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Et les deux enragés, sans une égratignure, la pointe de l’épée de nouveau baissée, repliés sur eux-mêmes, dominaient toute la scène, encore une fois pétrifiés dans une pose d’attente qui était en même temps une attitude de défi.

Et ils étaient admirables tous les deux. Le vieux, extraordinairement calme, l’air indifférent, une lueur malicieuse dans les yeux, un sourire narquois aux lèvres. Le jeune, hérissé, étincelant, le regard fulgurant, la lèvre retroussée laissant à découvert ses dents blanches de jeune loup. Le vieux, désabusé, attendant avec un flegme imperturbable qu’on attaquât pour se défendre. Le jeune, bouillonnant d’ardeur réfrénée, ne se contraignant à la défensive que pour se modeler sur son compagnon, mais rongeant impatiemment son frein, aspirant de toutes ses forces à l’offensive. Et c’était bien cela qui le travaillait, car de sa voix vibrante il s’écria:

– Si nous chargions ces valets de bourreau?…

Mais Pardaillan avait sans doute son idée. Peut-être se rendait-il mieux compte que son jeune compagnon de la gravité de leur situation. Peut-être avait-il simplement résolu de s’en tenir à cette vigoureuse défensive. Toujours est-il que, tout en admirant la bravade, il répondit par un haussement d’épaules dédaigneux.

Et Jehan le Brave, qui n’avait jamais su ce que c’était d’obéir dans le combat, accepta sans révolte de se plier à une volonté autre que la sienne.

C’est que si Pardaillan admirait l’ardeur de son jeune compagnon, celui-ci, plus vivement encore, admirait l’extraordinaire sang-froid de cet homme qui lui apparaissait comme le modèle le plus accompli sur lequel il pût se régler.

Tout à coup, au milieu du silence relatif qui s’était établi, retentit un cri de douleur horrible. C’était La Varenne qui venait de le pousser.

Que lui arrivait-il donc!… Ceci:

La Varenne n’avait pas douté un seul instant de l’issue de l’action. L’arrestation des deux hommes lui paraissait inévitable. Il n’en voulait pas à Pardaillan. Qu’on le tuât, qu’on l’arrêtât ou qu’il se tirât complètement d’affaire, peu lui importait. En revanche, il s’intéressait particulièrement à Jehan le Brave. Celui-là le couvait d’un regard féroce et il exultait à la pensée que l’insolent serait livré au bourreau.

Aussi, lorsque les archers s’étaient élancés, il n’avait pas manqué de le leur désigner en criant:

– Prenez-le vivant!… Celui-là appartient au bourreau!

Lorsqu’il vit la vigoureuse défense des deux assiégés, il comprit, la rage au cœur, que cette arrestation, qui lui paraissait assurée, pouvait ne pas se faire et qu’il ne tenait pas encore sa vengeance.

Il résolut aussitôt de venir en aide aux hommes du grand prévôt et d’essayer de faire lui-même la besogne que ces maladroits étaient en train de gâcher.

Furtivement, il se glissa vers un des côtés du perron. Son intention était, en utilisant le pilier pour se dissimuler, de se hisser sur le perron, derrière Jehan le Brave, et de le mettre hors de combat en le frappant aux jambes.

Il avait réussi à se faufiler derrière celui qu’il voulait frapper, sans avoir été aperçu. Pour accomplir son projet, il n’avait pas besoin de se hisser debout sur le perron. Il suffisait que son buste émergeât suffisamment pour qu’il pût atteindre aux jambes celui qu’il rêvait de livrer au bourreau.

Un instant, il put croire qu’il allait réussir. Déjà, il allongeait le bras pour frapper. Et Jehan ne paraissait pas se douter du danger qu’il courait. Mais, au moment où La Varenne, avec un rugissement de joie, frappait au jarret qu’il voulait trancher, sans se retourner, Jehan le Brave, qui le guignait du coin de l’œil sans en avoir l’air, d’un coup de revers foudroyant, le cravacha en plein visage.

