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Lentement il dégaina et tomba en garde. Les fers s’engagèrent.

Dès les premières passes, Henri reconnut l’incontestable supériorité de son adversaire. Il sentit le frisson de la mort le frôler à la nuque, et dans son esprit éperdu il clama:

«Oh! on m’a dépêché un redoutable coupe-jarret!… C’est un assassinat prémédité… Je suis perdu!»

Il eut autour de lui ce regard angoissé du noyé qui cherche à quoi il pourra se raccrocher et il aperçut alors le cavalier qui s’était insensiblement rapproché.

– Holà! monsieur, cria le roi, êtes-vous complice?

Ceci pouvait sous-entendre: si vous n’êtes pas complice, ne me laissez pas égorger.

C’est ce que traduisit sans doute l’inconnu, car il s’approcha vivement et juste à point pour détourner le bras de Jehan, au moment où il se fendait à fond dans un coup droit foudroyant qui eût infailliblement tué le roi.

– Malédiction! gronda furieusement le jeune homme, tu vas payer!…

Et il se rua l’épée haute sur le malencontreux inconnu.

À ce moment, la porte du logis si vaillamment défendu s’ouvrit d’elle-même et sur le seuil apparut la demoiselle Bertille.

Et le bras levé de Jehan retomba mollement. Le geste de mort s’acheva par un geste d’imploration à l’adresse de la pure enfant et cette physionomie l’instant d’avant si terrible prit une expression de douceur extraordinaire, ces yeux noirs si étincelants se voilèrent, semblèrent demander grâce. De quoi?… Peut-être de l’avoir défendue sans son assentiment.

Le roi passa la main sur son front où perlait la sueur et murmura:

– Ouf!… J’ai vu la mort!…

Quant à l’inconnu, il regardait tour à tour la jeune fille et le jeune homme et un mince sourire errait sur ses lèvres narquoises pendant qu’il songeait:

– Voilà donc le joli tendron pour qui ce maître fou a osé tenir tête au plus puissant monarque de la terre, l’obliger, lui pauvre hère, à mettre flamberge au vent, le réduire à implorer l’assistance d’un passant!… Morbleu! il me plaît, ce jeune lion! Et elle!… Ma foi, elle est assez belle pour justifier aussi insigne folie!… Mais, décidément, c’est une belle chose que l’amour!

En son déshabillé de laine blanche, le léger manteau d’or fin et duveteux de son opulente chevelure retombant en plis harmonieusement ondulés sur la frange de sa robe, adorable dans sa grâce virginale, Bertille s’avança lentement jusqu’au bord du perron doucement éclairé par les sept cires du flambeau d’argent que, sur le seuil, dame Colline Colle élevait au bout de son bras tremblant d’émotion.

Pendant le temps très court qu’elle mit à franchir les quelques pas qui la séparaient du bord du perron, la jeune fille tint constamment son regard lumineux, brillant d’une naïve admiration, fixé sur les yeux de Jehan. De ces trois hommes immobiles qu’elle dominait du haut des marches, il semblait qu’elle ne vît que lui. Et il faut croire que ce regard si candide, si pur, parlait un langage muet d’une éloquence singulièrement expressive, car le jeune homme qui n’avait pas tremblé en menaçant le roi, se sentit frissonner de la nuque aux talons, il sentit le sang affluer à son cœur qu’il comprima de sa main crispée, et il se courba dans une attitude de vénération qui était presque un agenouillement.

Il faut croire que le langage de ces yeux était singulièrement clair, car le roi pâlit lui aussi, et lui qui, peut-être, avait oublié son audacieux agresseur, il ramena sur lui un œil froid qui était une condamnation.

