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– Vous le saurez bientôt… Si j’étais seule en cause je me serais tue… vous le savez. Mais c’est celui que j’aime que vous menacez, vous!… Je parlerai donc. Et si ce que j’ai à dire vous écrase de honte, ne vous en prenez qu’à vous-même. C’est vous qui l’aurez voulu.

– Que de grands mots dans une si petite bouche, railla Henri qui commençait à regretter sa curiosité.

Dédaigneuse de l’interruption, Bertille commença:

– Voici seize ans de cela, un homme, parce qu’il avait titre de roi et parce qu’il avait sans doute trop bien dîné, par un soir de printemps, semblable à celui-ci, s’introduisait subrepticement chez une jeune fille innocente et pure. L’homme, vous le connaissez: c’est vous, Sire. La jeune fille, c’était ma mère… Remarquez que je raconte simplement les faits sans les commenter. À vous qui ne voulez pas faire grâce à un homme coupable d’avoir croisé sa rapière contre votre épée – comme si la rapière d’un loyal gentilhomme ne valait pas l’épée d’un roi, qui a fait ce que vous avez fait – à vous, dis-je, moi, la fille de la victime, victime moi-même, je fais grâce des commentaires et des qualificatifs que méritent l’homme et sa conduite.

– Grand merci, ma belle enfant. Continuez, vous m’intéressez. Toujours froide, Bertille reprit:

– L’homme abusa de sa force pour violenter la jeune fille. Ceci, je pense, est un crime autrement impardonnable que celui que vous ne voulez pas pardonner, monsieur.

À ce mot: monsieur, le roi eut un mouvement de révolte. Mais il se maîtrisa et se contenta de sourire dédaigneusement.

– Or, voici ce que vous ne saviez pas sans doute… ce qui ne vous eût d’ailleurs pas arrêté: Blanche de Saugis avait un fiancé qu’elle adorait.

Henri tressaillit. Jusque-là, il avait écouté d’un air qui s’efforçait de paraître détaché. Mais sans doute, comme elle venait de le faire remarquer, les détails que la jeune fille allait donner étaient inconnus de lui, car il commença de prêter une oreille attentive.

– Déshonorée, continua Bertille, ma mère n’osa pas révéler sa honte à celui qu’elle aimait: mais ne se jugeant plus digne de lui, elle reprit sa parole et congédia son fiancé sous un prétexte quelconque. Ce brave gentilhomme adorait ma mère. Il pressentit quelque fatal secret et fit tant et si bien qu’il arracha la vérité à celle qu’il n’avait pas cessé d’aimer. C’était un loyal et digne gentilhomme. Il offrit à ma mère de passer outre et de la prendre quand même pour épouse. L’offre honorait celui qui la faisait et celle à qui elle s’adressait. Malheureusement ma mère avait trop de fierté pour l’accepter. Alors ils résolurent de s’unir dans la mort. Tout était prêt pour le double suicide, lorsque Blanche de Saugis s’aperçut qu’elle allait être mère. Or, savez-vous ce qu’ils firent, monsieur? Ils décidèrent d’attendre que l’enfant fût né pour mettre leur projet à exécution. Et ils firent comme ils avaient décidé. Le lendemain de ma naissance, ma mère et son fiancé burent la mort dans la même coupe… Si vous allez à Saugis, monsieur, vous verrez sur une même tombe une double croix. C’est là que reposent, unis dans la mort, ceux que le caprice d’un homme, parce qu’il était roi, parce qu’il était ivre, parce qu’il voulait se distraire et s’amuser, avait séparés dans la vie. Ceci, monsieur, n’est-ce pas un double assassinat?

Le roi n’avait plus envie de railler. Un peu pâle, tête baissée, il avait écouté la révélation de ces détails qu’il ignorait avec le regret très vif de l’avoir provoquée.

