Lorsqu’il vit Léonora intervenir, il comprit que les affaires de Jehan se gâtaient et il ne regretta plus la peine qu’il s’était donnée. Enfin, lorsqu’il entendit Concini dire qu’il se souciait fort peu des révélations dont on le menaçait, il se dit que le moment était venu de battre en retraite. Et il alla se poster derrière la tenture, tenant le battant de la porte d’une main, prêt à le pousser à la moindre alerte.
Là, il entendit à peu près toute la conversation des deux époux. Nous disons: à peu près. En effet, il y eut des moments où le geste remplaça la parole et d’autres où les mots furent prononcés à voix si basse que, malgré qu’il eût l’ouïe extrêmement fine, il ne parvint pas à les saisir.
Cependant, Concini se remettait un peu du coup que sa femme lui avait asséné avant de le quitter. Il repoussa la porte et d’un pas chancelant, il revint dans le cabinet, où il se laissa tomber dans un fauteuil en étouffant un sanglot.
Aussitôt, il bondit, effaré.
Pardaillan fermait la porte à double tour et mettait tranquillement la clé dans sa poche. Ceci fait, son sourire le plus gracieux aux lèvres, Pardaillan saluait avec une aisance un peu dédaigneuse.
La stupeur laissa Concini muet. Ses yeux effarés regardaient tour à tour cet intrus et faisaient le tour du cabinet, comme s’il eût cherché à se rendre compte par où il avait pénétré. Dans cette sorte d’inspection rapide, il vit son épée à côté de lui et il se rappela très bien ne pas l’avoir laissée là. Machinalement, ses yeux se portèrent sur la chaise où se trouvait encore son manteau.
Pardaillan vit cette pantomime et, avec un flegme déconcertant, il expliqua:
– C’est moi, monsieur, qui ai placé votre épée là, à seule fin de vous rassurer sur mes intentions.
Concini saisit l’épée et l’accrocha vivement au pendant d’épée. En même temps, il retrouva la parole. Il s’avança menaçant et gronda:
– Qui êtes-vous?… Que faites-vous ici?… Savez-vous que je pourrais vous tuer comme un chien?…
– Pour ce qui est de ceci, soyez assuré que je ne vous laisserai pas faire sans me défendre un peu… Et, soit dit sans me vanter, j’ai la main plutôt lourde. Ce que je fais ici, je vais vous l’expliquer dans un instant. Qui je suis: le compagnon de ce Jehan le Brave que vous voulez laisser mourir de faim et de soif… Vous savez, ce compagnon qui doit se rendre à certaine audience et raconter au roi comment vous avez voulu le faire assassiner rue de l’Arbre-Sec?
– Ah! rugit Concini avec une joie furieuse, c’est toi le compagnon?… Attends!…
Et portant son petit sifflet d’argent à ses lèvres, il fit entendre le signal qui appelait toute la valetaille à la rescousse, oubliant qu’il n’avait pas encore eu le temps de remplacer les trois bravi.
Pardaillan le laissa faire. Seulement, lui, sans hâte aucune, il s’en fut à la fenêtre et l’ouvrit d’un geste brusque, sans perdre de vue Concini. Et il appela:
– Gringaille!
– Monseigneur!
– Entrez ici et gardez-moi à l’office les domestiques de M. Concini. Gardez-les-moi de telle sorte que nul ne vienne me déranger.
En même temps qu’il parlait, Pardaillan jetait à travers les épais barreaux qui défendaient la fenêtre, la clé que la virago lui avait remise.
Pendant ce temps, les domestiques de Concini, trouvant la porte du cabinet fermée à clé, appelaient leur maître. Concini s’était rué sur la porte masquée par la tenture, pensant sortir par là. Et une énorme imprécation fusa de ses lèvres convulsées en constatant qu’elle était fermée.
Pardaillan referma la fenêtre et attendit très calme, ne paraissant pas s’occuper de Concini, mais en réalité ne perdant pas un de ses mouvements.
On entendit le bruit de la porte qui se refermait violemment, un bruit de lutte, des jurons, une galopade effrénée dans le couloir ponctuée de cris perçants poussés par des voix féminines, puis le silence le plus complet.
Concini, livide, hébété, se demandait s’il rêvait ou s’il ne devenait pas fou. Quoi? Il trouvait un étranger chez lui, cet étranger possédait une clé de son domicile et y faisait entrer des truands qui rossaient ses gens. Lui-même était enfermé à double tour, prisonnier chez lui de cet homme qu’il ne connaissait pas. On conviendra qu’il y avait, en effet, de quoi l’effarer.
À ce moment, on frappa à la porte du cabinet. Pardaillan, avec ce calme qui stupéfiait et exaspérait Concini, alla ouvrir. Escargasse et Gringaille firent deux pas et saluèrent militairement Pardaillan. Et ils virent Concini qui, acculé dans un angle de son cabinet, grinçait des dents.
Escargasse lui adressa un sourire amical, puis il lui dit bonjour par des petits mouvements de tête accompagnés de clins d’œil engageants et des petits gestes protecteurs de la main et enfin il lâcha:
– Eh vé! le signor Concini!… Et autrement, comment va depuis que nous vous avons laissé proprement ficelé?…
Gringaille le rappela à l’ordre d’un coup de coude à défoncer une côte et, voyant que Pardaillan ne se décidait pas à l’interroger, il prit sur lui de parler sans y être autorisé.
– Monseigneur, dit-il en s’inclinant respectueusement, c’est pour vous dire que les valets du signor Concini n’étant que deux, Carcagne suffit pour les garder avec les filles de chambre qui sont à moitié pâmées de terreur. Ce qui fait que nous venons prendre vos ordres.
Pardaillan approuva d’un léger signe de tête et avec douceur:
– Vous, mon brave (il s’adressait à Gringaille), poussez-moi les verrous de la porte extérieure, placez-vous devant et ne laissez entrer ou sortir personne. Vous (à Escargasse), allez trouver vôtre camarade et gardez les gens de monsieur. Que nul n’approche de ce cabinet. Attendez.
Et se tournant vers Concini, très poliment:
– Monsieur, dit-il, je ne veux pas vous laisser croire que ces braves sont ici pour vous menacer. J’aime assez faire mes affaires moi-même et je ne suis pas si vieux que j’aie besoin d’une aide quelconque, lorsque je n’ai qu’un homme devant moi. Je vous engage ma parole que quoi qu’il advienne, ces trois braves n’interviendront pas.
Et se tournant vers Gringaille et Escargasse:
– Vous avez compris? Quoi que vous entendiez, vous ne bougerez pas.
– Bien, monseigneur! dirent les deux braves en chœur.
– Maintenant, si les choses se passent comme je l’espère, monsieur et moi nous sortirons d’ici ensemble et d’accord, et tout cela sera pour le mieux. Sinon c’est que monsieur m’aura tué.
Gringaille et Escargasse montrèrent les crocs en roulant des yeux terribles. Pardaillan sourit et:
– Non, mes braves, dit-il. En ce cas, vous vous en irez sans toucher à monsieur. Vous m’entendez?… Sans le toucher et en le laissant absolument libre et maître chez lui. Jurez qu’il en sera ainsi.
Les deux braves se regardèrent hésitants.
– Jurez, répéta Pardaillan avec une irrésistible autorité. À regret, Escargasse et Gringaille dirent:
– C’est juré, monseigneur.
– C’est bien. Allez.
Pardaillan poussa la porte sur eux et s’adressant à Concini: