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À cette offre inespérée, quoique secrètement désirée sans doute, le nain bondit, et les yeux brillants de joie, joignant ses petites mains, il s’écria:

– Quoi!… Vous consentiriez?… Vous ne voulez pas rire?…

– Cela te ferait donc bien plaisir? dit Pardaillan très sérieux.

– Oh!

– Par Pilate! comme disait monsieur mon père, je ne me dédis jamais, tu sauras cela, mon Chico! Et la preuve, c’est que je vais te donner ta première leçon… à l’instant même.

Le nain se mit à sauter de joie, et Juana, aussi joyeuse que lui, battit des mains. Seulement, la joie de la jeune fille fondit comme neige au soleil quand elle entendait Pardaillan ajouter d’un air très détaché:

– D’autant que pour l’expédition que nous allons entreprendre ce soir et celle de demain matin, le peu que je vais t’enseigner en une leçon te sera peut-être utile…

Et sans paraître remarquer la soudaine pâleur de la jeune fille, ni le regard de douloureux reproche qu’elle attachait sur lui, il ajouta:

– Juana, ma mignonne, envoyez donc chercher dans ma chambre deux épées… sans oublier les boutons que vous trouverez dans quelque poche d’habit pendu au mur.

Et tandis que la triste Juana, courbant la tête, sortait pour chercher les épées demandées, s’adressant au nain qui, dans sa joie exubérante, gambadait comme un fou:

– Tu n’as pas peur, au moins? fit-il en souriant.

– Peur?… fit le Chico étonné, peur de quoi?…

– Dame! fit Pardaillan de son air le plus ingénu, il va y avoir des horions à donner et à recevoir!

– On tâchera de les donner… et de ne pas les recevoir, fit le Chico en riant. Et puis, vous serez là, tiens?

– Tu ne me demandes pas où je veux te conduire?

– Tiens! comme c’est difficile à deviner! fit le Chico en haussant les épaules d’un air entendu. J’imagine que nous allons, ce soir, à la maison des Cyprès et demain matin au château de Bib-Alzar. Le château, vous le trouverez bien sans moi, n’importe qui vous l’indiquera. Mais les caches de la maison des Cyprès, il faut bien que je sois là pour vous les montrer…

Pardaillan approuva de la tête en souriant, et en lui-même, il songeait, en observant le nain du coin de l’œiclass="underline"

– Intelligent, adroit, brave, loyal, attaché, il ne lui manque qu’un peu de force… Mordieu! j’en ferai un homme… ou je ne serai plus Pardaillan!

Juana avait apporté les épées et les boutons, que le chevalier ajusta à la pointe des lames, et la table poussée dans un coin, dans le petit cabinet même, la leçon commença, sous l’œil apeuré de Juana.

Les épées de Pardaillan étaient de longues et lourdes rapières.

Tout d’abord, le Chico éprouva quelque peine à les manier. Mais il était nerveux et souple, il avait surtout la volonté bien arrêtée de réussir et de contenter le maître extraordinaire que sa bonne étoile avait placé sur son chemin.

Peu à peu, le poignet s’entraîna et il ne sentit plus le poids de la rapière, plus longue que lui de près d’un pied.

La leçon se poursuivit jusqu’à ce que la nuit fût tombée tout à fait, avec une patience inaltérable de la part du maître, une bonne volonté que rien ne rebutait de la part de l’élève.

Lorsque Pardaillan jugea que la soirée était assez avancée et que l’heure était venue, il arrêta la leçon et déclara gravement qu’il était content; le Chico avait des dispositions et il en ferait un escrimeur passable, ce qui transporta d’aise le petit homme et fit plaisir à Juana, qui avait assisté à la leçon.

Le moment étant venu, Pardaillan ceignit son épée, choisit dans sa collection une dague assez longue, légère et résistante, quoique flexible, et la ceignit lui-même à la taille du nain, très fier de voir cette épée – car pour sa taille c’était une longue épée – qui lui battait les mollets. Juana, que Pardaillan guignait du coin de l’œil, assistait à ces préparatifs inquiétants pour son cœur d’amoureuse.