Voyant qu’il se taisait, sa fille reprit sur un ton poignant:

– Dès le lendemain de ma naissance, je me trouvai donc sans père, ni mère. Et pourtant, dès que je fus en âge de comprendre, je sus que, moi aussi, j’avais un père. Seulement voilà, où était ce père? Que faisait-il? Comment s’appelait-il? Je ne savais pas. La vieille servante qui remplaça ma mère dès que je sus balbutier m’apprit à prier pour ma mère qui était au ciel, d’abord, et ensuite pour que mon père se souvînt qu’il avait une fille et revint à elle. C’est par cette prière répétée chaque jour que je sus que j’avais un père. Je n’ai pas besoin de vous dire la multitude de questions que cette prière me fit poser à ma mère-nourrice. Mais, comme je ne recevais jamais de réponse satisfaisante, si ce n’est que, si mon père revenait à moi, je devrais lui pardonner, je finis par ne plus rien demander.

Bertille se tut un moment.

– À quoi bon évoquer ces choses douloureuses pour vous et pour moi? fit doucement Henri.

– Il faut que vous sachiez!… C’est vous qui l’avez voulu. Il y a environ deux ans, ma nourrice me fit quitter Saugis et m’amena à Paris. À mes questions, elle répondit que mon père habitait cette grande ville, qu’ainsi je serais près de lui et que peut-être aurais-je l’occasion de le rencontrer, de me faire reconnaître, de l’apitoyer. Mais mon père ne se présenta jamais. Ma nourrice m’assurait cependant qu’elle l’avait avisé de ma présence près de lui.

– Je vous jure que je n’en ai jamais rien su, dit vivement le roi. La jeune fille le fouilla un instant du regard, comme si elle eût voulu pénétrer au plus profond de sa conscience.

– C’est possible, dit-elle froidement. Dans ce temps, ma bonne vieille nourrice, déjà bien vieille et bien cassée, mourut en me recommandant de prendre connaissance de parchemins renfermés dans un coffret qu’elle me remit. C’est dans ces papiers que j’appris toute l’histoire de ma naissance et de la mort de ma mère. Pour une jeune fille de quinze ans, ignorant tout de la vie, ce fut plutôt dur. Cependant, ma nourrice m’avait si bien mis dans l’esprit cette pensée de pardon, que je ne songeais pas à maudire celui qui était mon père. Je voulus connaître ce royal père. J’y réussis assez facilement. J’aurais pu, j’aurais peut-être dû retourner à Saugis, Je ne sais quel secret espoir m’incita à rester encore. Que mon père fût le roi, je vous assure que je n’en éprouvais nul orgueil, nulle joie. Simplement, je me disais qu’un roi ne pouvait avoir à se reprocher une aussi abominable action. Je ne doutais certes pas du récit de ma mère, mais je croyais, je voulais croire que mon père n’était pas aussi coupable qu’elle le pensait, qu’il y avait au fond de cette terrible aventure quelque effroyable méprise. Et je me disais que si mon père consentait à me donner une marque d’affection, si tardive et si minime qu’elle fût, je lui pardonnerais de grand cœur en mon nom et en celui de ma mère. Je ne demandais pas autre chose. L’idée ne me venait même pas que le roi pût me reconnaître pour sa fille. Je ne faisais nul rêve ambitieux. Embrasser mon père et disparaître, me faire oublier, retourner dans mes chers bois de Saugis, tel était le rêve que je faisais. Pas d’autre, je vous le jure.

– Eh! jarnidieu, je vous crois sans peine!

– Mon père ne vint pas… il ne vint jamais. Je commençais à ne plus y penser.

– Pourtant, vous voyez que je suis venu quand même. Un peu tard, j’en conviens, mais enfin, ne dit-on pas qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire?

– Mieux eût valu que vous ne fussiez jamais venu! s’écria la jeune fille d’une voix sourde.

– Que dites-vous donc là?

– Je dis, éclata Bertille sur un ton de foudroyant mépris, je dis que vous avez essayé de vous introduire chez moi comme il y a seize ans, vous vous êtes introduit chez ma mère. Je dis que si je ne vous avais révélé mon nom, vous essayiez de renouveler sur la fille, votre fille, le lâche attentat que vous avez commis naguère sur la mère!