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– J’espère, monsieur, dit-il d’un air froid, que vous ne me ferez pas l’injure de douter de ma parole et qu’après les ordres que je viens de donner devant vous, vous êtes pleinement rassuré sur la loyauté de mes intentions.

– Oui, grinça Concini, puisqu’il en est ainsi, meurs! chien enragé! Et le Florentin, qui avait dégainé sournoisement, se rua en portant un coup foudroyant.

Mais Pardaillan, avec son air confiant et indifférent, ne le perdait pas de vue. Il vit venir le coup et l’esquiva d’un bond de côté. Au même instant, il avait l’épée à la main et recevait le choc de Concini.

La passe d’armes fut violente mais brève. Il y eut quelques froissements de fer rapides et l’épée sauta des mains de Concini.

En ferraillant, il avait tiré la dague. Il était brave. Quand il se vit désarmé, il rugit:

– O demonio d’inferno!

Et tête baissée, il fonça la dague levée sur Pardaillan, qui baissait courtoisement la pointe de son épée.

Pardaillan vit venir le coup de dague comme il avait vu venir le coup d’épée: sans surprise. Il saisit le poignet de Concini au vol et le serra d’une poigne vigoureuse. Il posa son épée qui le gênait et joignit les deux mains autour du poignet de Concini. Ce ne fut pas long. La dague échappa aux doigts meurtris qui ne pouvaient plus la tenir; un hurlement de douleur jaillit des lèvres contractées.

Pardaillan repoussa la dague d’un coup de pied, saisit Concini à la ceinture, le souleva comme une plume au-dessus de sa tête, le balança un inappréciable instant comme s’il eût voulu prendre l’élan capable de le broyer à coup sûr, et il reposa sur ses pieds, doucement, Concini, stupide, qui avait bien cru à sa dernière heure.

Pardaillan ramassa son épée, la mit au fourreau, et d’une voix qui ne paraissait même pas essoufflée par le rude effort qu’il venait de fournir:

– Monsieur, dit-il avec calme, vous voyez que, de toutes les manières, je suis plus fort que vous. Il ne tenait qu’à moi de vous tuer au lieu de vous désarmer. Je pouvais vous briser la tête contre ce mur. Et je ne l’ai pas fait. Croyez-moi, le mieux que vous ayez à faire est de vous tenir tranquille.

– Mais enfin, écuma Concini, c’est inconcevable. Vous envahissez mon domicile, vous écoutez aux portes, vous commandez, vous menacez!… Que voulez-vous à la fin?

– Une chose très simple: que vous m’écoutiez.

– Soit, consentit Concini, qu’avez-vous à me dire?

Avec son flegme exaspérant, Pardaillan dit:

– Prenez la peine de vous asseoir.

D’un signe de tête furieux, Concini refusa et il mâchonna en se mordant le poing de rage:

– Chez moi!… Chez moi!…

Pardaillan eut un sourire narquois, et poussant un fauteuil qu’il plaça de façon à empêcher Concini d’aller ramasser la dague ou l’épée qu’il avait repoussées à l’autre extrémité du cabinet, il s’assit en disant:

À votre aise, monsieur. Mais moi, qui ne suis plus aussi jeune et aussi fringant que vous, souffrez que je m’assoie.

Concini comprit qu’il était dans la main de cet énigmatique personnage et qu’il lui fallait en passer par toutes les lubies qu’il lui plairait d’avoir. Il se jeta rageusement dans un fauteuil et s’accota en prenant un air ennuyé, le plus impertinent du monde.

– Monsieur, commença posément Pardaillan, vous avez voulu faire tuer le roi et n’avez pas réussi. Ici même, je vous ai entendu parler de je ne sais quelle sotte prédiction de charlatan, et avec votre estimable épouse, vous avez pris vos dispositions pour réussir ce que vous avez manqué jusqu’à ce jour. Tuer le roi est devenu une idée fixe chez vous, paraît-il. Soit. Ceci vous regarde tous les deux, le roi et vous. Et ce n’est pas moi qui irai vous dénoncer, comme on vous en a menacé. Je vous le dis et vous pouvez me croire sur parole. Je ne me donne jamais la peine de mentir. Donc vous pouvez être rassuré sur ce point.

