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– Maintenant que nous sommes d’accord, je veux vous donner un bon conseiclass="underline" n’entreprenez rien contre Jehan le Brave et la demoiselle Bertille de Saugis. Je m’intéresse à ces deux jeunes gens, moi, ce qui revient à dire que vous me trouveriez sur votre route, monsieur Concini. Votre femme, qui me connaît bien, paraît-il, vous dira que, je ne sais comment, sans que j’y sois pour rien, par suite de je ne sais quelle inconcevable malchance, ceux qui se sont heurtés à moi s’en sont toujours assez mal trouvés.

Il est probable que Pardaillan ne comptait pas que ses paroles changeraient quoi que ce fût aux résolutions de Concini. Il l’avertissait par un excès de loyauté, sans plus. Il savait que le Florentin, s’il était homme à louvoyer et même à reculer sous le coup d’une menace immédiate, comme il venait de le faire, était assez tenace, assez vindicatif, pour ne tenir aucun compte d’une menace lointaine. Il avait assez confiance en sa force, en son astuce, pour se dire qu’ayant du temps devant lui, il saurait parer à toute fâcheuse éventualité.

Les paroles de Pardaillan n’eurent donc d’autre résultat que de le mettre sur ses gardes. Le ton sur lequel elles furent prononcées fit bien passer un petit frisson désagréable sur sa nuque, mais ce ne fut qu’un éclair. Ces paroles, si grosses de menaces pour qui connaissait bien Pardaillan, le ramenèrent en outre à des soucis qu’il avait momentanément écartés de son esprit. Elles lui rappelèrent les humiliations cuisantes que cet homme venait de lui faire subir et que la joie, la stupeur que lui avaient causées l’abandon de ce trésor convoité lui avaient fait oublier un instant.

La haine inconsciente que dès le premier instant il avait éprouvée contre Pardaillan, éclata soudain, furieuse. Et le coup d’œil mortel qu’il lui jeta eût fait pâlir tout autre que le chevalier qui le vit fort bien, mais haussa dédaigneusement les épaules. Déjà, dans l’esprit de Concini, naissait cette pensée:

– Ah! tu m’as insulté, tu m’as frappé, tu m’as humilié et tu me menaces encore!… Ah! tu es le père de Jehan le Brave, et tu l’ignores!… Corpo di Cristo! si je ne trouve pas dans ce fait la plus belle, la plus effroyable des vengeances, je veux y perdre mon nom. Et quant à Bertille?… Elle sera à moi!… Elle est dans une tombe, a dit Léonora. Soit. Je l’arracherai à la tombe… je verrai… je chercherai… et je trouverai.

Cependant, Pardaillan avait repris son air de hautaine courtoisie et il ajoutait:

– Si vous voulez bien donner vos ordres et me laisser maître du logis – ainsi que nous en avons convenu – vous m’obligerez fort.

Concini, et c’est ce qui faisait sa force, savait plier pour se redresser plus fort et plus menaçant. Il comprit que son intérêt était d’exécuter ponctuellement et loyalement le marché intervenu entre Pardaillan et lui. Il ne voulait pas que le moindre manquement de sa part pût servir de prétexte à son ennemi pour reprendre sa parole.

Il n’oubliait pas le trésor – son trésor, comme il se disait joyeusement; si riche que se prétendît cet inconnu, il lui semblait que dix millions représentaient une somme qu’on ne pouvait abandonner sans en éprouver quelque déchirement. Il en concluait naturellement qu’on chercherait à lui fausser parole. Et c’est ce qu’il voulait éviter à tout prix.

Pardaillan et Jehan étaient condamnés dans son esprit. Que lui importaient les vingt-quatre heures de trêve qu’il leur accordait? Il ne pardonnait pas. Il n’oubliait pas. La trêve écoulée, il retrouverait sa liberté et reprendrait la lutte plus acharnée que jamais, fermement résolu à supprimer ces deux obstacles.

Mais pour l’instant, il se trouvait encore au pouvoir de son ennemi. Il s’agissait de faire bonne figure. Et puisqu’il avait, sous le coup de l’éblouissement, oublié un instant sa mésaventure, le plus simple était de continuer. Ce fut donc avec un sourire contraint qu’il répondit à la demande de Pardaillan.

– Venez avec moi, monsieur.

Ils quittèrent le cabinet ensemble, et pendant que Pardaillan expliquait aux trois braves réunis qu’il s’était, comme il l’espérait, mis d’accord avec Concini, celui-ci, de son côté, donnait ses ordres à ses serviteurs et les congédiait jusqu’au lendemain.

Moins d’un quart d’heure après, Pardaillan se trouvait seul avec Carcagne, Escargasse et Gringaille, maîtres absolus de la place.

Ils se hâtèrent, comme bien on pense, d’aller tirer Jehan de son cachot. Mais le jeune homme, sous l’empire du narcotique, dormait encore. Il fallut attendre qu’il se réveillât. Ils avaient le temps d’ailleurs.

Lorsque le fils de Pardaillan ouvrit les yeux, son premier soin fut de chercher sa cassette. Il la vit avec son manteau et son épée. Il y eut une explication brève, des remerciements, si bien qu’il était un peu plus de cinq heures quand ils quittèrent la petite maison de la rue des Rats.

XXX

L’hôtellerie du Grand-Passe-Partout était située rue Saint-Denis, à l’angle de la rue de la Ferronnerie, entre les Saints-Innocents et l’église Sainte-Opportune.

Le quartier était des plus animés, l’auberge, bien achalandée, passait pour une des meilleures. Son enseigne, chef-d’œuvre de ferronnerie portait, au milieu de l’écusson, peinte en un jaune vif et rutilant, une énorme pièce d’or: c’était le Grand-Passe-Partout. Nos pères affectionnaient ces sortes de jeux de mots.

Ce fut là, dans ce petit cabinet où deux jours avant Bertille avait été conduite, ce fut là que Pardaillan conduisit son fils et ses compagnons, à l’exception d’Escargasse qui était resté dissimulé devant la maison de la rue des Rats, avec mission de surveiller l’arrivée de cet ami de Jehan que Léonora enverrait pour le délivrer.

C’était une idée de Pardaillan qui avait pensé qu’il pouvait être utile au jeune homme de connaître le nom de cet ami possesseur de la confiance de la Galigaï. Disons tout de suite que l’ombre qui s’était mise à suivre Saêtta n’était autre qu’Escargasse qui, connaissant très bien Saêtta, n’avait pas eu de peine à le reconnaître, mais qui voulait savoir où allait le bravo.

Pardaillan avait commandé à Dame Nicole, l’accorte patronne de céans, un de ces menus formidables, comme il savait les composer. Il savait que Jehan était à jeun depuis deux jours et qu’il aurait bientôt besoin de toutes ses forces.

Pendant que le dîner se préparait, Jehan avait demandé à Pardaillan, comme un service très important, de vouloir bien se charger de la cassette, précieuse à ses yeux, parce qu’elle contenait les papiers de famille de sa fiancée. Et il n’avait pas manqué de dire à qui appartenait cette cassette et comment elle se trouvait entre ses mains.

Pardaillan avait pris la cassette et, sur un ton étrange:

– Ainsi, dit-il, ces papiers appartiennent à la demoiselle de Saugis?

– Oui, monsieur.

Pardaillan demeura rêveur. Inquiet, Jehan s’informa:

– Est-ce que cela vous ennuie, monsieur, de garder ces papiers? Pardaillan tressaillit, comme s’il revenait de loin, et:

– Pas du tout, mon enfant, dit-il avec douceur. Je vais ranger précieusement le dépôt que vous me confiez et à mon retour, c’est-à-dire dans deux minutes, nous nous mettrons à table.

Rassuré sur une chose à laquelle il attachait grande importance, Jehan dit en riant d’un rire clair et sonore:

– Faites vite, monsieur, s’il vous plaît. Je meurs de faim. J’étrangle de soif… malgré les deux grands verres d’eau que j’ai bus.