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Pardaillan ne prit même pas les deux minutes qu’il avait demandées. On se mit à table et, en attendant l’omelette, on attaqua les hors-d’œuvre.

Pendant le repas, Pardaillan expliqua comment il était intervenu dans la délivrance de Jehan.

– C’est extrêmement simple, dit-il d’un air détaché. J’ai eu une explication, le fer à la main, avec le Concini. Je lui ai prouvé qu’il n’était pas de force en le désarmant. Il a voulu s’entêter – c’est incroyable comme ces Italiens sont tenaces – je crois que je lui ai quelque peu froissé les côtes en le serrant de trop près. Il a compris qu’il lui fallait filer doux. En sorte que, lorsque je lui ai demandé de quitter la place et de me laisser maître chez lui une couple d’heures, il ne s’est pas trop fait tirer l’oreille. Et voilà.

On remarquera que Pardaillan ne disait pas un mot de l’entretien qu’il avait surpris entre les deux époux Concini.

Pardaillan avait des idées à lui, qui n’étaient pas les idées de tout le monde. Il avait surpris un entretien. De ce qu’il avait entendu, il faisait son profit, et c’était d’autant plus naturel qu’il se trouvait lui-même clairement désigné et directement menacé. Mais, quant à répéter quoi que ce fût, à qui que ce fût, de ce qu’il avait entendu, il se fût cru déshonoré à ses propres yeux en le faisant.

D’autre part, il n’entrait pas dans ses habitudes de se vanter de ce qu’il avait fait. De tout ceci, il résultait que, fait par lui, le récit de l’entretien qu’il avait eu avec Concini, entretien qui avait été assez mouvementé comme on l’a vu, se trouvait réduit à sa plus simple expression.

Quant à dire que ses auditeurs le crurent sur parole et admirent que Concini avait cédé aussi facilement et aussi simplement que le prétendait Pardaillan, ceci c’est une autre affaire. Il n’y eut guère que Carcagne qui accepta de confiance les choses comme on les lui donnait. Jehan ni Gringaille ne furent dupes. Et Jehan traduisit sa pensée en disant avec un hochement de tête:

– Je crois, monsieur, que les choses n’ont pas dû se passer aussi simplement que vous voulez bien le dire. Quoi qu’il en soit, c’est encore un service que vous me rendez, et non des moindres, puisque vous me sauvez la vie. Mais je n’en suis plus à les compter maintenant et…

– Aussi ne comptez pas, interrompit rondement Pardaillan, et goûtez un peu de ce flan mordoré. Dame Nicole qui les fabrique de ses blanches mains les réussit assez bien.

Pourtant, sans en avoir l’air, Pardaillan activait le dîner.

Bien qu’il n’en eût pas parlé, il n’oubliait pas, lui, la partie de la conversation de la Galigaï et Concini, ayant trait à Bertille de Saugis. La Galigaï avait été on ne peut plus affirmative. Selon elle, la jeune fille, à l’heure qu’il était, était enfermée dans une tombe et mieux eût valu qu’elle fût morte.

Or, Pardaillan sans en rien dire, s’était rendu, dans la matinée, à la maison des Taureaux. À ce moment on lui avait assuré que la jeune fille était dans sa chambre. Il ne s’était pas présenté devant elle, mais il n’avait pas de raison de suspecter les serviteurs de son ami le duc d’Andilly.

Il s’était contenté de recommander de redoubler de vigilance pendant l’absence des maîtres de la maison. Lui-même, il n’avait pas négligé d’explorer les environs de la maison, et n’ayant rien remarqué d’anormal, il s’était éloigné tranquille.

Maintenant, il avait hâte de savoir à quoi s’en tenir. Au fond, il n’avait guère d’espoir. Il avait jugé la Galigaï. Elle ne lui avait pas paru femme à se vanter à la légère. Ce qu’elle affirmait si positivement devait être vrai. S’il n’avait pas entraîné plus tôt le jeune homme rue du Four, c’est qu’il avait vu qu’il avait besoin de refaire ses forces épuisées.

Grâce aux vins généreux qui n’avaient pas été épargnés, grâce à l’engloutissement d’une innombrable quantité de victuailles, Jehan était maintenant remis. En conséquence, laissant Gringaille et Carcagne, inutiles, digérer en paix le mirifique destin qu’il leur avait offert, Pardaillan entraîna Jehan, qui, comme bien on pense, ne se fit pas prier.

En route, Pardaillan, qui avait des délicatesses de femme, prépara habilement, sans lui rien dire de précis, son jeune compagnon à la déconvenue qu’il redoutait.

À l’hôtel du duc d’Andilly, ils apprirent que Bertille était sortie dans la matinée. Et comme Pardaillan regardait d’une façon significative le majordome qui lui donnait des renseignements, le brave homme se hâta d’ajouter:

– Monseigneur et vous-même, monsieur le chevalier, vous nous aviez ordonné de veiller sur cette demoiselle. Vous ne nous aviez pas dit cependant de la garder prisonnière ici, malgré elle.

– Est-ce à dire que la jeune fille s’en est allée de son plein gré?

– Oui, monsieur le chevalier. Et si nous ne nous sommes pas inquiétés, c’est que, à l’observation très respectueuse que je me suis permis de faire, elle-même m’a répondu qu’elle avait besoin de s’absenter. Un devoir impérieux – ce sont ses propres expressions – l’y contraignait. Au surplus, son absence ne durerait que quelques heures et nous n’avions pas à nous inquiéter. N’ayant pas d’instructions à ce sujet, j’ai cru devoir m’incliner devant une volonté aussi nettement exprimée.

Laissons Pardaillan et Jehan interroger les gens du duc dont la bonne foi ne pouvait être mise en doute et expliquons ce qui s’était passé.

Ce matin-là, à peu près vers le moment où l’évêque de Luçon se rendait chez Concini, une vieille femme s’était présentée à la maison des Taureaux et avait demandé à parler à la demoiselle de Saugis.

Le majordome, à qui elle s’adressait, avait répondu qu’il ne connaissait pas la demoiselle dont on lui parlait et, un peu brusquement, il avait voulu éconduire la vieille, tenace.

La fatalité avait voulu que Bertille, de sa chambre, entendît ce nom de Saugis que la vieille criait à tue-tête comme si elle avait escompté ce qui allait se produire. Son nom de Saugis – elle le croyait, du moins – n’était connu que de cinq personnes: le roi, Jehan, Pardaillan (qu’elle ne connaissait encore que sous le nom de comte de Margency), enfin le duc et la duchesse d’Andilly.

Or, de ces cinq personnes, pas une, à l’heure actuelle, ne se trouvait à l’hôtel. Bertille pensa, forcément, que la vieille femme lui était envoyée par une de ces cinq personnes. Le roi la croyait sans doute encore à son logis de la rue de l’Arbre-Sec. Ce n’était évidemment pas lui qui envoyait. D’ailleurs, le roi eût envoyé un gentilhomme, un de ses officiers. Ce n’étaient pas non plus le duc et la duchesse, partis la veille à Andilly, et qui devaient rentrer le lendemain. Donc, ce ne pouvait être que Jehan ou le comte de Margency.

Naturellement, elle pensa de préférence que la messagère lui était envoyée par Jehan. Et aussitôt une inquiétude se leva en elle. Précisément, la vieille, dans la pièce à côté, s’écriait sur un ton revêche, mais avec une conviction impressionnante:

– Si vous ne me laissez pas approcher la noble dame, il arrivera un grand malheur dont vous serez responsable.

Et, sur un ton larmoyant, elle ajoutait:

– Mon bon monsieur, regardez-moi. Dites, que pouvez-vous redouter d’une pauvre vieille comme moi, déjà courbée sur la tombe?

Ces paroles redoublèrent l’inquiétude de Bertille. Elle n’hésita pas. Elle ouvrit la porte de sa chambre et fit entrer la vieille femme. Le majordome avait fait son devoir. Il n’était plus responsable du reste. D’ailleurs, la vieille avait dit vrai: aucune violence n’était à redouter de la part d’une femme courbée, cassée, ne se tenant debout qu’à l’aide du bâton sur lequel elle s’appuyait des deux mains. Il se retira donc discrètement, sans inquiétude. Après tout, ainsi qu’il devait le faire remarquer plus tard, on ne lui avait pas dit de traiter la jeune fille en prisonnière.