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À ce moment, la porte du cabinet s’ouvrit silencieusement et Caterina Salvagia, la femme de chambre de confiance de la reine, parut dans l’entrebâillement. Sans entrer plus avant, elle fit un signe à Léonora et se retira discrètement aussitôt.

Marie de Médicis, sans doute au courant, se redressa sur son lit d’été et s’écria joyeusement, une flamme subite aux yeux:

– C’est Concini!… Fais-le entrer, cara mia!…

Elle pensait que, du coup, la terrible conversation était terminée. Mais la Galigaï ne bougea pas. Et, avec une froideur effrayante, elle posa nettement la question:

– Madame, dois-je exciter la jalousie de Jehan le Brave? Et la reine répéta le mot qu’elle avait eu déjà:

– Tu es terrible!…

La Galigaï attend, muette, impassible comme la fatalité.

La reine Marie de Médicis s’est redressée. Son regard s’emplit d’une lointaine épouvante. Ses lèvres tremblantes retiennent le mot terrible qui veut s’échapper et tomber… tomber comme une condamnation, car ce mot, c’est la mort du roi de France!

Enfin, elle gémit:

– Que veux-tu que je te dise?… C’est terrible!… terrible!… Laisse-moi le temps de réfléchir… plus tard… attends… Tu peux bien attendre un peu, voyons!

Alors Léonora se leva et se courba dans une longue et savante révérence de cour. Elle exagéra la correction des attitudes imposées par l’étiquette et d’une voix tranchante qui contrastait avec cette humilité voulue:

– J’ai l’honneur de solliciter de Votre Majesté mon congé… et celui de Concino Concini, mon époux.

La reine pâlit affreusement. Elle bégaya:

– Tu veux me quitter?

– S’il plaît à Votre Majesté, oui, dit Léonora glaciale. Demain matin nous quitterons la France.

Affolée par la pensée de perdre Concini, Marie cria:

– Mais je ne le veux pas!

– Votre Majesté daignera excuser mon insistance… Notre décision est irrévocable… Nos préparatifs de départ sont faits. Nous voulons nous retirer.

À ces mots, prononcés à dessein, la souveraine chez Marie de Médicis se réveille enfin et se révolte. Elle se redresse de toute sa hauteur, et laissant tomber un regard courroucé sur la confidente toujours courbée:

– Vous voulez! répéta-t-elle en martelant chaque syllabe. Et moi, je ne veux pas!

– Madame…

– Assez!… Il ne me plaît pas d’accorder le congé que vous sollicitez… Allez!

Et comme la dame d’atours ébauchait un geste, elle reprit violemment:

– Allez-vous-en, dis-je, ou par la santa Maria, j’appelle et vous fais arrêter.

Léonora, comme écrasée, obéit, se retire à reculons. Et la reine, que cette feinte soumission apaise, se reproche déjà sa violence, soupire à la pensée qu’elle va être privée d’une visite de Concini.

Arrivée à la porte, la Galigaï se redressa et, respectueusement, sans bravade, mais d’une voix ferme:

– Votre Majesté, je pense, ne trouvera pas mauvais que j’aille de ce pas chez le roi.

Ces paroles jettent le trouble et l’effroi dans l’esprit de la reine, qui balbutie:

– Le roi!… Pour quoi faire?…

– Le supplier de nous accorder ce congé que Votre Majesté nous fait l’insigne honneur de nous refuser.

À demi rassurée, Marie gronda:

– Tu… vous oseriez!… Malgré ma volonté!

– Pour mon Concini, oui, madame, j’oserai tout… même encourir la colère et la disgrâce de ma reine…

– Ingrate!… Tu n’es qu’une ingrate!…

C’était le prélude de la capitulation. L’effort que Marie de Médicis avait fait pour résister était aux trois quarts brisé. C’est que la pensée de perdre Concini l’affolait. C’est que l’amour de Concini était devenu toute sa vie.

Et Léonora, qui ne comptait que sur ce sentiment, le comprit bien, car elle dit plus doucement:

– Le roi accordera avec joie ce congé qui le débarrassera de nous… Vous le savez, madame.

Eh oui! elle le savait. C’est pourquoi elle gémit:

– Mais enfin, pourquoi veux-tu t’en aller?

– Eh! madame, je vous vois disposée à tout pardonner au roi… à tout lui sacrifier… peut-être pousserez-vous l’abnégation jusqu’à vous effacer devant Mme de Verneuil… ou devant l’astre nouveau qui brillera demain sur la cour.

– Tu as peur que je t’abandonne?

– Oui, dit nettement la Galigaï. Si j’étais seule, je vous dirais: disposez de ma vie, elle vous appartient. Mais il y a Concini, madame… C’est lui qu’on frappera… et je ne veux pas qu’on me le tue, moi!

– Moi vivante, on ne touchera pas à un cheveu de Concini!

– Le roi est le maître, madame.

– Ainsi… si tu te sentais en sûreté…

– Pas moi, madame… Concini.

– C’est ce que j’ai voulu dire… Tu ne parlerais plus de me quitter?

– Eh, madame, vous savez bien que c’est la mort dans l’âme que nous vous quitterions… Concini surtout… Il vous est si dévoué, poveretto!

– Eh bien?…

Une dernière hésitation suspendit la phrase.

– Eh bien? interrogea Léonora, qui palpitait d’espoir.

La résolution de Marie de Médicis est prise: tout plutôt que perdre Concini.

– Eh bien, dit-elle d’une voix blanche, je crois, Léonora, que tu as raison… Il est temps de déchaîner la jalousie de ton protégé.

La reine venait de prononcer la condamnation de son époux, le roi Henri IV.

Léonora se courba pour dissimuler la joie puissante qui l’étreignait. En se relevant, elle dit simplement:

– Je vais vous envoyer Concini, madame.

Et elle sortit, froide, inexorable, emportant la mort dans les plis rigides de sa robe.

Cependant Marie de Médicis souriait à l’image évoquée de Concini. Et ses lèvres pourpres, entrouvertes, appelaient le baiser de l’amant qui allait venir, le baiser qui lui était dû… Car il était sa part à elle, sa part tacitement convenue dans le meurtre qui se préparait.

IV

Henri IV avait décidé de se rendre à onze heures du soir rue de l’Arbre-Sec. Mais le Béarnais était un vif-argent. Dès neuf heures, bouillant d’impatience, ne tenant plus en place, il était parti, quittant le Louvre par une porte dérobée. Il avait, pour cette expédition, revêtu un de ces habits très simples et fort râpés, comme il les affectionnait, qui lui donnait l’apparence d’un pauvre gentilhomme et dont sa garde-robe était mieux fournie que d’habits neufs et luxueux. La Varenne l’accompagnait seul et devait le quitter à la porte de sa belle.

La maison de dame Colline Colle avait sa façade sur la rue de l’Arbre-Sec. Le derrière donnait sur une impasse appelée le cul-de-sac Courbâton. Il y avait là une porte basse renforcée de tentures épaisses. Sur le devant, la porte principale s’ornait d’un perron de trois marches. Les marches franchies, on se trouvait sur un palier d’où émergeaient deux piliers massifs qui supportaient le balcon en haut duquel nous avons entrevu, le matin même, la jeune fille chez laquelle le Vert Galant cherche à se glisser comme un larron. Les deux piliers, de chaque côté, et le balcon surplombant la porte formaient comme une voûte d’ombre opaque.