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– Jarnidieu! cette belle fille sera l’ornement de ma cour. Je la doterai magnifiquement, je la marierai à l’un de mes amis, elle ne me quittera plus, et s’il ne tient qu’à moi, elle sera heureuse. Pour être tardive, la réparation n’en sera pas moins complète. Je lui dois bien cela.

À évoquer un avenir qu’il voyait riant et paisible, à énumérer les bienfaits dont il se promettait de la couvrir, il s’attendrissait, et sous le coup de cet attendrissement, il lui tendit les bras, en répétant:

– Ma fille!

En la reconnaissant pour sa fille, en lui ouvrant ses bras, il croyait se montrer très affectueux. Il était persuadé qu’elle allait se jeter sur son sein, accepter avec joie et reconnaissance son étreinte, lui donner le nom de père.

Il n’en fut pas ainsi.

À son grand étonnement, Bertille ne bougea pas. Elle secoua doucement la tête et sur un ton d’inexprimable mélancolie, elle murmura:

– Je n’ai pas de père, hélas!… Je n’en aurai jamais.

Henri se mit à l’étudier attentivement, ce qu’il n’avait pas encore songé à faire, ébloui qu’il était par tant de grâce et d’exquise jeunesse.

Il fut frappé alors de l’extrême réserve de son attitude d’une suprême dignité. Elle fixait sur lui un regard profond, un peu triste, nullement impressionné ni par la majesté royale ni par l’autorité paternelle.

Et il comprit que cette jeune fille, dont le malheur avait mûri la raison, était un caractère énergiquement trempé qui ne se laisserait pas éblouir par le rang et la fortune entrevus, ni leurrer par des raisonnements captieux. Il comprit qu’il se trouvait en présence d’un juge sévère à qui il fallait rendre des comptes et non pas d’une enfant heureuse de trouver un père à qui le titre de roi que possédait ce père suffirait pour lui faire oublier tout un passé d’amertume et de tristesse.

Il avait espéré éviter des explications plutôt embarrassantes en provoquant des effusions. Il vit, non sans ennui, qu’il s’était trompé.

Mais au fond, comme il était juste, il se dit qu’elle était en droit, dans une certaine mesure, de lui garder rigueur de son abandon passé; que, du fait de cet abandon, il n’avait aucune autorité sur elle, d’autant qu’il n’entrait pas dans son idée de la reconnaître officiellement, comme il avait fait de ses autres enfants naturels. Enfin, il s’avoua qu’il ne pouvait pas non plus faire intervenir son autorité royale, étant données les conditions particulièrement scabreuses dans lesquelles il s’était introduit auprès d’elle.

Il résolut donc de se résigner à l’inévitable explication, à se montrer patient et bienveillant, à s’efforcer de la conquérir par de bonnes paroles et de bons procédés, quitte à parler en maître si elle se montrait irréductible.

Pour lui montrer qu’il comprenait sa réserve et ce qui en était la cause, il dit sur un ton compatissant:

– Vous avez beaucoup souffert, mon enfant?

Sans acrimonie, simplement, elle répondit:

– J’ai été très malheureuse, en effet, Sire.

– Par ma faute, je le sens. Il ne faudrait pas cependant me croire plus coupable que je ne le suis réellement. Plus tard, mon enfant, vous comprendrez que les princes ne vivent pas pour eux, mais pour les peuples dont ils ont la garde. Ils ne peuvent pas toujours suivre les impulsions de leur cœur.

Vivement, elle interrompit:

– Votre Majesté se trompe si elle croit que ma réponse sous-entend un blâme, si léger soit-il. Jamais il n’est entré dans ma pensée de demander la moindre explication au roi, en tout ce qui me concerne, encore moins de censurer sa conduite à mon égard. Le roi est le maître. Il n’a de comptes à rendre qu’à sa conscience. Je prie Votre Majesté de croire que je ne l’oublierai pas.

Ces paroles, auxquelles il était loin de s’attendre, surprirent agréablement le roi. Délivré de l’appréhension d’une explication pénible, il retrouva sur-le-champ sa bonne humeur. Quittant son fauteuil, il se mit à arpenter l’oratoire d’un pas vif et allongé et, tout en marchant, il s’écriait joyeusement:

– Jarnidieu! Voilà qui est bien dit! Je vois que vous êtes aussi sage que belle… et ce n’est pas peu dire. Aussi je ne veux pas être en reste de générosité avec vous. Je confesse que j’eus des torts… Ne dites pas non! J’eus des torts graves que je dois et veux réparer. Le soin de votre avenir me regarde désormais. Je veux faire de vous la plus heureuse, la plus enviée des femmes. Assurez-vous que vous me trouverez toujours prêt à réaliser vos désirs, autant qu’il sera en mon pouvoir.

Gravement, elle répondit:

– S’il en est ainsi, j’oserai donc demander une grâce au roi. En échange de quoi je le tiendrai quitte de tout ce qu’il croit devoir me promettre.

– Parlez, et si ce que vous avez à me demander n’est pas impossible, foi de gentilhomme, c’est accordé, s’écria vivement le roi, charmé de la voir de si bonne composition.

Bertille parut réfléchir une seconde… Non qu’elle hésitât à formuler sa demande, mais parce qu’elle cherchait les termes dans lesquels elle la présenterait.

– Puis-je savoir, dit-elle, quelles sont les intentions du roi au sujet de ce jeune homme qui l’attend à ma porte?

Henri était loin de s’attendre à une pareille demande. Il s’arrêta net devant la jeune fille et fixa sur elle un regard scrutateur en songeant à part lui:

– Voilà donc où le bât la blesse!

Bertille supporta cet examen sans manifester le moindre embarras. Dans son regard si candide, si franc et si pur, le roi ne lut pas d’autre sentiment que l’anxiété. Il eut un demi-sourire malicieux et, avec une brusquerie affectée:

– D’abord, fit-il, qui vous a dit qu’il a été assez fou pour m’attendre?

Avec une assurance déconcertante, elle dit ingénument:

– Puisqu’il l’a promis!

– Au fait, dit Henri en l’observant, vous le connaissez sans doute mieux que moi et savez par conséquent si on peut se fier à sa parole?

– Mais je ne le connais pas!… Je ne lui avais jamais adressé la parole avant ce soir!… Je ne sais son nom que parce qu’il s’est nommé à Votre Majesté devant moi, tout à l’heure!

Il n’y avait qu’à la regarder pour être convaincu qu’elle disait vrai.

Le roi ne douta pas un seul instant. Mais il avait son idée, et il poursuivit:

– Si vous ne le connaissez pas, comment pouvez-vous savoir?

– Oh! Sire, vous n’avez donc pas regardé son visage?… Je ne suis qu’une petite fille ignorante, mais il me semble qu’avec une physionomie pareille on ne ment pas, on tient ce qu’on a promis.

– Soit, mettons qu’il en est ainsi que vous dites. Que vous importe ce que j’ai décidé à l’égard de ce jeune homme? Pourquoi, surtout, vous intéressez-vous à lui?

– C’est pour moi, pour me défendre, qu’il a osé braver la colère de Votre Majesté.

– Eh jarnidieu! de quoi se mêle-t-il?… Et d’abord, pourquoi et de quoi vous défendre?… Vous n’étiez pas menacée que je sache!