– Bien, dit le moine dont la figure se fit plus lugubre, le ton plus menaçant. Je vous adjure de me dire exactement ce qu’il y avait dans cette lettre… Et songez, malheureuse, qu’il y va de votre salut… le plus petit mensonge, la moindre réticence… et vous allez tout droit rôtir au plus profond des enfers!…
Du coup, Colline Colle s’écroula. Ce coup imprévu l’assommait. Quoi?… Qu’y avait-il?… Qu’avait-elle dit?…, Pourquoi cette horrible menace de l’enfer?… Elle ne savait pas. Ce qu’elle savait bien, par exemple, c’est qu’elle ne se sentait plus une goutte de sang dans les veines… c’est qu’elle s’étranglait, qu’elle suffoquait.
Le moine comprit que, s’il ne la rassurait pas un peu, il n’en tirerait rien.
– Allons, dit-il plus doucement, vous n’avez peut-être péché que par ignorance. S’il en est ainsi, vous n’êtes pas indigne de pardon. Mais il faut que je sache, et pour savoir, il faut que vous me disiez tout. Parlez donc, mon enfant!… Allons, du courage!… Dieu est miséricordieux, vous le savez.
Réconfortée, la matrone put parler. Et je vous réponds qu’elle ne cherchait pas à ruser maintenant. Elle voyait l’enfer béant devant elle, prêt à l’engloutir, et cette vision affreuse suffisait à éloigner toute velléité de mensonge.
– Donc, mon père, dit-elle d’une voix tremblante, la lettre de ce comte de…
– Ne prononcez pas ce nom! interrompit le moine d’une voix tonnante.
La matrone sursauta et considéra Parfait Goulard d’un œil effaré.
– Continuez, fit celui-ci rudement.
– La lettre donc, reprit-elle en avalant péniblement sa salive, annonçait l’envoi de documents relatifs à un trésor. Ces documents, je vous l’ai dit, étaient précieux en ce qu’ils dévoilaient l’endroit où est enfoui le trésor. Quant au trésor lui-même, il appartenait à cette souveraine…
– Ne prononcez pas ce nom! interrompit encore le moine d’une voix si terrible que Colline Colle gémit:
– Doux Jésus, c’est fini, je suis damnée!…
– Continuez.
– Cette souveraine léguait ce fameux trésor à son fils… un fils qu’elle avait eu d’un seigneur… faut-il dire le nom, mon père?
– Non, malheureuse! tonitrua Goulard.
Encore un coup, Colline Colle courba l’échine, se frappa la poitrine à coups de poing énergiques, en marmottant des mea culpa! Et elle reprit:
– Cet enfant avait été emmené en France par une suivante de cette souveraine. Cette suivante – ah! je ne dis pas le nom, cette fois-ci!…
– Vous faites bien, mon enfant, continuez. La suivante avait donc emmené l’enfant en France. Pour l’élever sans doute?
– Oui, mon père. Et cet enfant lui fut volé par un sacripant que le comte croyait deviner. Un nommé…
– Ne prononcez pas ce nom, vous dis-je! Vous voulez donc être damnée?
– Jésus, mon Dieu! sainte Vierge! sainte Brigitte, ma patronne! ayez pitié de moi, pauvre pécheresse!
– L’enfant lui fut donc volé. Que fit alors cette suivante?
– Elle se tua de désespoir, mon père.
– Qu’elle aille à tous les diables d’enfer! lança le moine à toute volée. Ne savait-elle pas, cette chienne enragée, que notre sainte mère l’Église interdit le suicide?
– Je n’y suis pour rien! gémit Colline Colle dont la raison commençait à chanceler.
– Je le sais, répondit Goulard, et c’est fort heureux pour vous. Sans quoi vous seriez damnée comme elle. Donc elle se tua, cette diablesse. Et que fit-elle avant de se tuer?
– Elle porta à ce comte dont je ne dois pas dire le nom les papiers relatifs au trésor.
– Pourquoi à ce comte? demanda Goulard qui suivait la vérité à travers toutes ces interruptions destinées à affoler la matrone.
– Parce que ce comte était un ancien serviteur de la souveraine et qu’il était, de plus, un ami du père de l’enfant.
– Bon, je comprends! Le comte devait garder les papiers pour les remettre au père de l’enfant… Mais le comte s’est tué volontairement – et qu’il aille à tous les diables, lui aussi! – en sorte que les papiers sont restés chez sa fiancée, laquelle les a légués à sa fille, où vous les avez vus… Est-ce bien tout?
– C’est tout, mon père! Je le jure par les plaies du Christ.
– Je vous crois… Mais ce que vous ne savez pas, vous, et que je sais, moi, parce que j’ai étudié des livres sacrés qu’il n’est pas donné aux profanes de feuilleter, ce que je devine par les noms maudits que vous avez eu la fatale imprudence de prononcer, c’est que tout ceci est un conte diabolique… Diabolique, entendez-vous, malheureuse?… Ah! j’ai bien peur que vous ne soyez irrémissiblement damnée!
– Pourquoi? Qu’ai-je donc fait de si abominable? larmoya Colline Colle.
– Ce que vous avez fait, malheureuse?… Montrez-moi d’abord ce papier… Il est possible après tout, que je me trompe.
Colline Colle, qui était toujours à genoux, s’accroupit sur les talons, se fouilla précipitamment, prit le malencontreux papier, cause de sa damnation peut-être, et le tendit du bout des doigts en donnant de bonne foi et de confiance des signes de terreur et de répulsion manifestes.
Parfait Goulard le prit du bout des doigts, lui aussi, et n’y jeta qu’un coup d’œil. Aussitôt, comme si ce bout de papier avait été un tison ardent, il le laissa tomber en poussant un grand cri. D’un mouvement brusque et violent, il envoya rouler le fauteuil derrière lui, et d’un bond il s’éloigna du papier fatal, comme s’il s’était trouvé soudain en présence de quelque reptile venimeux. En même temps il beuglait, avec des gestes d’exorciste:
– Vade retro, Satanas!… Vade retro!…
Colline Colle s’était écroulée la face contre terre. Elle n’avait plus une idée nette dans la tête. Elle ne songeait pas à s’éloigner du diabolique papier. Elle n’en aurait pas eu la force, du reste. La terreur dominait tout autre sentiment chez elle et la paralysait. Elle se frappait énergiquement la poitrine et aux Vade retro! du moine, elle répondait par des:
– Mea culpa!… Mea maxima culpa!
– Ah! je l’avais bien deviné! tonitrua Parfait Goulard. Savez-vous ce que c’est, malheureuse, cette souveraine? Savez-vous ce qu’est sa suivante?… Deux diablesses!… Entendez-vous? deux diablesses!
– Grâce! implora la matrone sans savoir ce qu’elle disait.
– Savez-vous ce qu’est ce sacripant qui a soi-disant enlevé l’enfant?… Un démon!… Un démon de l’enfer!
– Pitié! râla Colline Colle.
– Savez-vous ce qu’étaient ce comte et son ami, ce soi-disant père de l’enfant?… Deux damnés!… qui avaient vendu leur âme à ces deux diablesses! continua Goulard implacable.
– Jésus, mon doux Seigneur, pitié, miséricorde, hoqueta la vieille, éperdue.
– Savez-vous enfin, termina le moine d’une voix qui grondait, savez-vous ce que c’est que ce papier?… Le pacte infernal signé par les deux damnés avec Satan!…
Cette fois, Colline Colle ne bougea plus et ne dit plus rien. Elle était évanouie.