Le rugissement de joie se changea en un hurlement de douleur, et La Varenne, la joue effroyablement zébrée, aveuglé par le sang, tomba à la renverse et ne se releva pas.

De Neuvy, cependant, avait retenu d’un geste ses hommes qui, furieux de la correction reçue, voulaient se ruer à un nouvel assaut. Le grand prévôt réfléchit. Il se trouvait en présence de deux adversaires qui n’étaient pas à dédaigner. Ils venaient de le prouver. Il fallait cependant que force restât aux agents de l’autorité. Il le fallait de toute nécessité. Néanmoins, il ne fallait pas non plus que cette double arrestation coûtât trop cher.

Que deux hommes eussent tenu en échec cinquante archers commandés par le grand prévôt lui-même; qu’ils en eussent mis six hors de combat et blessé légèrement trois ou quatre autres, c’était énorme. Il était à présumer que le roi ne féliciterait pas le sire de Neuvy. Il était inadmissible que ces deux hommes fissent d’autres victimes. La situation du grand prévôt était en jeu.

Et voici quel fut le dispositif adopté par de Neuvy:

Il rangea ses hommes en un demi-cercle, sur deux rangs. Ces hommes devaient marcher droit au perron, l’assaillir en même temps de face et des deux côtés et cerner ainsi les deux rebelles. En outre, il ne s’agissait plus d’arrêter simplement. Morts ou vifs, les deux hommes devaient être saisis.

Sur le signal de leur chef, les archers s’ébranlèrent, enserrant les rebelles dans un cercle de fer.

Sur le perron, Pardaillan et Jehan le Brave virent la manœuvre. Ces deux hommes, qui ne se connaissaient pas, avaient d’étranges affinités. Tous deux possédaient la même sûreté de coup d’œil extraordinaire. Tous deux avaient la même promptitude de décision suivie de mise à exécution immédiate. Enfin, Jehan le Brave, plus jeune, plus ardent, plus violent, plus en dehors que Pardaillan, au moment de l’action, retrouvait instantanément un sang-froid presque égal à celui qu’il admirait si fort chez son compagnon.

De tout ceci il résulte que sans se concerter, sans se dire un mot, après un simple coup d’œil échangé, ils trouvèrent et adoptèrent la tactique convenable.

Ils se placèrent dos à dos, solidement campés au milieu du perron, de façon à faire face de tous les côtés à la fois. Et d’un même geste, ils recommencèrent la manœuvre: le tourbillon fantastique qui les couvrait.

D’ailleurs ils ne se faisaient aucune illusion: ils savaient qu’ils succomberaient fatalement sous le nombre. La résistance serait plus ou moins longue: c’est tout.

De nouveau les deux rapières étincelantes pointèrent dans le tas, tourbillonnèrent à droite, à gauche, partout à la fois. Les archers fourragèrent, piquèrent avec frénésie. Par là-dessus des exhortations, des menaces effroyables, des insultes extravagantes, des cris de douleur.

Mais cette fois, l’élan des assaillants était méthodique et combiné, ils ne cédèrent pas.

– Ils en tiennent! Ils en tiennent! crièrent quelques voix. C’était vrai, Pardaillan et Jehan le Brave étaient couverts de sang, déchirés, en lambeaux, depuis les pieds jusqu’à la ceinture. Mais les pourpoints, c’est-à-dire les poitrines, étaient encore intacts. Ce n’étaient là que simples égratignures sans conséquences. Les habits et les bottes étaient plus endommagés que la peau.

Mais tout à l’heure, dans un instant, les archers envahiraient le perron et alors, ils pourraient atteindre les poitrines.

Le cercle s’était rétréci. Lentement, progressivement, les assaillants, se poussant, se portant mutuellement, gagnaient du terrain, montaient les marches, enjambant les côtés.

C’était la fin. La résistance des deux enragés allait être brisée.