Quant à l’inconnu dont le geste opportun venait de sauver la vie au roi, il contemplait le couple si jeune, si gracieux, si idéalement assorti, dont toutes les attitudes trahissaient l’amour le plus chaste, le plus pur, avec une visible sympathie, et ses yeux se reportant sur le visage convulsé par la jalousie de Henri, une lueur de pitié brilla dans son œil railleur et il murmura:

– Pauvres enfants!…

Quand elle eut suffisamment remercié le jeune homme, car toute son attitude était à la fois un cantique d’amour et d’actions de grâces, Bertille se tourna vers le roi, s’inclina dans une révérence gracieuse que plus d’une grande dame eût admirée, et d’une voix harmonieuse, admirablement timbrée, douce comme un chant d’oiseau, elle dit, avec un ton de dignité déconcertant chez une aussi jeune et aussi ignorante enfant:

– Daigne Votre Majesté honorer de sa présence l’humble logis de noble demoiselle Bertille de Saugis.

La foudre tombant à grand fracas n’eût pas produit sur les deux principaux acteurs de cette scène l’effet que produisirent ces paroles.

D’un bond, le roi franchit les trois marches et fut sur la jeune fille qu’il dévorait d’un regard ardent. Il était livide et tout secoué d’un frisson qui n’échappa pas à l’œil perçant de l’inconnu qui contemplait cette scène d’un air intéressé.

Henri bégaya:

– Vous avez dit Saugis?… Saugis?…

– C’est mon nom, sire.

Henri passa la main sur son front ruisselant.

– J’ai connu, dit-il lentement, péniblement, dans le pays chartrain, une dame de Saugis… Blanche de Saugis.

– C’était ma mère.

«Miséricorde! cria en lui-même Henri, bouleversé, c’est ma fille!… Et j’ai failli!…»

Instinctivement ses yeux se portèrent sur Jehan le Brave qui paraissait pétrifié et il ajouta:

«Dieu soit loué qui l’a placé sur ma route pour m’épargner le remords de cet épouvantable crime!»

Voyant que le roi se taisait, Bertille, ignorante sans doute des règles de l’étiquette, demanda:

– Votre Majesté ne le savait-elle pas en venant ici?

Il y avait une candeur si manifeste dans le ton dont fut posée cette question que le roi, rougissant malgré lui, se hâta de dire:

– Si fait, jarnidieu!… Mais je tenais à m’assurer… je voulais vous entendre confirmer…

Gravement, avec un accent touchant de mélancolie, la jeune fille dit:

– Il y a bien longtemps que je n’espérais plus l’honneur insigne que le roi veut bien me faire ce soir… N’importe, Votre Majesté est la bienvenue chez moi. Entrez, Sire.

Elle avait l’air d’une souveraine accordant une faveur à un de ses sujets, et le roi, lui, paraissait singulièrement gêné. Il fit un mouvement pour pénétrer dans la maison. Au moment d’entrer, il se rappela tout à coup cet inconnu qui venait de lui sauver la vie, et il se retourna dans l’intention de lui adresser quelques paroles de remerciement. Il n’en eut pas le temps. Un incident imprévu éclata brusquement comme un nouveau coup de tonnerre.

Lorsque Bertille parut sur le perron, nous avons vu que Jehan était tombé en extase. Cette extase se changea en stupeur douloureuse lorsqu’il entendit la jeune fille se nommer en invitant le roi à pénétrer chez elle. Peu à peu la stupeur tomba et fit place à la colère, laquelle s’exaspéra à son tour pour s’élever jusqu’à la fureur. La fureur froide, aveugle, qui ne raisonne pas, qui se hausse du premier coup aux pires actes de folie.

Un moment l’inconnu qui le surveillait du coin de l’œil put croire qu’il allait escalader le perron, sauter sur le roi, l’étrangler et, qui sait? poignarder après la jeune fille.

Mais il changea d’idée sans doute. Ou plutôt il est probable qu’il ne raisonnait plus et agissait sous l’empire d’un accès de folie. D’un geste rageur, il rengaina violemment son épée qu’il avait toujours à la main, comme s’il eût voulu s’interdire à soi-même tout acte de violence, et croisant ses bras sur sa large poitrine, livide, les yeux exorbités, il éclata soudain d’un rire strident, terrible et en même temps il tonna: