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– Soyez tranquille, dit Léonora avec une froideur terrible, ni lui ni la jeune fille, si elle s’échappe, ne seront des obstacles à redouter. J’en fais mon affaire. Mais parlons de vous, monsieur de Luçon. Vous venez de rendre à Sa Majesté un service inoubliable. Ce service ne saurait demeurer sans récompense. Parlez, que désirez-vous?

– Madame, dit Richelieu d’une voix tremblante d’espoir, mon désir ardent serait d’être aumônier de la reine.

– Que cela! fit Léonora sincèrement étonnée.

– Je ne suis pas si ambitieux que je le parais, fit l’évêque avec un sourire énigmatique, et je m’estimerai très heureux d’obtenir ce poste.

Et en lui-même, il ajoutait:

– Très heureux, pour le moment… en attendant mieux.

– Soit, dit gracieusement Léonora. Demain, en remettant ce papier à la reine, je demanderai et ferai signer votre nomination. Dès maintenant, vous êtes aumônier de la reine.

Richelieu se courba sur la main de Léonora Galigaï et y déposa un ardent baiser par quoi se traduisait sa reconnaissance.

XXIV

Jehan le Brave avait quitté Concini sans méfiance aucune. Il avait très bien remarqué que le favori le suivait d’assez près. Mais pas un instant la pensée ne lui vint qu’il pouvait méditer quelque lâche trahison. Il avait pensé qu’il se hâtait d’aller délivrer ses serviteurs.

Lorsqu’il sentit le plancher manquer sous ses pieds, il étendit instinctivement les bras et la surprise lui arracha un cri. Il tomba rudement, sans se faire de mal, du reste.

Une seconde, il demeura étourdi et, se redressant d’un bond, il rugit:

– O vigliacco!… Ti mangero il fegato!… Ti mangero le trippe!… Scendi qui, vigliacco [13]!

Jehan le Brave, élevé par le Florentin Saêtta, parlait l’italien aussi couramment que le français. Et comme, avec Concini qui était Florentin, lui aussi, il employait plus souvent l’italien que le français, cette langue lui était venue naturellement à la bouche.

Il se rendit vite compte que l’écho seul lui renvoyait ses menaces et ses imprécations. Il se tut. Il était plongé dans l’obscurité la plus complète. Dans sa chute, la cassette qu’il tenait sous le bras lui avait échappé.

Ce fut de cela qu’il s’inquiéta tout d’abord. À tâtons, il se mit à chercher et trouva assez facilement. Elle s’était ouverte. Les papiers avaient glissé en tas, à côté. Les clés aussi. Il remit le tout en place, et de crainte que quelque feuillet n’eût roulé plus loin, il continua ses recherches. Mais il ne trouva plus rien.

Tranquille sur ce point, il plia son manteau, le posa à terre, contre le mur, et mit la cassette dessus.

Alors, il songea à lui-même et s’occupa de savoir où il était.

Il constata d’abord l’absence complète de meubles. Pas-le moindre siège, même pas une botte de paille sur quoi il pût s’étendre. Il chercha les accessoires obligés de tout cachot: la cruche d’eau, la miche de pain. Il n’y avait rien. Rien que les quatre murs sur lesquels suintait l’humidité produite par le voisinage de la Seine.

Il mesura le cachot et compta cinq petits pas dans le sens de la longueur, quatre dans le sens de la largeur. C’était plutôt petit. Et pas la plus mince ouverture susceptible d’apporter un peu de lumière dans cette sorte de tombe. Le noir compact, à couper au couteau. Un air lourd, une odeur de moisi qui raclait la gorge.

Une porte!…

Il s’attarda longuement à l’étudier: épaisse, trapue, cuirassée de fer, hérissée de gros clous. Pas de serrure. Sans doute les solides verrous qui, extérieurement, la maintenaient hermétiquement close, avaient été jugés suffisants.

Il eut un petit sifflement d’admiration qu’il ponctua par ces mots:

– Ouvrage bien conditionné!

N’importe! il se colleta avec, du pied, du poing, des épaules. Il s’épuisa, se meurtrit sans réussir à l’ébranler. Il essaya de la violenter avec sa dague. La lame se cassa avec un bruit sec. Dommage! elle lui avait bien coûté deux bonnes pistoles.

Il l’abandonna… momentanément.

Toute la nuit, il avait été sur pied et les émotions et les aventures ne lui avaient pas manqué. Il était fatigué et il commençait à avoir faim et soif.

Il s’assit sur son manteau. Il était extraordinairement calme et il s’en étonnait lui-même. Il ne se sentait plus le même et il s’en effarait naïvement. Il se disait que vingt-quatre heures plus tôt, il n’aurait pas supporté sa mésaventure avec le même sang-froid. La fureur l’aurait transporté. Il aurait hurlé, martelé la porte à coups furieux, il n’aurait pas tenu en place. Et d’un air rêveur, il murmura:

– En aurais-je été plus avancé? Non, certes… Mais comme on change, tout de même!… et si vite!…

Il ne se rendait pas compte qu’il subissait l’influence du contact de Pardaillan, son père, avec qui il avait passé presque toute cette nuit. Et il était encore sous le coup de la scène à la fois douce et terrible qu’il avait eue quelques heures plus tôt avec celle qu’il était autorisé à considérer comme sa fiancée.

Doué d’une faculté d’assimilation prodigieuse, il essayait, à son insu, de faire siennes quelques-unes des qualités de son père, qui l’avaient vivement frappé et dont il avait peut-être l’embryon en lui.

Le calme extraordinaire de Pardaillan, cet imperturbable sang-froid, qui ne l’abandonnait jamais, la simplicité de ses manières, la sobriété de ses gestes, la logique serrée de son raisonnement, qui lui permet de n’accomplir que les actes essentiels, par conséquent utiles, voilà ce qui l’a le plus frappé, voilà ce qu’il a le plus admiré. Voilà quelles sont les qualités qu’il a enviées, qu’il a résolu d’adopter et qu’il est en train de s’assimiler, sans s’en rendre compte.

D’autre part, à la suite de l’entretien qu’il avait eu le matin même avec Bertille, il avait eu l’intuition que s’il voulait se montrer digne d’elle, l’ancien homme qu’il avait été jusque-là, devait faire place à un nouvel homme, qui serait à peu près l’opposé de ce qu’avait été l’ancien.

Ce qui n’avait été qu’une intuition s’était précisé davantage, et il en était résulté qu’il avait fait grâce à Concini, ce qu’il n’eût certes pas fait la veille. Maintenant, il comprenait ce qu’il n’avait que senti d’abord. Bientôt il le raisonnerait.

Cette faculté d’assimilation jointe à une inébranlable volonté de changer ses manières et son genre d’existence portaient déjà leur fruit. Il s’en étonnait parce que sa résolution très ferme avait été prise sans qu’il en eût nettement conscience.

Il convient d’ajouter que cette tranquillité d’esprit, qui ressemblait presque à de l’indifférence et qui pouvait à bon droit l’étonner en une circonstance aussi critique, avait une autre cause insoupçonnée de lui. Depuis l’instant où Bertille lui était apparue sur son perron, jusqu’au moment où il l’avait quittée chez le duc d’Andilly, il vivait transporté au-delà de la réalité.

L’amour de Bertille lui était apparu comme une insaisissable chimère, comme un bonheur irréalisable, auquel il n’atteindrait jamais. Et pourtant, la jeune fille avait fait mieux que d’avouer son amour: elle l’avait hautement proclamé. D’elle-même, spontanément, volontairement, elle s’était fiancée à lui.

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[13] Oh! lâche!… Je te mangerai le foie!… Je te mangerai les tripes!… Descends ici, lâche!… (Note de M. Zévaco.)