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Au bout d’un instant, la porte s’entrebâilla silencieusement. Une femme d’un certain âge se glissa dehors et prononça quelques paroles à voix basse.

Pas si basses cependant que Pardaillan ne les entendît. En sorte qu’au lieu de s’élancer, il se rencogna davantage, avec un sourire de satisfaction.

Léonora répondit quelques mots, tendit une bourse qui disparut en un clin d’œil, entra et ferma la porte sans bruit. La femme demeura un instant immobile sur le seuil, puis elle s’éloigna d’un pas nonchalant.

Pardaillan sortit de son coin et la rattrapa en quelques enjambées.

– Ma belle enfant, fit-il de son air le plus gracieux et le plus ingénu, j’ai absolument besoin de parler à M. Concini, votre maître. Auriez-vous l’extrême obligeance de m’ouvrir la porte de cette maison d’où je viens de vous voir sortir?

La «belle enfant» frisait la cinquantaine. C’était une virago, taillée en hercule femelle, qui paraissait douée d’une force peu commune et qui devait accomplir dans la petite maison quelque sinistre et terrible besogne: geôlière et bourreau, probablement.

À la demande de Pardaillan, une expression de méfiance inquiète se répandit sur son visage. Néanmoins, sensible à la politesse de ce galant chevalier, elle répondit en minaudant:

– Hélas! mon gentilhomme, je ne peux pas vous ouvrir, n’ayant pas la clé. Et quant à frapper à la porte, avant deux bonnes heures d’ici, je n’aurais garde de le faire, attendu que monseigneur a donné l’ordre de ne le point déranger et qu’il me chasserait si je lui désobéissais.

Pardaillan tendit deux pièces d’or et, de son air le plus naïf, avec son inaltérable politesse:

– Mais, ma belle enfant, je ne vous demande pas de frapper à la porte. Je vous demande de me l’ouvrir, simplement.

Une lueur inquiétante passa dans l’œil de la virago. Mais la vue des deux pièces d’or réfréna ses velléités de violence. Elle s’en empara, les fit disparaître vivement, plongea dans sa plus gracieuse révérence et d’un air navré, sur un ton où perçait malgré elle une pointe d’ironie:

– Que le ciel vous bénisse, mon gentilhomme. Je suis vraiment désespérée de ne pouvoir satisfaire un aussi généreux seigneur. Mais, je vous l’ai dit: je n’ai pas la clé.

Et sur un ton où grondait une sourde menace, elle ajouta:

– N’insistez donc pas… et veuillez me laisser passer, je vous prie. Sans s’émouvoir, Pardaillan insinua avec douceur, mais en la fixant avec insistance:

– Bah! et cette clé que vous avez fait fabriquer tout exprès pour le service particulier de Mme Concini et pour mieux trahir votre maître?… Cette clé peut bien m’ouvrir la porte à moi aussi.

La virago avait pâli. Mais elle connaissait sa force redoutable et un homme, deux hommes même n’étaient pas pour l’effrayer. Elle jeta un coup d’œil furtif autour d’elle. La rue était déserte, l’endroit écarté.

Menaçante, elle avança résolument sur Pardaillan qui lui barrait la route. Celui-ci ne bougea pas. Il étendit vivement le bras et la saisit au poignet. Il souriait toujours de l’air le plus aimable. Son geste n’était pas un geste de violence. Il l’avait prise par le poignet comme il lui aurait pincé le menton.

Et cependant les traits de la virago se contractèrent. Ce fut d’abord une expression de stupeur intense, puis une expression de douleur suivie d’un sourd gémissement. Pardaillan s’informa avec sollicitude:

– Vous ai-je fait mal, ma belle? Pourtant, c’est à peine si j’ai serré. Mais il ne lâchait pas prise pour cela. Et tout à coup, très froid:

– Écoute, dit-il, je n’ai pas de temps à perdre. Si tu ne m’ouvres pas, je te traîne jusqu’à cette porte, je frappe et je te livre à ton maître en lui apprenant que tu le trahis.

