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Dans le carrosse royal où son buste demeurait engagé, Ravaillac, de ses yeux égarés, cherchait vainement celui qu’il avait voulu frapper: le roi, qui ne s’y trouvait pas.

Il n’y avait là que Pardaillan, dont la main comme un étau, s’était abattue sur le poignet de l’assassin et le maintenait rudement, Jehan le Brave, qui le regardait fixement, sans faire un mouvement, et enfin Escargasse qui, avec son accent provençal, venait de lancer ce: «Ventre-saint-gris!», destiné à faire croire à la présence du roi.

– Monsieur Jehan le Brave! hoqueta Ravaillac. Je suis maudit!

Il demeurait là, pétrifié, hagard, regardant Jehan avec des yeux de fou. Pardaillan le lâcha, sûr qu’il ne chercherait pas à se sauver. Et, en effet, il ne bougea pas.

À ce moment, les deux cavaliers que Saêtta avait pris pour Jehan et son père, s’arrêtèrent près du carrosse. Gringaille et Carcagne, affublés des manteaux et des chapeaux de Pardaillan et de Jehan, mirent pied à terre.

– Chef, informa Gringaille, les archers nous suivent! Ils seront ici avant un quart d’heure!

Jehan répondit par un signe de tête. Il ouvrit la portière et ils descendirent tous les trois.

Ravaillac recula devant eux, mais ne chercha pas à fuir. Il vivait une minute d’affolement terrible. Avec un morne désespoir, il répéta:

– C’est la deuxième fois que je lève le couteau sur mon bienfaiteur!… La malédiction est sur moi!…

– C’est donc ma mort que tu veux? demanda Jehan. Ravaillac ouvrit des yeux de plus en plus égarés. Il ne comprenait pas. Mais il eut un geste de protestation d’une évidente sincérité. Doucement, Jehan expliqua:

– Une fois déjà tu as voulu frapper le roi… Et le grand prévôt est arrivé pour m’arrêter, moi. Aujourd’hui, tu as recommencé. Écoute… Entends-tu cette galopade enragée?… C’est le grand prévôt qui accourt encore pour me saisir et me livrer au bourreau… Parce que les gens qui te poussent, malheureux, ont décidé que c’est moi qui payerai ton forfait. En sorte que si tu recommences, si tu réussis enfin, c’est moi que tu frapperas à mort par contre-coup.

– Oh! râla Ravaillac, est-ce possible?… Mais je parlerai… Je dirai…

– Tu diras la vérité, interrompit Jehan avec rudesse. Soit. Tu seras saisi, jeté dans quelque oubliette… Et tu ne me sauveras pas pour cela.

Et plus doucement, il ajouta:

– Le seul moyen de me sauver est de renoncer à l’abominable meurtre que tu médites. Jusqu’ici tu ne savais pas. Maintenant, te voilà averti et je te demande: que vas-tu faire, Ravaillac?… Vas-tu t’obstiner?… Pour satisfaire ton homicide folie, voueras-tu à l’effroyable supplice des régicides l’homme qui t’a sauvé la vie et fut toujours bon pour toi? Parle!

Ravaillac laissa tomber sa tête sur sa poitrine en répétant machinalement:

– La malédiction est sur moi!…

Un combat poignant semblait se livrer en lui. Évidemment l’idée que son bienfaiteur pouvait payer de sa vie son crime, à lui, Ravaillac, lui était insupportable. Mais renoncer à son projet, n’était-ce pas se vouer aux flammes éternelles? Telle était la redoutable question qu’il se posait.

Et comme l’impression produite en lui par sa vision récente était encore trop fraîche pour s’être dissipée, ou simplement atténuée, il la résolut par l’affirmative. Pardaillan et Jehan, qui suivaient avec étonnement les phases de cette lutte qu’ils ne pouvaient comprendre, l’entendirent murmurer, avec quelle terreur:

– C’est la damnation!… La damnation éternelle… quoi que je fasse!… Alors?…

Enfin, il redressa la tête. Ses traits ravagés s’apaisèrent, prirent une expression de sacrifice douloureux, et tandis que deux larmes brûlantes roulaient lentement dans sa barbe broussailleuse, il dit, très doucement:

– C’est bien. Je pars à l’instant… Je retourne à Angoulême, sans regarder derrière moi!… Adieu!…

Et sans ajouter une parole, sans s’attarder plus longtemps, il partit, sans tourner la tête, comme il avait dit.

