Que voulait-il au juste? Voici:
Henri IV, dans ses aventures galantes, ne savait pas se passer de confidents. En dehors de La Varenne, homme à tout faire qui ne comptait pas, il avait une demi-douzaine d’intimes à qui il fallait absolument qu’il racontât ses espoirs et ses déceptions, ses joies et ses tristesses. Naturellement, chacun de ces intimes avait de son côté quelques intimes à qui il confiait, sous le sceau du secret, tout ce qu’un intérêt direct ne lui commandait pas de tenir secret. Autour de ce noyau, déjà assez considérable, gravitait la foule des intrigants qui se faufilaient, cherchant à surprendre un renseignement utile. Ajoutez la multitude des espions, hommes et femmes, qui, pour le compte des uns et des autres, épiaient, écoutaient, voyaient, devinaient et rapportaient tout, ou à peu près. Brochant sur le tout, et dans des circonstances graves, les ministres eux-mêmes entraient en branle et discutaient aussi gravement que s’il s’était agi des affaires de l’État.
Lorsque le roi s’était épris de Bertille, l’inévitable s’était produit. C’est-à-dire qu’il avait raconté sa passion naissante à ses intimes.
Ceux-ci s’étaient précipités rue de l’Arbre-Sec, dans l’espoir d’entrer en contact avec la belle et de faire leur cour à celle qui pouvait devenir une favorite, dispensatrice de charges et de faveurs. Nous avons dit qu’ils en avaient été pour leurs frais. Ils avaient pu entrevoir la demoiselle Bertille, comme on l’appelait, mais non l’aborder. Quelques-uns cependant s’étaient enthousiasmés de cette beauté.
Concini n’était pas des privilégiés qui jouissaient de la confiance royale. Par contre, il était de ceux qui disposaient d’un service de renseignements parfaitement et aussi complètement renseigné que les mieux renseignés des premiers confidents.
Il fit ce qu’avaient fait les autres: il s’en alla rôder rue de l’Arbre-Sec. Il vit Bertille à sa fenêtre, et ce fut le coup de foudre. Tout de suite, il la désira fougueusement et se jura qu’elle serait à lui, quoi qu’il pût en résulter.
Sur ces entrefaites, Léonora était venue lui dire que, le soir même, le roi serait tué. Le roi mort, son règne, à lui Concini, commençait, sous le couvert de Marie de Médicis. Dès lors, il n’avait plus à se gêner. Et comme il était excessif en tout, comme sa passion nouvelle était probablement sensuelle et brutale, il résolut d’enlever la jeune fille le soir même.
Il envoya Escargasse, Carcagne et Gringaille rue de l’Arbre-Sec, avec ordre de préparer l’enlèvement et de surveiller la maison qu’il leur indiquait. Il n’oubliait pas que le roi devait être occis devant la maison, et il tenait à être renseigné au plus tôt sur ce qui se serait passé. C’est ce qui fait qu’il déclara à ses séides que l’enlèvement ne pouvait être tenté que passé minuit, mais que de dix heures à minuit, il ne fallait pas perdre la maison de vue un seul instant. Cette heure passée, ils devaient venir lui rendre compte au logis, où il les attendrait.
Il savait qu’il pouvait compter sur leur adresse. Il ne doutait pas qu’ils lui rapporteraient jusqu’aux plus petits détails de cette mémorable soirée dont ils ignoraient les dessous tragiques. Quant à lui, d’après ce qu’ils diraient, il verrait s’il devait donner suite à son projet d’enlèvement ou s’abstenir.
XI
Il était près d’une heure du matin lorsque les trois braves furent introduits dans le cabinet de Concini.
Il y avait plus d’une heure que celui-ci ne vivait plus, dévoré par l’angoisse et l’incertitude.
Les trois compères naturellement étaient à mille lieues de soupçonner les raisons capitales qu’il avait d’être inquiet. Pour eux, il s’agissait d’un enlèvement, chose très banale, en somme. Cet enlèvement, ils l’avaient préparé consciencieusement; ils pensaient que c’était l’essentiel et croyaient avoir accompli scrupuleusement leur mission.
Mais comme ils connaissaient le caractère violent de leur maître, ils s’étaient rapidement concertés et avaient décidé de passer la parole à Escargasse, dont ils connaissaient bien la faconde et la fertile imagination, les deux autres se contentant d’appuyer énergiquement tout ce que dirait le Provençal.
Il convient de dire ici qu’ils étaient arrivés aux environs du logis de Bertille au moment où le capitaine de Praslin s’expliquait avec Pardaillan et La Varenne.
De loin ils avaient reconnu tout de suite l’uniforme des gardes. Ils avaient immédiatement compris qu’il ne serait pas délicat d’écouter une conversation qui ne les regardait pas et ils s’étaient empressés de mettre discrètement le plus grand espace possible entre ces uniformes et eux. Ils avaient bien entendu un ou deux noms, surpris quelques paroles par-ci par-là, mais ils se promettaient de les oublier.
Nouvelle alerte. Les archers étaient apparus derrière eux. Obéissant au même sentiment de discrétion honorable, ils s’étaient terrés comme ils avaient pu. À la lueur des torches, ils avaient vu la rue envahie par les sergents, ils avaient reconnu le grand prévôt lui-même sur son cheval. À cette vue, ils avaient senti leur discrétion s’enfler encore, déborder de tous côtés, ils avaient compris qu’ils étaient trop exposés… à commettre le péché de curiosité et ils avaient filé, comme des flèches, jusqu’à la Croix-du -Trahoir.
En sorte que, des graves événements que leur patron Concini avait un intérêt capital à connaître à fond, ils ne savaient rien, si ce n’est quelques mots vagues surpris involontairement, des rumeurs assourdies par la distance et, leur avait-il semblé, comme un bruit de lutte. Et Concini les avait envoyés dans l’espoir d’être renseigné par eux.
La petite rue redevenue obscure, déserte, silencieuse, endormie, ils étaient sortis de leur trou et s’étaient approchés de la maison qu’ils devaient surveiller.
Nouvelle déconvenue. Trois ombres déambulaient en bavardant aussi paisiblement que si le soleil, là-haut, avait brillé dans tout son éclat, à la place de la lune qui, précisément en ce moment, cachait sa face bouffie sous le masque d’un nuage. C’était une outrecuidance impardonnable.
En outre, ces trois ombres passaient et repassaient devant cette maison qu’ils devaient surveiller. Est-ce que ces trois ombres, par hasard, avaient l’intention d’effectuer la même surveillance qu’eux? Ceci était une prétention intolérable. D’autant que la présence de ces indiscrets pouvait gêner l’expédition projetée par le seigneur Concini.
Ces trois ombres ne portaient pas le costume des gardes, ni celui des archers. Elles avaient tournure de gentilshommes. De plus, ces gentilshommes étaient en nombre égal au leur… chacun son homme. Ils avaient résolu de tomber à l’improviste sur les trois bavards nocturnes et de leur infliger une solide correction à seule fin de leur apprendre à ne pas troubler le sommeil des honnêtes bourgeois endormis.
En agissant ainsi, ils rentraient dans leur mission, passablement négligée jusque-là. Ils rendaient service à leur maître qui saurait la reconnaître par quelque largesse… ils l’espéraient du moins. Sans compter que les trois bavards avaient toute l’apparence de gens dont la bourse est convenablement garnie et qu’ils n’iraient pas, après les avoir mis à mal, faire la sottise de laisser sur eux bijoux et argent et autres bagatelles susceptibles d’exciter la cupidité de messieurs les tire-laine, détrousseurs de nuit et autres gens de sac et de corde.