si le seigneur don César veut bien me suivre, j’aurai l’honneur de le conduire auprès de M. l’intendant qui pourra peut-être le renseigner.

Le Torero, à la suite du laquais, traversa une enfilade de pièces meublées avec un luxe inouï, dont il n’avait jamais eu l’idée.

«Oh! oh! songeait-il, je comprends les exclamations admiratives de don Miguel. Il faut que cette princesse soit puissamment riche pour s’entourer d’un luxe pareil. Et quand je pense que ces trésors sont restés toute une nuit sans défense, à la portée du premier malandrin venu, je me dis qu’il faut que cette princesse soit singulièrement dédaigneuse de ces richesses… ou qu’un mobile très puissant, que je ne devine pas, la guide à mon endroit, puisque c’est pour m’être agréable, pour me permettre d’arriver jusqu’à Giralda, qu’elle a consenti à laisser ces merveilles à l’abandon.»

En songeant de la sorte, il était parvenu au premier étage et était entré dans une chambre confortablement meublée. C’était la chambre de M. l’intendant à qui le laquais expliqua ce que désirait le visiteur et se retira aussitôt après.

M. l’intendant était un vieux bonhomme tout ridé, tout courbé, tout confit en douceur, d’une politesse obséquieuse.

– Le laquais qui vous a conduit à moi, dit cet important personnage, me dit que vous vous appelez don César. Je pense que ceci n’est que votre prénom… Excusez-moi, monsieur, avant de vous conduire près de mon illustre maîtresse, j’ai besoin de savoir au moins votre nom… Vous comprendrez cela, je l’espère.

Très froid, le jeune homme répondit:

– Je m’appelle don César, tout court. On m’appelle aussi le Torero.

À ce nom, l’intendant se courba en deux et tout confus murmura:

– Pardonnez-moi, monseigneur, je ne pouvais pas deviner… Je suis au désespoir de ma maladresse; j’espère que monseigneur aura la bonté de me la pardonner… La princesse est menacée dans ce pays, et je dois veiller sur sa vie… Si monseigneur veut bien me suivre, j’aurai l’insigne honneur de conduire monseigneur auprès de la princesse qui attend la visite de monseigneur avec impatience, je puis le dire.

Devant ce respect outré, sous cette avalanche de «monseigneur» inattendue, le Torero demeura muet de stupeur. Il jeta les yeux autour de lui pour voir si ce discours ne s’adressait pas un autre. Il se vit seul avec M. l’intendant. Alors il regarda celui-ci comme pour s’assurer s’il avait bien tout son bon sens. Et il dit doucement, comme s’il avait craint de l’exciter en le contrariant:

– Vous vous trompez, sans doute. Je vous l’ai dit: je m’appelle don César, tout court, et je n’ai aucun droit à ce titre de monseigneur que vous me prodiguez si abondamment.

Mais le vieil intendant secoua la tête et, se frottant les mains à s’en écorcher les paumes:

– Du tout! du tout! dit-il. C’est le titre auquel vous avez droit… en attendant mieux.

Le Torero pâlit et, d’une voix étranglée par l’émotion:

– En attendant mieux?… Que voulez-vous donc dire?

– Rien que ce que j’ai dit, monseigneur. La princesse vous expliquera elle-même. Venez, monseigneur, elle vous attend et elle sera bien contente… oui, je puis le dire, bien contente.

– En ce cas, conduisez-moi auprès d’elle, dit le Torero qui se dirigea vers la porte.

– Tout de suite! monseigneur, tout de suite! acquiesça l’intendant qui se hâta de prendre son chapeau, son manteau et se précipita à la suite du Torero.