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D’ailleurs ils ne se faisaient aucune illusion: ils savaient qu’ils succomberaient fatalement sous le nombre. La résistance serait plus ou moins longue: c’est tout.

De nouveau les deux rapières étincelantes pointèrent dans le tas, tourbillonnèrent à droite, à gauche, partout à la fois. Les archers fourragèrent, piquèrent avec frénésie. Par là-dessus des exhortations, des menaces effroyables, des insultes extravagantes, des cris de douleur.

Mais cette fois, l’élan des assaillants était méthodique et combiné, ils ne cédèrent pas.

– Ils en tiennent! Ils en tiennent! crièrent quelques voix. C’était vrai, Pardaillan et Jehan le Brave étaient couverts de sang, déchirés, en lambeaux, depuis les pieds jusqu’à la ceinture. Mais les pourpoints, c’est-à-dire les poitrines, étaient encore intacts. Ce n’étaient là que simples égratignures sans conséquences. Les habits et les bottes étaient plus endommagés que la peau.

Mais tout à l’heure, dans un instant, les archers envahiraient le perron et alors, ils pourraient atteindre les poitrines.

Le cercle s’était rétréci. Lentement, progressivement, les assaillants, se poussant, se portant mutuellement, gagnaient du terrain, montaient les marches, enjambant les côtés.

C’était la fin. La résistance des deux enragés allait être brisée.

À ce moment, une voix impérieuse commanda:

– Bas les armes!… Tout le monde! Les archers s’arrêtèrent net.

Le grand prévôt gronda une imprécation et se retourna furieusement du côté d’où était partie la voix. Il vit un homme qui s’avançait vivement dans le cercle de lumière.

– Le roi! cria de Neuvy qui se découvrit aussitôt, tandis que ses hommes présentaient les armes.

Sur le perron, Pardaillan et Jehan le Brave, d’un même geste large, emphatique, saluèrent de l’épée, sans qu’il fût possible de savoir si ce salut s’adressait au roi ou aux vaincus. (Tout compte fait, ils pouvaient se considérer comme vainqueurs, puisqu’ils étaient libres, indemnes, ou à peu près, alors que nombre de leurs adversaires étaient encore étendus sur la chaussée.) Puis, avec une tranquillité qui tenait du prodige, ils rengainèrent ensemble, automatiquement, et se tinrent raides, talons joints, comme à la parade.

Mais ils se guignaient mutuellement du coin de l’œil et ils se souriaient gentiment tous les deux. On voyait que chacun était content de l’autre. Et ils avaient si fière allure tous les deux que le roi lui-même s’oublia un instant à les contempler avec une visible admiration.

Cependant, Pardaillan, du bout des lèvres, pour son seul compagnon, murmura:

– Il était temps, je crois!

Et en même temps, il observait Jehan sans en avoir l’air, comme quelqu’un qui attend avec curiosité ce qu’on va lui répondre.

Franchement, très simplement, le jeune homme répondit entre haut et bas:

– Ma foi, oui!

VII

Cérémonieusement, Bertille avait conduit le roi dans un petit cabinet, sorte d’oratoire très simple.

Cet oratoire était situé sur le derrière de la maison. L’unique fenêtre qui l’éclairait donnait sur le cul-de-sac Courbâton. C’est ce qui explique pourquoi le roi avait tant tardé à intervenir, avait même failli arriver trop tard pour arrêter les archers alors que, sur le devant, toute la rue était depuis longtemps réveillée et mise en émoi par le vacarme de l’arrestation mouvementée.

Henri se laissa choir dans un fauteuil et considéra un moment, d’un air rêveur, la jeune fille qui se tenait droite devant lui, dans une attitude très digne.

Après avoir rêvé un moment, il fit entendre un gros soupir et, doucement:

– Asseyez-vous, mon enfant, dit-il.

Docilement, sans un mot, la jeune fille prit place dans le fauteuil que lui désignait le roi, en face de lui.

Une fois encore, Henri la considéra attentivement en silence, soupira encore un coup et finalement:

– Vous êtes bien la fille de Blanche de Saugis?

Doucement, sans provocation, sans aigreur, mais avec une singulière froideur, et comme si elle eût voulu d’un seul coup donner tous les renseignements qu’elle pressentait que le roi allait lui demander, la jeune fille répondit:

– Je suis bien la fille de Blanche de Saugis, morte de douleur et de honte en me donnant le jour, voici bientôt seize ans. Je suis bien une enfant naturelle… une bâtarde, comme disent les méchants, ma mère n’ayant pas eu d’époux légitime… Le petit domaine de ma mère est situé dans le pays chartrain, non loin de Nogent-le-Roi… Je suis bien celle que vous croyez et mon père est… celui que vous connaissez.

Ces paroles étaient prononcées avec une simplicité si digne, sur un ton de tristesse et de résignation si poignant que le roi, comme honteux, courba la tête.

Machinalement, avec une émotion qu’il ne parvenait pas à maîtriser, il murmura:

– Ma fille!…

Son émotion venait de ce qu’il pensait à son amour pour cette enfant qui se trouvait être sa fille. Sa honte et sa gêne venaient surtout de ce qu’il se rappelait dans quel but infâme il avait cherché à se faufiler chez elle.

En songeant qu’autrefois il s’était introduit de la même manière chez la mère, il avait abusé violemment d’elle comme il avait rêvé de le faire de sa fille, l’horreur que lui inspirait cette tentative hors nature réveillait en lui le remords d’une action honteuse depuis longtemps oubliée.

Car, rendons-lui cette justice, la découverte qu’il venait de faire avait déraciné l’amour en lui. Pour le moment, du moins, il ne voyait que sa fille. Et, très sincèrement, il se détestait d’avoir pu la souiller d’une pensée turpide.

Cette émotion dont elle ne pouvait comprendre le sens, on eût dit qu’elle surprenait et inquiétait la jeune fille.

Si le roi n’avait été si absorbé par ses souvenirs, il aurait été frappé de l’étrange expression de froideur de ces yeux ordinairement si doux, qui le dévisageaient avec angoisse. Il aurait remarqué le voile qui se répandit sur ce front si pur; la crispation nerveuse de ces traits si fins et si délicats, le tressaillement douloureux qui la secoua toute lorsqu’elle l’entendit murmurer sourdement: «Ma fille!»

Mais le roi ne remarqua rien. Il méditait toujours.

Après s’être consciencieusement morigéné, il s’avisa de songer que ce qu’il avait pris pour de l’amour, c’était tout simplement l’instinct paternel qui l’avertissait. Il se rappela fort à propos combien il avait été inquiété par cette ressemblance qu’il ne parvenait pas à fixer et il conclut en se disant:

– Mon cœur avait deviné que cette adorable enfant était ma fille. Et cela suffit pour ramener le calme dans son esprit désemparé. Restait la question de l’attentat commis autrefois. C’était si loin!…

Ce qui était moins excusable, c’était l’abandon de l’enfant. Mais cela se pouvait encore réparer. Déjà, avant de savoir ce qu’il avait appris si inopinément, il avait résolu de s’occuper de l’enfant de Blanche de Saugis. Maintenant qu’il était sous le charme puissant de cette radieuse jeunesse, de cette idéale beauté, il sentait naître en lui l’orgueil d’être le père de cette merveille. Et il se disait qu’il ferait pour elle, avec joie, cent fois plus que ce qu’il aurait fait par pur scrupule de conscience. À la dérobée, il admirait la gracieuse jeune fille et il se confirmait dans sa résolution de réparer royalement son long oubli et il se disait: