Et avec une lueur malicieuse dans l’œiclass="underline"
– Pourvu que je réussisse à l’effrayer suffisamment, et tout ira bien.
Et les heures s’écoulèrent ainsi, lentes, longues, monotones, énervantes. Concini ne paraissait toujours pas. Et maintenant, le calme de Jehan faisait place à l’impatience, et la colère commençait à se déchaîner en lui. Et la faim et la soif se faisaient plus cruellement sentir.
Comme il commençait à se dire, non sans angoisse, que Concini ne viendrait pas, il perçut au plafond comme un léger crissement. Il eut un coup d’œil vers la cassette. Elle était bien cachée sous le manteau, posé dans un angle du cachot. Une flamme joyeuse aux yeux, il regarda le plafond.
Un mince filet de lumière tombait par un petit trou masqué par un grillage. Et, penché sur ce grillage, il devina, plutôt qu’il ne le vit, Concini. Et il rugit dans sa pensée:
– Il est venu!… Je suis sauvé!…
Il se raidit, son visage se fit impassible, et les yeux fixés sur le trou grillagé, d’une voix railleuse:
– Hé! Concini, que fais-tu là-haut? Pourquoi n’entres-tu pas ici? (Il se mit à rire.) Ah! oui, j’ai mon épée! Cela t’inspire crainte et respect. Tu es prudent, Concini, on le sait du reste. Tu n’es brave que lorsque tu t’attaques à une femme faible et sans défense. Encore faut-il que tu sois rassuré par la présence de nombreux serviteurs et que tu sentes l’appui de quelques braves à ta solde.
Concini se taisait. Peut-être n’avait-il pas entendu. Il cherchait comment il poserait cette question très simple: «Où as-tu conduit la jeune fille?»
Jehan reprit, et sa voix se fit plus mordante, son expression plus dédaigneuse:
– Que ne m’as-tu informé de ton désir de me visiter? Je t’aurais donné ma parole de ne pas me servir de cette épée, qui t’inspire une si salutaire frayeur. Est-ce qu’il est besoin d’une épée, avec un baladin de ta sorte? Le poing et la botte suffisent.
Cette fois, Concini entendit. À cette allusion à la correction que Jehan lui avait infligée, il écuma:
– Chien enragé!… Misérable pourceau! Je veux…
– Eh là! Concini, interrompit Jehan dans un éclat de rire sarcastique, ne donne donc pas tes noms aux autres!… La peur te trouble la raison. Çà, qu’es-tu venu faire ici?… As-tu espéré me trouver pâle et tremblant? Es-tu venu te repaître de ton œuvre?… Parle! N’aie pas peur… tu sais bien que je ne peux pas t’atteindre là où tu es.
Ces paroles ramenèrent Concini à l’objet de sa visite. Il refoula la rage qui l’étranglait et raffermissant sa voix:
– Écoute, dit-il, tu vas crever ici… de faim et de soif.
De sa voix railleuse, en frappant du poing sur le pommeau de son épée, Jehan dit:
– Si je veux.
Concini eut un sourire livide:
– Je te comprends. Mais, moi, je lance une petite boule à tes pieds. Elle éclate sans bruit. Ce n’est rien… Mais tu tombes profondément endormi. Alors, on te désarme… Et tu es obligé de mourir de la mort que je t’ai choisie.
Il prit un temps et, en se délectant, il reprit d’une voix doucereuse:
– C’est une mort horrible que la mort par la faim et la soif!… C’est un supplice effroyable. Et quelle agonie!… Une agonie lente, interminable, atroce, qui dure des jours et des jours… quelquefois des semaines. Ainsi, toi qui es jeune et vigoureux, Dieu merci! tu peux en avoir pour vingt jours, un mois, davantage peut-être!… Pense un peu à ce que tu souffriras. On devient fou enragé… on prétend qu’il y en a qui se sont dévoré eux-mêmes une partie des bras!… C’est épouvantable!… Voilà ce qui t’attend, Jehan le Brave. Mais je suis bon garçon, sois tranquille, je ne t’abandonnerai pas… Je viendrai te voir, de temps en temps… me rendre compte, constater à quel degré tu en es… Qu’en dis-tu?… Crois-tu que ton soufflet et ton coup de pied seront bien payés?…
Il s’était animé. Il écumait, il grinçait. Jehan, qui ne le voyait que confusément, eut l’impression qu’il devait être hideux en ce moment. Mais il avait son idée de derrière la tête, comme Concini avait la sienne, et tant qu’il ne l’aurait pas mise à exécution, il n’y avait pas lieu de désespérer. Et il se raidit.
Concini, voyant qu’il se taisait, crut l’avoir terrifié. Il se dit que le moment était venu de risquer la question qui lui tenait tant à cœur et il se hâta de reprendre, d’une voix que l’espoir rendait haletante:
– Eh bien, écoute, Jehan. Si tu veux, tu sors d’ici libre. Si tu veux, je descends moi-même t’ouvrir cette porte et je te conduis dehors. Et je te fais riche… Je te donne cinquante mille livres!… La liberté et la fortune, voilà ce que je t’offre… si tu consens à répondre à la question que je veux te poser.
– Oui, je t’ouvre la porte, oui, je te conduis dehors, oui, je te donne de l’or. Et quand tu auras répondu… un bon coup de dague entre les deux épaules… par-dessus le marché et pour te faire bonne mesure.
La proposition cependant était si imprévue qu’elle stupéfia Jehan. Il songea:
– Que peut-il avoir à me demander de si important pour qu’il renonce à sa vengeance?
Et tout haut, de son air railleur:
– Quand j’aurai répondu à ta question, tu oublieras bien un peu de venir m’ouvrir cette porte, hein?
Concini ne songea pas à se froisser du doute injurieux que contenait cette question. L’espoir pénétra dans son esprit, et vivement, avec plus d’assurance:
– Non! dit-il. Tu ne répondras que lorsque tu seras libre et que je t’aurai versé la somme convenue.
Jehan ne s’étonna pas de la confiance que lui témoignait le favori. Il la trouva toute naturelle, de même que Concini avait paru trouver naturel qu’il se défiât de lui.
– Bon, dit-il. (Et cette fois il ne raillait pas.) Qui te dit qu’une fois libre, je n’empocherai pas ton or et te tirerai ma révérence sans répondre à cette fameuse question?
– Tu me donneras ta parole avant de sortir. J’ai confiance en toi, moi.
Notez bien, lecteur, que Concini ne mentait pas. Il avait réellement pleine confiance en la parole de l’homme qu’il haïssait. Notez aussi que Jehan, menacé d’une mort hideuse, eut pu promettre et ne pas tenir compte ensuite d’une promesse extorquée par la menace. Nous croyons ne pas trop nous avancer en disant que pas un de vous, lecteurs, n’aurait le triste courage de le lui reprocher. Eh bien, ce jeune homme, qui jusqu’à ce jour avait vécu de rapines, se fût cru déshonoré en manquant à sa parole. Cette idée ne l’effleura même pas.
Très intrigué, il se contenta de demander avec une vague méfiance:
– Voyons la question, d’abord.
Concini tressaillit de joie, et dans son esprit cria:
– Il parlera!…
En effet, comment admettre qu’un homme serait assez fou pour se condamner lui-même à une mort horrible, alors que d’un mot il pouvait acheter la vie, la liberté et la fortune?