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Concini avait écouté attentivement et, comme à elle, la nécessité de ne pas contrarier le Destin lui apparut impérieuse. Ce fut donc sur un ton très convaincu et avec énergie qu’il dit:

– Tu as raison, il est temps d’en finir. Dès demain, j’entreprendrai la reine. Toi, de ton côté, ne laisse passer aucune occasion de l’exciter.

– Sois tranquille, dit-elle avec un mince sourire. Et elle ajouta:

– Ce n’est pas tout. Une autre affaire très importante.

L’incompréhensible indifférence de la Galigaï augmentait l’inquiétude de Concini qui tremblait sous son masque d’impassibilité. Certainement, elle dissimulait une arrière-pensée, elle méditait un coup.

Quoi?… Il ne savait pas. Mais il sentait que d’un instant à l’autre, elle frapperait et que le coup qu’elle porterait serait terrible, mortel peut-être.

Aussi la suivait-il dans ses tours et détours avec la même prudente attention du duelliste qui ne veut pas perdre une seconde le contact de la lame de son adversaire, sachant que cette seconde de faiblesse ou d’inattention peut lui être fatale.

Léonora, elle, soit qu’elle n’eût aucune arrière-pensée, soit qu’elle suivît un plan nettement tracé, poursuivit de son air paisible:

– J’ai reçu, ce matin, la visite de M. de Luçon.

– Pourquoi ne me l’as-tu pas dit à dîner? s’étonna Concini.

– C’est que tu paraissais pressé. Tu avais affaire en ville, avais-tu dit.

Il n’y avait aucune ironie dans ses paroles. Et elle le regardait toujours de ses grands yeux tendres, passionnément dévoués. Et elle souriait doucement.

– Que voulait-il, ce petit intrigant? fit-il d’un air dédaigneux.

– Il venait demander la place d’aumônier de la reine.

– Pas plus! s’esclaffa Concini. J’espère que tu l’as engagé à attendre quelques années… de longues années?

Et sérieusement:

– Je n’aime pas beaucoup ce jeune prêtre. Il a des allures qui m’inquiètent.

– Il nous a rendu service, ce matin, et je lui ai promis de faire signer sa nomination dès demain, dit tranquillement Léonora.

Concini la regarda d’un air étonné et:

– Diavolo! Il faut donc que ce service soit bien important.

– Il a acheté sa nomination, tout simplement.

– Tu m’en diras tant, sourit Concini. Et cynique, il ajouta:

– Combien?

– Dix millions, laissa tomber négligemment Léonora. Concini bondit, effaré:

– Dix millions!… Je le savais riche… mais tout de même, pas à ce point. Dix millions!… C’est fabuleux!…

– Rassure-toi, Concino, expliqua Léonora, ces dix millions ne sortent pas de sa poche.

– Je me disais aussi!…

– L’évêque nous a apporté le fameux trésor de la princesse Fausta dont tu as entendu parler.

– Il existe donc réellement, ce fameux trésor? haleta Concini, dont les yeux brillaient de convoitise.

– Tout ce qu’il y a de plus réellement. Et voici un papier que m’a donné Richelieu qui indique exactement où on pourra le trouver.

Et elle tendit le petit feuillet à Concini qui le dévora des yeux. Quand elle vit qu’il avait terminé la lecture, elle demanda:

– Crois-tu que Richelieu se soit montré trop exigeant en demandant le poste d’aumônier de la reine en échange de ces précieuses indications?

– Non, cornes du diable! s’écria joyeusement Concini. Je trouve même qu’il s’est montré très modéré. Aussi, dès demain, je demanderai sa nomination… Après tout, Richelieu n’est peut-être pas aussi mauvais diable que je me le figure.

– Il va sans dire, ajouta Léonora avec un sourire qui en disait long, que ces renseignements et ces millions, Richelieu ne les donne pas à nous, mais à la reine.

Concini répondit par un sourire pareil et un geste qui signifiait clairement que la reine ou eux, c’était tout comme.

La joie que lui causait l’annonce inattendue de cette fortune colossale lui faisait oublier momentanément ses inquiétudes au sujet de Bertille et que Léonora n’avait pas dit son dernier mot. Ébloui, il répéta machinalement, comme s’il avait peine à y croire:

– Dix millions!…

Léonora eut un sourire indéfinissable et se penchant sur lui, l’enveloppant des effluves de sa pensée:

– Je te comprends, Concino, tu te dis qu’avec une fortune pareille, même si le roi ne disparaît pas, tu peux réaliser tes plus folles ambitions. L’or est le plus puissant des leviers quand il est placé dans des mains qui savent le distribuer avec à-propos.

– Eh cara mia! avec une somme pareille, j’achète… le roi lui-même, si je veux!

Léonora se pencha davantage et le brûlant de la flamme de son regard, d’une voix basse, sourde:

– Vous avez raison, dit-elle.

Jusque-là, elle l’avait tutoyé. Maintenant, elle lui disait vous. Il n’y avait rien d’extraordinaire à cela. Vingt fois par jour, il leur arrivait de quitter le ton familier pour le ton cérémonieux et ils n’y faisaient pas attention ni l’un ni l’autre.

Pourquoi ce brusque changement rendit-il Concini à ses inquiétudes? Il n’aurait su le dire, mais il eut l’intuition foudroyante que le moment approchait où elle frapperait et que tout ce qu’elle avait dit jusqu’à ce moment n’était que pour amener ce qu’elle allait dire maintenant.

Elle continuait imperturbablement, d’une voix où grondait comme une sourde menace:

– Croyez-vous donc que ces millions qu’on nous donne, nous n’allons avoir que la peine de les prendre et tout sera dit?… S’il en est ainsi, vous vous trompez singulièrement. Ces millions nous seront âprement disputés. Il faudra les conquérir de haute lutte… Et la lutte sera dure, acharnée, mortelle.

Concini se redressa, une flamme sous le sourciclass="underline"

– Tant mieux! Bataille!… Je ne demande que cela, moi!… Quoique, à vrai dire, je ne voie pas trop…

– Concini, dit froidement Léonora, pour retrouver le trésor, il va falloir faire des fouilles importantes. Ces travaux ne pourront s’effectuer sans éveiller l’attention de tous ceux qui savent que le trésor est à Montmartre… Et ils sont nombreux.

– Que faire à cela?

– Rien. Je le sais. Il n’en est pas moins vrai que nous aurons, dès ce moment, à lutter contre le roi.

– Corpo di bacco! grommela Concini rembruni.

– Le roi n’est rien! dit Léonora d’une voix tranchante. Nous aurons, et ceci est déjà plus grave, à lutter contre une nuée de prêtres qui convoitent ce trésor depuis qu’ils ont appris son existence, c’est-à-dire depuis plus de vingt ans. Et cela n’est rien!

– Diavolo, diavolo! murmura Concini de plus en plus rembruni.

– Nous aurons contre nous Jehan le Brave. Ne souriez pas dédaigneusement, Concino… Ce jeune homme sera plus redoutable pour nous que le roi et les prêtres réunis. Vous le comprendrez quand je vous aurais expliqué pourquoi. Jehan le Brave, comme le roi, comme les prêtres, ce n’est rien. Cependant vous devez comprendre que ceci est un motif de plus pour qu’il disparaisse. Vous devez comprendre enfin pourquoi, moi qui n’ai pas de haine contre lui, je l’ai condamné.