– Jésus Dieu!… Mais c’est le diable en personne!

– La clé! commanda impérieusement Pardaillan.

Et comme elle n’obéissait pas, il avança vers la porte, la traînant, comme il avait dit, sans effort apparent, et malgré qu’elle résistât bravement.

Cependant il l’avait amenée jusque devant la porte. Il allongea la main vers le marteau. Elle comprit qu’elle n’était pas de force à lutter contre ce singulier personnage. Elle se résigna. Elle sortit enfin la clé, la laissa tomber à terre et voulu s’enfuir, prise d’une terrible panique.

– Minute, la belle, fit Pardaillan d’un air narquois, ramasse la clé et ouvre toi-même… et sans bruit, comme tu sais si bien le faire, as-tu dit.

La mégère baissa la tête, honteuse. Elle se voyait devinée. Elle avait pensé se débarrasser de cet énergumène en abandonnant une clé quelconque. Elle dut reconnaître que l’homme n’était pas que plus fort qu’elle. Il était encore plus malin. Il n’y avait pas moyen de résister ni de ruser avec lui.

Vaincue, elle se résigna. Et tirant une autre clé, elle ouvrit sans bruit, comme on le lui avait ordonné. Alors, Pardaillan la lâcha et elle détala en faisant force signes de croix, comme si tous les démons d’enfer eussent été à ses trousses, en geignant:

– C’est le diable! Pour sûr, c’est le diable!

XXIX

Pardaillan entra et mit la clé dans sa poche.

Il se trouvait dans un large couloir qui précédait le vestibule. À sa gauche, une porte entrouverte, à sa droite une autre porte, fermée. Au fond du couloir, deux portières dont une rabattue et l’autre relevée par une embrasse.

Il écouta et entendit, assez distinctement pour la reconnaître, quoique lointaine et assourdie, la voix de Jehan. Il murmura:

– Il est vivant! C’est parfait. Je n’ai pas à craindre d’être surpris par la valetaille, puisque «la belle enfant» l’a dit à la Galigaï, «monseigneur» a enfermé tout le monde à l’office. Voyons un peu à nous reconnaître ici.

Il poussa la porte entrouverte et entra. Tout de suite, il vit le manteau et l’épée de Concini. Il sourit. Il vit la portière. Il la souleva. Une porte, la clé sur la serrure. Il ouvrit. Le battant donnait dans l’intérieur de la pièce qui suivait. Il eut un second sourire de satisfaction, jeta un coup d’œil circulaire dans cette seconde pièce, et, satisfait sans doute, il laissa tomber la portière en laissant la porte ouverte derrière. Il songea, avec un sourire railleur:

– La retraite est assurée. Allons écouter un peu ce que peut bien dire Concini à son prisonnier.

Il revint dans le couloir, se plaça contre la portière rabattue, écarta un petit coin et là, invisible, il put voir et entendre.

Concini était accroupi à terre, penché sur un trou, le dos tourné à la portière. Il croyait avoir bien pris ses précautions pour que nul ne vînt le surprendre. Il n’avait aucune inquiétude à ce sujet. Et sa conversation avec Jehan l’absorbait si complètement qu’il ne s’aperçut pas que Léonora venait de s’accroupir à côté de lui, si près qu’elle le touchait presque. Elle aussi, comme Concini, elle tournait le dos à la portière, et comme Concini encore, elle était bien tranquille et à mille lieues de soupçonner qu’un indiscret les épiait.

Pardaillan écouta donc. Lorsqu’il entendit Jehan raconter cette histoire d’audience royale et de compagnon prêt à révéler au roi le complot de Concini, il eut un demi-sourire et murmura.

– Pas mal imaginé. Ma foi, si le Concini le relâche, et c’est probable, je me serai donné bien du mal inutilement. Enfin, attendons, tout n’est pas dit encore.