Pardaillan le rejoignit en quelques enjambées et lui glissa une bourse dans la main, en disant:

– Pour vivre en route.

Ravaillac ne parut pas remarquer ce geste généreux. Le dos courbé, serrant machinalement dans sa main crispée l’offrande de Pardaillan, il s’éloigna dans la direction de Charenton, d’un pas lent, lourd, les épaules secouées de sanglots convulsifs.

– Ouf! soupira Jehan, enfin le voilà parti!

– Fasse le ciel qu’il ne change pas d’idée en route, ajouta Pardaillan.

– Nous avons fait tout ce qu’il était humainement possible de faire… à moins de le livrer, répliqua Jehan.

Et avec un bon sourire:

– Maintenant que les affaires du roi sont réglées, j’ai bien acquis, je pense, le droit de m’occuper un peu des miennes. Que vous en semble, monsieur?

Pour toute réponse, Pardaillan se dirigea vers la porte du manoir. Cette porte s’ouvrit d’elle-même, comme il allongeait la main. Et Saêtta, qui venait d’ouvrir à l’intérieur, se montra dans l’encadrement.

– Tiens! fit Pardaillan d’un air railleur, il signor Guido Lupini!

– Saêtta! rugit Jehan. Pardieu! du moment que les assassins sont apostés pour me meurtrir, du moment que les sbires accourent pour me saisir, je me disais que tu ne pouvais manquer à la fête!

En même temps qu’ils parlaient, Pardaillan et Jehan avaient franchi le seuil de la porte, sans laisser à Saêtta, surpris, le temps de la repousser.

Les hommes de Concini se trouvaient avec lui à la tour, derrière le corps de logis. Ils ne pouvaient voir ce qui se passait à la porte. Saêtta le savait bien. Il n’aurait eu qu’à appeler pour qu’on accourût à son secours. Mais Saêtta était brave. Il connaissait trop bien Jehan, qu’il avait élevé, et la réputation de chevaleresque loyauté de Pardaillan lui était bien connue aussi.

Saêtta se trouvait en présence de cinq hommes. Mais il savait que ces cinq hommes ne le chargeraient pas ensemble. Par le fait son épée ne rencontrerait qu’une épée. Or, Saêtta, qui avait dénoncé plusieurs fois Jehan, Saêtta, qui venait d’avertir le grand prévôt, lequel accourait à bride abattue, Saêtta se fût cru déshonoré en appelant à l’aide alors qu’il n’avait qu’un adversaire à la fois devant lui.

Saêtta n’appela pas. Il recula de deux pas et dégaina en se disant:

– Que je tienne seulement deux minutes et le grand prévôt sera là. Alors, si le roi est mort – ce qui ne me paraît pas prouvé, car tout est bien calme dans ce carrosse – Jehan est pris. Sinon je donne le temps à Concini d’enlever la petite, et, par elle, je tiens mon Jehan!

Tout ceci, bien entendu, passa dans son esprit avec l’instantanéité d’un éclair.

Quant à Jehan, il est probable qu’il n’avait pas l’intention de croiser le fer avec Saêtta. Mais celui-ci avait dégainé et était tombé en garde avec autant d’aisance que s’il avait été sur les planches de la salle d’armes. Il n’en fallut pas plus. Avant d’avoir réfléchi, les deux fers se trouvèrent engagés jusqu’à la garde.

Contrairement aux habitudes de l’époque, la lutte entre les deux hommes, qui connaissaient mutuellement leur jeu à fond, fut silencieuse. Sous son apparence froide et résolue, Saêtta ne laissait pas que d’être inquiet. Jehan lui avait dit avoir reçu quelques leçons de son père. Jusqu’à ce jour, il avait été certain de sa supériorité. Maintenant, il doutait. Mais comme il ne s’agissait pas pour lui de tuer Jehan, mais de gagner du temps, il espérait quand même réussir.