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– Quant à ce papier, la reine décidera si elle doit l’accepter ou le refuser. Mais je ne crois pas trop m’avancer cependant en disant qu’il y a tout lieu de supposer qu’elle acceptera.

Richelieu était mécontent. Il s’était attendu à des transports de joie, à une explosion de reconnaissance se traduisant par des offres fermes et précises. Il se heurtait à une femme plus forte encore qu’il n’avait cru et qui semblait lui faire une grâce en daignant accepter une somme prodigieuse. Et, en fait, de promesses, il n’obtenait que des paroles très vagues. Ce n’était pas ce qu’il avait escompté.

Si maître de lui qu’il fût, malgré lui, il laissa percer une certaine froideur en disant:

– J’espère que Sa Majesté daignera accepter. En tout cas, je crois, d’ores et déjà, devoir vous donner quelques conseils au sujet des dix millions (il insistait sur le chiffre comme pour bien faire ressortir la valeur considérable du cadeau qu’il faisait) qu’il s’agit de retrouver.

– Je vous écoute, monsieur, dit Léonora, qui se mit moralement sur la défensive.

En effet, en elle-même, elle se disait:

– Attention! C’est maintenant qu’il va sortir ses prétentions… S’il n’est pas trop exigeant, on pourra s’arranger… La somme en vaut la peine.

– Vous m’avez fait l’honneur de me demander où je me suis procuré ce papier, et je vous ai répondu que peu importait. Je vais vous le dire maintenant, madame, parce qu’il est nécessaire que vous le sachiez. Ce papier appartenait à une jeune fille qui se nomme Bertille de Saugis.

Léonora tressaillit. Elle murmura:

– Bertille!… Je connais ce nom-là. Mais Saugis! Qui est cette Bertille de Saugis.

– Bertille, madame, dit Richelieu en souriant, est le prénom de cette jeune fille qui habitait rue de l’Arbre-Sec et dont on s’est fort occupé à la cour, parce que le roi en était épris. Saugis est son nom de famille que nul ne connaissait et que je connais, moi.

– Ah! hurla Léonora dans sa pensée, celle que Concini aime! Celle qu’il a enlevée! Celle qu’il tient enfermée dans sa petite maison de la rue des Rats!… Oh! est-ce que l’évêque va me donner le moyen de me venger?… Ah! s’il en est ainsi, Richelieu, demande ce que tu voudras, ta fortune est faite!

Et tout haut, avec un calme qui eût fait l’admiration de Richelieu s’il avait pu soupçonner la tempête qui venait de se déchaîner dans cet esprit soulevé par la jalousie:

– J’y suis maintenant. Vous disiez donc?

– Je disais, madame, que cette jeune fille possédait le papier que je vous ai remis. Je crois – je n’en suis pas sûr, notez bien – je crois que cette jeune fille possède des copies de ce document. En tout cas, ce dont je suis sûr, c’est qu’elle connaît aussi bien que nous toutes les indications qui y sont contenues. Peut-être même en sait-elle encore plus long que je ne pense. Par elle-même, cette jeune fille ne serait guère à redouter. Par malheur, elle s’est éprise d’une espèce de truand, homme de sac et de corde, fort résolu. Il est à craindre qu’elle ne lui dévoile la cachette et que celui-ci, à la tête d’une armée de truands comme lui, ne cherche à s’emparer du trésor.

– Bien, fit vivement Léonora, il faut la mettre dans l’impossibilité de se rencontrer avec ce truand et par conséquent de lui dévoiler la cachette… Je m’en charge, ajouta-t-elle avec une satisfaction féroce.

– C’est cela et ce n’est pas cela, fit tranquillement Richelieu. Je n’ai pas l’habitude de faire les choses à demi. La jeune fille n’est pas à redouter pour le moment parce que je l’ai fait mettre en lieu sûr.

– Vous dites? s’écria Léonora qui se dressa stupéfaite.

– Je dis, madame, fit Richelieu, assez surpris de cette soudaine émotion, je dis que grâce à mes soins, la jeune fille a été enlevée et que je la mets bien au défi de retrouver son amoureux maintenant.

Et sur un geste de Léonora qu’il interpréta maclass="underline"

– Oh! rassurez-vous, madame, elle n’est pas morte. (Et avec un sourire sinistre.) Mais c’est à peu près tout comme… Peut-être même vaudrait-il mieux pour elle qu’elle fût morte, en effet.

– Voyons, voyons, dit Léonora, avec une agitation grandissante, c’est bien de la jeune fille qui demeurait rue de l’Arbre-Sec que vous parlez? Celle dont le roi est épris?…

– Celle-là même, madame, dit Richelieu qui ne comprenait rien à cette singulière agitation.

– Et vous dites que vous l’avez fait mettre en lieu sûr?

– Je le dis parce que cela est.

– Mais c’est impossible, voyons!…

– Madame, dit Richelieu avec une assurance qui déconcerta la Galigaï, la jeune fille en question, la demoiselle Bertille de Saugis, pour l’appeler par son nom, a été conduite, hier matin, par son amant, le truand dont je vous parlais tout à l’heure et qui s’appelle, lui, Jehan le Brave, Bertille de Saugis, dis-je, a été conduite, hier matin, chez le duc d’Andilly. À l’heure qu’il est, elle est cloîtrée, par mes soins, chez les dames de Montmartre. Et si bien cloîtrée que, croyez-moi, je n’exagère pas quand je dis qu’on peut la considérer comme morte.

Au fur et à mesure qu’il parlait, Léonora réfléchissait: «Oui, c’est net, c’est précis. Pourquoi mentirait-il? Il ne sait pas. Il ne peut pas savoir. Il faut donc admettre que Jehan a découvert l’enlèvement de sa bien-aimée par Concini, qu’il est allé la lui arracher et l’a conduite chez le duc d’Andilly, un ami, un parent peut-être de la jeune fille. Ah! Povero Concinetto!»

Et tout haut:

– Et vous avez fait cela, vous?… C’est merveilleux, admirable!… Vous ne savez pas quel immense service vous nous rendez et que vous avez droit à toute notre reconnaissance. Richelieu, je vous le dis, demandez ce que vous voudrez. Quoi que ce soit, tenez-le pour accordé.

Richelieu ne comprenait pas. Mais ce qu’il comprenait fort bien, par exemple, c’est que Léonora était très sincère et qu’il venait de s’en faire une alliée qui ne manquerait pas à sa parole. Il pressentit bien qu’il y avait quelque chose de louche, de ténébreux, de terrible peut-être, dans le service que Léonora prétendait qu’il venait de lui rendre. Mais quoi? Il ne savait pas au juste, et au surplus peu lui importait. L’essentiel était qu’il avait atteint son but.

Il s’inclina donc profondément, plus pour dissimuler sa joie qu’en signe de gratitude.

– Mais, fit tout à coup Léonora, puisque cette jeune fille est enfermée dans un cloître – car elle est bien enfermée, n’est-ce pas? vous l’avez bien dit? – oui, puisqu’elle est hors d’état de nuire, que craignez-vous donc?

– Il faut tout prévoir. Ce Jehan le Brave est, paraît-il, un homme redoutable. S’il parvenait à découvrir la retraite de la jeune fille, à la délivrer…

– Bien… alors, il faudrait intervenir, se débarrasser d’elle et de lui. C’est bien cela que vous voulez dire?

– Cela même, madame. Et n’oubliez pas que si la jeune fille est en notre pouvoir, le jeune homme, lui, est libre… et qu’il est à redouter. Je vous ai avertie. Gardez-vous bien, madame, vous aurez affaire à forte partie. Tant que ce loup affamé sera sur votre piste, la réussite de votre entreprise sera compromise. Croyez-moi, frappez! Frappez sans pitié!