Quand elle vit qu’ils se disposaient à sortir, elle fit une tentative désespérée et demanda timidement:

– Je croyais, seigneur de Pardaillan, que vous vouliez vous reposer?…

Et la rusée mâtine ajouta aussitôt:

– Je vous ai fait préparer un lit douillet à faire envie à un moine.

– Misère de moi! gémit Pardaillan, voilà bien ma malchance… Mais, ma mignonne, j’utiliserai ce lit douillet à mon retour et ferai de mon mieux pour rattraper le temps perdu.

– Et si vous… ne revenez pas? dit faiblement Juana.

– Pourquoi ne reviendrai-je pas? s’étonna Pardaillan.

– Puisque vous dites que… l’expédition est… dangereuse… vous pourriez… être… blessé… (et elle couvait le Chico de ce regard inquiet d’une mère qui appréhende les pires catastrophes pour son enfant).

– Impossible! assura Pardaillan.

– Pourquoi? demanda Juana, qui sentit l’espoir renaître en elle.

– Parce qu’une expédition – autrement dangereuse, celle-là – m’attend demain matin. Et comme il n’y a que moi qui puisse la mener à bien, il est clair que je reviendrai pour l’accomplir. Vous voyez donc bien, petite Juana, que vous pouvez quitter toute inquiétude à mon sujet… Je suis d’ailleurs, croyez-le bien, on ne peut plus touché de la fraternelle sollicitude que vous me témoignez.

Et riant sous cape, il sortit avec le Chico, laissant Juana écrasée par cette bizarre logique et plus inquiète qu’avant. Car enfin, au bout du compte, le seigneur de Pardaillan avait parlé pour lui et de lui, mais n’avait soufflé mot de celui qui était, par-dessous tout, l’objet de son inquiète sollicitude.

Pardaillan, guidé par le Chico, pénétra dans les sous-sols de la mystérieuse maison des Cyprès. Était-il venu là pour tenter d’enlever don César? Était-il venu faire une simple reconnaissance et préparer une action ultérieure? C’est ce que nous ne saurions dire.

Toujours est-il qu’au bout de deux heures environ, Pardaillan et le nain sortirent, comme ils étaient entrés, sans avoir été découverts, sans qu’il leur fût arrivé la moindre mésaventure. Mais ils sortaient à deux comme ils étaient entrés.

Pardaillan avait-il réussi ou échoué dans ce qu’il était venu tenter? C’est ce que nous ne saurions dire non plus.

Tout ce que nous pouvons dire pour le moment, c’est qu’il montrait un visage impénétrable et marchait d’un pas assuré, un peu trop allongé peut-être pour le Chico, qui trottinait à son côté et, en marchant, sifflait un air de chasse du temps de Charles IX.

Il était un peu plus de onze heures lorsqu’ils rentrèrent à l’hôtellerie. Ils n’eurent pas la peine de frapper; la petite Juana les attendait sur le seuil de la porte.

La jeune fille avait passé tout le temps qu’avait duré leur absence à guetter leur retour, dans des transes mortelles. Elle avait perçu le bruit de leurs pas et avait couru ouvrir. Du premier coup d’œil, elle avait constaté qu’ils étaient, tous les deux, en parfait état. Un long soupir de soulagement avait gonflé son sein et ses beaux yeux noirs avaient aussitôt retrouvé leur éclat joyeux.

Elle avait voulu les faire souper, leur montrant la table toute dressée et chargée de victuailles appétissantes. Mais Pardaillan avait déclaré qu’il avait besoin de repos et il avait fait un signe imperceptible au Chico, lequel, répondant par un signe de tête affirmatif, déclara que, lui aussi, avait besoin de repos et se retira incontinent, au grand dépit de Juana qui aurait bien voulu le garder un moment.

Le Chico parti, Pardaillan se fit conduire à sa chambre, se glissa entre les draps blancs et fleurant bon la lavande de ce lit douillet, préparé expressément à son intention, et dormit tout d’une traite jusqu’à six heures du matin.

XXI BARBA-ROJA

Il se leva et s’habilla en un tour de main. Frais et dispos, il sortit aussitôt et s’en fut droit chez un armurier où il choisit une mignonne petite épée qui avait les apparences d’un jouet, mais qui était une arme parfaite, flexible et distante, en dur acier forgé et non trempé. C’était le présent qu’il voulait faire au Chico.