– Et moi, grinça Concini, en plus des raisons que vous me donnez, j’ai des raisons à moi, que je garde pour moi, qui font que ma haine ne désarmera jamais!… Aussi je vous réponds que ce truand ne périra que de ma main… et dans quels tourments! Tous les tourments d’enfer ne sont rien en comparaison. Et quant à ces dangers que vous me signalez, je ne pense pas que vous ayez dans l’idée de m’amener à renoncer à ces millions?
– Pourquoi pas? dit froidement Léonora en le regardant en face. Si l’entreprise vous paraît au-dessus de vos forces…
Concini eut un éclat de rire:
– Oh! chère amie, il ne fallait pas me parler de ce trésor auquel je ne pensais pas, moi.
Et avec une indomptable énergie, il ajouta:
– Ce trésor nous a été donné par Richelieu; je surmonterai ou supprimerai les obstacles, quels qu’ils soient, mais je vous jure que nul autre que moi ne le possédera!
Léonora le considéra avec une indéfinissable satisfaction. Et elle approuvait doucement de la tête. Elle reprit:
– Je pensais bien que le danger n’était pas fait pour vous faire reculer. Mais si nous voulons mener à bien cette affaire, il est indispensable de considérer en face les obstacles que nous aurons à surmonter. Je continue. Nous aurons contre nous un homme qui, à lui seul, est plus à redouter encore que tous ceux que je viens de vous nommer. Parce que cet homme, en plus de la force et du génie d’intrigue qui lui ont permis, dans sa longue existence, de surmonter toutes les embûches et finalement de terrasser des forces formidables qui eussent pulvérisé tout autre que lui, cet homme, dis-je, aura pour lui la force du droit.
– Qui est-ce? gronda Concini, le poing crispé sur le manche de sa dague, l’œil sanglant, le mufle menaçant.
– Je vous dirai son nom, Concino. Pour l’instant, sachez que cet homme est le propre père de celui à qui appartient ces millions que nous convoitons. Et qu’il défendra furieusement le bien de son fils.
– J’ai entendu dire, fit Concini à voix basse, que la princesse Fausta a donné ses millions à son fils?
Léonora fit signe que oui de la tête.
– Ce fils de Fausta n’est donc pas mort, comme on le croyait? Même signe de la tête de Léonora. Négatif cette fois.
– Qui est-ce?
Léonora pointa l’index vers le parquet et murmura un nom que Concini devina plus qu’il ne l’entendit.
– Oh! fit-il avec stupeur. Je comprends maintenant!… Et dans une explosion furieuse:
– Eh bien, le fils de Fausta est mort!… et tout ce qui se dressera entre cette fortune et moi aura le même sort.
Léonora le considéra avec cette même expression d’indéfinissable satisfaction qu’elle avait eue déjà. Concini reprit avec une froideur menaçante:
– Sont-ce là tous les dangers que nous devons écarter?
– Non, dit nettement Léonora.
Et avec une gravité qui impressionna fortement Concini, elle ajouta:
– J’ai gardé pour la fin le dernier de tous, le plus terrible, le plus menaçant, celui auprès de qui tous les autres ne sont rien.
– Je vous écoute.
Léonora se pencha davantage sur lui et d’une voix basse, grondante:
– Il est une personne qui peut, si elle veut, réduire à néant tout ce que nous pourrons tenter dans cette affaire. C’est la personne chez qui a été pris le papier que vous venez de lire.
– Comment cela?
– Cette personne possède d’autres pièces plus importantes encore. Cette personne peut remettre ces pièces à celui à qui elles reviennent de droit, c’est-à-dire à celui à qui appartient le trésor. Comprenez-vous?
– Je comprends, mâchonna rageusement Concini. Celui-là, muni de ces pièces, n’a qu’à se présenter ouvertement, et nulle puissance au monde ne peut l’empêcher de reprendre son bien. Mais moi, je veux ma place en haut de l’échelle. Tout en haut… au-dessus de toutes les têtes. Avec une fortune pareille on grimpe les échelons quatre à quatre. On trouve les dévouements qui vous facilitent l’ascension. Le tout est de savoir y mettre le prix. La personne dont vous parlez est condamnée… elle est morte comme celui à qui elle pourrait remettre ces fameuses pièces.
Léonora eut un sourire livide et tranquillement:
– Ils ne sont pas encore morts ni l’un ni l’autre, malheureusement, dit-elle. Vous condamnez, Concino, c’est fort bien, et je n’attendais pas moins de vous. Mais peut-être serez-vous moins résolu quand vous saurez qui vous condamnez et qui, par conséquent, vous devrez frapper.
Concini tressaillit. Il pâlit. Il comprit que cette fois, le moment était venu où elle allait livrer enfin sa secrète pensée. Il balbutia:
– Pourquoi hésiterais-je? Je connais donc cette personne? Elle me touche donc de près?
Avec un naturel parfait, mais avec une lenteur qui parut effroyable à Concini, elle expliqua:
– Je ne sais si vous la connaissez, mais je sais que la personne à supprimer est une femme… une jeune fille… presque une enfant.
En disant ces mots, elle le regardait droit dans les yeux.
Concini sentit ses cheveux se hérisser. Le froid de l’épouvante le toucha à la nuque. Il se raidit cependant. Il continua de sourire. Seulement, il se hâta de battre en retraite, c’est-à-dire que l’expression de froide résolution qu’il avait eue jusque-là fit place instantanément à une expression de répugnance admirablement jouée, et avec une moue significative, il dit du bout des dents:
– Une jeune fille!… Presque une enfant!… Oh! diable! J’avoue que…
– Tu vois bien que tu recules, maintenant, dit Léonora. Concini, qui l’écoutait passionnément, ne perçut aucune nuance de dépit ou de contrariété dans son intonation. Elle constatait un fait simplement, presque avec indifférence. Il se dit, à part lui: «Peut-être n’est-ce pas d’elle qu’il s’agit». Et tout haut, laissant percer l’angoisse qui le poignait:
– Qui est-ce? demanda-t-il d’une voix qui semblait implorer grâce.
– Une demoiselle de Saugis, fit Léonora, du même air indifférent. Concini respira et passa une main machinalement sur son front moite.
Déjà Léonora continuait:
– J’avais bien pensé que vous auriez des scrupules. Et pourtant cette jeune fille est l’obstacle le plus redoutable qui se dresse devant nous. Tant qu’elle vivra, nous serons en péril, même si nous réussissons à enlever le trésor. Car ses redoutables documents à la main, elle pourra encore s’adresser au roi, qui nous fera rendre gorge. Heureux encore s’il ne profite pas d’une aussi belle occasion pour se débarrasser de nous radicalement, c’est-à-dire en nous envoyant à l’échafaud.
Concini réfléchissait. Du moment qu’il ne s’agissait pas d’elle, il devenait inutile de jouer plus longtemps la comédie de la générosité.
Il avait repris sa physionomie dure, féroce. Il jeta un coup d’œil inquiet autour de lui. Et pourtant, il savait que personne ne pouvait l’épier. Il baissa la voix pour parler. Et pourtant, il savait que nul, en dehors de Léonora, ne pouvait l’entendre, et il gronda d’une voix rauque, qui n’avait plus rien d’humain: