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Il va sans dire que Colline Colle n’aspirait qu’à les jeter dehors au plus tôt. Elle était dans une rage froide terrible et ne se contraignait que par un puissant effort de volonté. Aussi, les voyant gais et animés, elle risqua la question qui lui brûlait les lèvres:

– Vous disiez, monsieur Carcagne, que vous étiez au service d’un puissant prince. Comment s’appelle-t-il donc?

Et, palpitante, elle attendit la réponse. Carcagne ouvrait déjà la bouche. Il sentit qu’on lui écrasait le pied. Il comprit et se tut.

– C’est le prince Florentini, dit vivement Gringaille.

– Le propre cousin de la reine Marie de Médicis, renchérit Escargasse.

Une lueur s’alluma dans l’œil de la mégère. Un large sourire fendit sa bouche jusqu’aux oreilles. Son nez se tortilla frénétiquement. Enfin! elle avait le nom du ravisseur. Ce nom, elle le vendrait très cher au confident du roi. Au roi lui-même peut-être. Qui sait s’il ne reviendrait pas? Maintenant elle ne regrettait plus que les sacripants lui eussent dévoré ses provisions de quinze jours.

– Et vous dites qu’il s’est absenté ces jours-ci? fit-elle d’un air indifférent.

– C’est-à-dire qu’il est retourné à Florence, son pays, et qu’il ne reviendra plus.

Cette révélation fut comme un coup de trique sur le crâne de la matrone.

– Mais, balbutia-t-elle, et la jeune fille, mon ancienne locataire, qu’en a-t-il fait?

Et elle attendit la réponse, haletante d’angoisse. Par le ravisseur elle eût pu faire retrouver la jeune fille. Mais puisque le ravisseur était retourné dans son pays, il fallait bien retrouver la jeune fille elle-même.

– Comment, vous ne savez pas?… La jeune fille est en sûreté, sous la protection du roi… Il paraît qu’elle est d’une naissance illustre… proche parente de notre sire, dit-on, expliqua Gringaille.

Pour Colline Colle, qui savait que Bertille était la propre fille du roi, ces paroles parurent très significatives. Elle fut écrasée, anéantie. Bertille, sous la protection du roi, c’était l’écroulement piteux du chantage organisé dans sa tête. Elle était ruinée, volée, pillée, bafouée… Car ces trois-là, ces brigands qui la regardaient d’un air narquois, ils en savaient plus qu’ils n’en disaient et ils se réjouissaient. Ah! ce qu’elle allait les jeter dehors.

Elle se leva brusquement, pâle de rage et de fureur, les deux poings sur les hanches, hérissée, menaçante, et gronda:

– Mais alors, si votre maître est retourné dans son pays, vous voilà sans place, vous autres?

– Dame, oui, fit mélancoliquement Escargasse. Aveu imprudent. Le Provençal le comprit, trop tard.

Colline Colle, d’un coup d’œil, s’assura qu’elle n’avait rien à craindre. Il faisait grand jour, la rue était animée, on viendrait à son aide le cas échéant. Elle bondit sur le balai, le saisit à deux mains et le brandit en glapissant:

– Ah! vous êtes sans place!… Ah! vous êtes sur le pavé, sans sou ni maille, le ventre creux, affamé… Et vous vous êtes dit que je serais votre vache laitière, et vous êtes venus vous installer ici, vous m’avez ruinée, vous m’avez dévoré toutes mes provisions, bu tout mon vin!… Hors d’ici, chiens! truands! mauvais garçons! ribauds!

Et chaque épithète était accompagnée d’un coup de balai. Les trois interdits, effarés, ne comprenant rien à ce changement subit, s’étaient redressés, paraient de leur mieux les coups qu’elle assénait, ne pensaient pas encore qu’il fallût déguerpir au plus tôt.

– Mais ma chère Brigitte! tenta de concilier Carcagne.

– Je ne suis pas votre chère Brigitte! hurla la mégère hors d’elle-même. Je suis une honnête femme, moi! Et vous m’avez ruinée, ruinée!… Hors d’ici, vous dis-je!

Et courant à la fenêtre, elle l’ouvrit toute grande et se mit à crier d’une voix perçante, capable d’ameuter toute la rue:

– Au feu! au truand! à la hart!

Ils comprirent que s’ils tardaient, tout le quartier allait leur tomber dessus et que c’en était fait d’eux. Ils prirent bravement leurs jambes à leur cou, battirent précipitamment en retraite et dégringolèrent les marches du perron, pareils à de grands oiseaux effarés. Les ailes de la peur aux talons, ils coururent d’une traite jusqu’à la porte Saint-Honoré où ils se rassurèrent enfin en constatant qu’on ne les poursuivait pas.

Le premier soin de Carcagne, quand il se vit seul dans leur taudis, fut de vérifier ce que pouvait être l’objet brillant qui l’avait fait trébucher dès ses premiers pas sur le chemin de l’honnêteté.

C’était un méchant étui en fer-blanc, sans aucune valeur. Il l’ouvrit. Il contenait une bague en fer, également sans valeur, et un papier couvert d’une écriture fine et serrée, en une langue qu’il ne connaissait pas. Il se sentit soulagé. Il prit la bague en se disant:

– Je dirai à Gringaille de la donner à Perrette. Cela lui fera peut-être plaisir.

Quant à l’étui, il le mit dans la poche intérieure d’un vieux pourpoint usé et déchiré qu’il ne portait plus depuis longtemps. Et la conscience plus tranquille, il se jeta sur sa paillasse, s’enroula dans sa couverture et ne tarda pas à s’endormir.

Ce petit étui était celui que Colline Colle avait soustrait dans la cassette de Bertille. Elle aussi elle l’avait jeté négligemment dans un tiroir et l’y avait oublié.

XXXVIII

Il y avait environ un mois que Bertille avait disparu.

On avait entouré la chapelle du Martyr d’une haute palissade et on avait commencé les fouilles. Dès les premiers coups de pioche, on avait mis à découvert les hautes marches d’un escalier. Preuve que les indications contenues dans les fameux papiers étaient exactes. Ce dont on n’était pas autrement sûr jusque-là.

Ce premier résultat acquis, on avait décidé de mener les travaux avec circonspection. À seule fin de détériorer le moins possible la crypte où, aux temps lointains de la persécution des chrétiens, le bienheureux saint Denis rassemblait son troupeau de fidèles autour du modeste autel de pierre.

Ceci pour donner satisfaction à Marie de Beauvilliers. L’abbesse n’oubliait pas que lorsque la chapelle souterraine serait dégagée, elle deviendrait un lieu de pèlerinage. Source de profits appréciables pour l’abbaye.

Le père Coton, confesseur de Sa Majesté, avait réussi à se faire nommer directeur des travaux. Le roi et la reine croyaient également pouvoir compter sur son dévouement. Nous savons, nous, qu’il n’était qu’un instrument docile aux mains d’Acquaviva.

Bien entendu, il n’avait pas été soufflé mot du trésor. Les fouilles avaient pour but officiel de dégager la chapelle souterraine du saint. Œuvre pieuse. Et c’est pourquoi le choix d’un religieux, comme directeur, avait paru tout indiqué.

Coton surveillait donc et dirigeait les travaux. En même temps, il gardait les abords de la chapelle. Ces abords n’étaient pas interdits au public, mais un vaste réseau d’espionnage avait été établi. On pouvait circuler librement sur la montagne. Quant à passer inaperçu aux environs de la chapelle, il ne fallait pas y compter. Des yeux invisibles, toujours en éveil, épiaient les moindres gestes du plus inoffensif des passants.