– Au diable les scrupules, après tout!… Puisque cette jeune fille est gênante, tant pis pour elle, je la supprimerai.
Et un geste violent compléta sa pensée.
Léonora laissa peser sur lui un regard étrange, et avec un sourire terrible:
– Eh bien, rassurez-vous, Concino, la jeune fille n’est plus à redouter…
– Alors, s’étonna Concini, pourquoi m’avoir…
– Je craignais, interrompit Léonora avec un calme effroyable, que vous ne fussiez effrayé par la nécessité de frapper une femme.
Et avec un sourire sinistre:
– Dieu merci! je vois que vous savez admettre les plus fâcheuses extrémités.
Concini haussa les épaules et:
– Alors, tu l’as…
Et une fois encore, le geste traduisit la pensée qu’il n’osait exprimer. Plus brave que lui, elle osa et, sinistre et glaciale:
– Non, je ne l’ai pas fait tuer… À quoi bon? Elle est murée vivante dans une tombe d’où personne au monde ne pourra la tirer… Et peut-être vaudrait-il mieux qu’elle fût morte.
Concini eut un geste d’indifférence. Maintenant qu’il était persuadé qu’il ne s’agissait pas de Bertille, peu lui importait le sort de la jeune fille inconnue séquestrée à tout jamais. Maintenant, il ne demandait plus qu’une chose: c’est que Léonora s’en allât. Évidemment, elle ne soupçonnait pas Bertille, mais tant qu’elle resterait là, la scène était à redouter.
Comme si elle avait deviné son impatience, elle se leva, et doucement, tranquillement, avec un regard chargé de tendresse:
– Alors, tu m’approuves, dis?
Et brusquement, elle lui jeta les deux bras autour du cou, le serra dans une étreinte passionnée, et l’implorant du regard, elle répéta avec une étrange insistance:
– Dis-le, mon Concinetto, que tu m’approuves… quoi qu’il en puisse résulter.
Et avec une sorte d’impatience, il murmura:
– Sans doute… Tu as bien fait.
Une lueur de triomphe irradia son visage. Elle le lâcha.
– Il faut, dit-elle avec ce calme qui déconcertait Concini, il faut nous retirer maintenant. Ah! j’allais oublier: donne congé à tes gens, au moins jusqu’à demain. Il est indispensable que celui qui viendra délivrer ton prisonnier ne soit gêné par personne. De même, il n’est pas mauvais que Jehan se rende compte par ses yeux que tu l’avais bien réellement abandonné ici et qu’il y devait mourir de la mort que tu lui avais choisie.
Sans ajouter un mot, elle fit un au revoir de la tête et, lentement, elle se dirigea vers la sortie, accompagnée de Concini, qui se demandait ce que signifiait cette mansuétude extraordinaire et si elle n’allait pas, avant de sortir, lui asséner le coup fatal, impossible à parer, retardé jusque-là.
Elle franchit enfin le seuil. Il respira, enfin délivré de l’affreux cauchemar. Déjà il poussait allègrement le battant de la porte. Elle se retourna, et, très doucement:
– Il est nécessaire que tu saches exactement qui est cette jeune fille. J’ai oublié de te renseigner: elle est plus connue sous le nom de demoiselle Bertille. C’est celle-là même qui habitait rue de l’Arbre-Sec et dont le roi et toute la Cour se sont occupés un moment.
Concini demeura foudroyé, muet, livide, ivre d’horreur. Et sans le battant de la porte auquel il s’accrochait désespérément, il serait tombé à la renverse.
Léonora l’enveloppa une dernière fois d’un regard où il y avait comme un peu de pitié, un sourire livide passa sur ses lèvres et doucement, sans bruit, à petits pas, elle se glissa dans la rue sombre et déserte, se faufila dans la rue de la Bûcherie, s’évapora comme une ombre.
XXVII
De retour dans son logis de la rue Saint-Honoré, Léonora fit appeler Saêtta qui s’empressa d’accourir.
– Eh bien, fit-elle d’un air négligent, as-tu appris ce que ton fils a fait cette nuit?
– Signora, dit Saêtta avec sa familiarité accoutumée, je ne sais rien. Vous me voyez même assez inquiet. Jehan demeure introuvable. Je ne sais ce qu’il est devenu.
– Je le sais, moi.
L’ancien maître d’armes ne dit rien, mais ses yeux parlèrent éloquemment.
– Ton fils, dit paisiblement Léonora, est tombé aux mains de Concini qui veut le faire périr de faim et de soif.
– Eh! eh! ricana Saêtta, c’est un assez joli supplice, j’en conviens. Mais j’ai trouvé mieux, moi. (Et sa voix se fit rude, menaçante). Et je ne veux pas qu’on me le tue. Vous savez, signora, que je réserve précieusement Jehan pour le bourreau… J’y tiens, moi!
– Je le sais, Saêtta. Aussi, tu vois, je t’avertis. D’un ton pénétré, le bravo assura:
– Je sais, signora, que je peux compter sur votre loyauté. Je vous étais déjà acquis. Mais, maintenant, vous pouvez disposer de moi comme d’un esclave. Je suis à vous corps et âme, car je devine que, pour moi, vous trahissez votre époux.
– Oui, dit gravement Léonora, je le trahis pour toi. Tu connais Concini. Si jamais il apprend que je t’ai aidé à lui arracher sa proie, je suis morte. Il ne me fera pas grâce. Ainsi donc, qu’il ignore toujours. Que ton fils lui-même ignore – ce sera plus sûr.
– Je m’arracherai la langue plutôt que de divulguer à qui que ce soit que c’est de vous que je tiens les renseignements que vous allez me donner, je le devine, s’écria Saêtta avec un accent de sincérité qui ne souffrait pas de doute.
– Bien, Saêtta, je compte sur ta discrétion, dit Léonora sans insister davantage.
Et elle ajouta:
– Ton fils est enfermé dans un caveau de la maison de la rue des Rats. Derrière la porte de la cave, tu trouveras une clé suspendue à un clou. Cette clé ouvre la première porte à main gauche. Derrière cette porte se trouve un petit couloir sur lequel donnent d’autres portes qui ne sont fermées qu’au verrou. Tu chercheras, Saêtta, et tu trouveras facilement.
– Ah! signora, s’écria Saêtta, avec gratitude, je n’oublierai jamais le service que vous me rendez.
Et avec une exaltation soudaine:
– M’arracher une vengeance que j’attends depuis vingt ans! Autant vaudrait m’arracher le cœur tout de suite, voyons! J’y cours.
– Attends, Saêtta, commanda impérieusement Léonora. Concini s’y trouve en ce moment.
Et comme le bravo esquissait un geste d’indifférence, sur un ton de reproche, elle dit doucement:
– Tu oublies déjà que je risque ma vie pour toi?
Le Florentin se frappa le front avec colère et gronda sincèrement navré:
– C’est vrai, triple brute que je suis! Pardonnez-moi, signora, et dites-moi ce qu’il faut faire.
– Attendre patiemment que Concini soit rentré ici. Sois tranquille, mes précautions sont bien prises pour que tu puisses mener à bien ta tâche. Concini parti, tu trouveras la maison déserte. Donc, tu pourras opérer sans hâte et en toute tranquillité d’esprit. N’oublie pas – ceci est une précaution nécessaire pour ma sécurité – n’oublie pas de remettre toutes choses en état, c’est-à-dire refermer toutes les portes que tu auras ouvertes, pousser les verrous, pendre la clé à sa place. Il est nécessaire que Concini croie à la trahison d’un domestique. Comprends-tu?