Sous son air indifférent et ennuyé, Concini écoutait, on peut le croire, avec un intérêt des plus vifs. Chose étrange, il ne douta pas de la parole de cet extraordinaire inconnu. Sa figure étincelante de loyauté et les quelques gestes qu’il venait d’accomplir avait suffi pour lui faire comprendre qu’il ne se trouvait pas devant le premier venu et que ce que celui-là promettait, il le tiendrait.

Il se sentit soulagé d’une énorme inquiétude. Il respira plus à l’aise déjà. Et quant à cette espèce d’indifférence que l’inconnu paraissait manifester à l’égard du roi, il en conclut naturellement que ce devait être un ennemi du Béarnais. Par conséquent un homme qui pouvait, à la rigueur, devenir un allié.

Déjà Pardaillan continuait:

– Cependant je dois vous avertir loyalement que, dans ce que vous entreprendrez contre le roi, vous me trouverez contre vous.

– Pourquoi? lâcha Concini involontairement.

– Parce que, dit Pardaillan glacial, vous voulez tuer le roi pour piller le royaume à votre guise. Et il ne me plaît pas que mon pays tombe entre les pattes crochues d’un coquin tel que vous.

– Monsieur!… grinça Concini.

– Quoi? fit Pardaillan d’un air naïf. Coquin vous paraît-il un peu faible sans doute? Que voulez-vous, je n’ai pas voulu vous accabler d’un seul coup. Ce point étant liquidé, passons à un autre.

Concini eut une moue impertinente pour indiquer combien cette conversation l’assommait. Pardaillan continua sans s’émouvoir.

– Mme Concini vous a remis certain papier contenant des indications précises au sujet d’un certain trésor appartenant à une certaine princesse Fausta.

– Eh bien? railla Concini.

– Eh bien, monsieur, je désire voir ce papier. Concini éclata de rire.

– Ah! per Bacco! l’aventure est plaisante!… Monsieur est un larron qui vient simplement réclamer sa part! Tudieu! quand je pense que j’ai failli être dupe de vos grands airs, monsieur l’honnête homme, c’est à crever de rire!

Pardaillan ne se fâcha pas. Il paraissait approuver doucement de la tête. Il reprit paisiblement:

– Remarquez que je ne demande pas que vous me donniez ce papier. Je demande à le voir, à le lire simplement.

– Simplement est merveilleux! s’esclaffa Concini. Vous avez bonne mémoire, paraît-il, monsieur; une seule lecture de ces précieuses indications vous suffira. Et vous espérez ensuite arriver bon premier, hein?

Pardaillan se leva et sa figure était telle que Concini fut à l’instant debout et repoussa son fauteuil pour se donner de l’espace. Pardaillan allongea le bras et posa son index à deux pouces de la poitrine de Concini, et d’une voix terrible à force de calme:

– Vous m’avez demandé qui j’étais et je vous ai dit que j’étais le compagnon de ce jeune homme que vous avez lâchement et traîtreusement enfermé dans un tombeau. Je vous l’ai dit parce que c’était vrai. Maintenant je vous dis: je suis cet homme qui a vaincu des puissances qui eussent pulvérisé tout autre que lui – je répète ce que votre épouse, ici même, a dit tout à l’heure. Je suis le père du fils de la princesse Fausta. Le père de celui à qui appartiennent ces millions… de celui que vous avez décidé froidement d’assassiner pour le dépouiller plus à l’aise. Ces millions que vous voulez voler, mon devoir est de les défendre envers et contre tous, puisqu’ils appartiennent à mon fils. Mon droit est de rentrer en possession de ce papier volé qui appartient à mon fils… Allons, drôle, donne ce papier.