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Le long de ce chemin, des prés, des carrières, des plâtrières. Dans l’un de ces prés, en bordure de la petite place, une ferme. C’est là que nous avons affaire. La ferme était occupée par un ménage de paysans, serviteurs des religieuses. Il y avait deux grands prés séparés par une haie. Dans l’un de ces prés, picoraient des centaines de poules. Dans l’autre, au centre duquel se trouvait une grande mare, s’ébattaient des quantités d’oies et de canards. Ce n’était là qu’une partie de la basse-cour des dames. Une haie séparait ces volailles de la place.

Sur cette place, à quelques toises de la haie, un monument délabré, de forme rectangulaire. Quelques pas plus loin, une croix.

Voilà la mise en scène faite. Passons aux acteurs maintenant.

L’année précédente, le basse-courier des religieuses avait trouvé une dizaine d’œufs de cane sauvage. Le canard sauvage est moins gros que le canard domestique, mais sa chair est plus savoureuse, plus délicate. Le villageois donna ces œufs à couver à une poule. Il en obtint un canard et deux canes. C’était maigre comme résultat, mais cela lui faisait des reproducteurs.

Le canard sauvage se domestique assez facilement. Il n’y a qu’à lui couper les grosses plumes d’une aile. Sans quoi, un beau jour, il prend son vol et on ne le voit plus. C’est ce que fit le basse-courier.

Le canard sauvage est monogame. Mais il est d’assez bonne composition et si on est dans la nécessité de lui donner deux ou trois femelles, mon Dieu! il les accepte assez volontiers. Le nôtre avait deux femelles qui étaient aussi ses deux sœurs.

C’était un bon gros père de canard, un peu bébête, pas méchant, bien tranquille. Il avait une belle tête à reflets bleu saphir et émeraude, une toute petite cravate blanche, un superbe plastron mordoré, un magnifique habit gris perle, avec des basques bleu marine, et des pattes d’un beau jaune orange.

Il était superbe, l’animal, et il le savait. Aussi, fallait-il voir comme il se dandinait et se rengorgeait en marchant. Et de quel air grave et important il parlait de sa voix de basse profonde: «Coin coin coin! Coin coin coin!» Ce qui voulait dire assurément: «Je suis beau! Je suis beau!»

Ses deux canes étaient bien simples et bien modestes dans leur robe marron picotée de noir. Elles avaient deux petits yeux tout ronds, pétillants de malice. Elles avaient de petits airs de ne pas y toucher. Malgré cela, c’était deux méchantes, deux insupportables pécores.

Elles conduisaient leur grand dadais d’époux par le bout du… bec. C’était leur droit, direz-vous? D’accord. Mais elles abusaient vraiment. Ces deux mauvaises teignes se croyaient les reines du poulailler et entendaient mener tout le monde selon leur caprice. Là où elles se trouvaient, elles étaient chez elles et défendaient aux autres volailles de s’approcher.

Mais, ce qu’elles détestaient par-dessus tout, c’étaient les poules. Dès que l’une d’elles faisait mine de s’égarer de leur côté, les deux canes se précipitaient sur leur canard d’époux, et de leur voix de fausset, elles l’objurguaient véhémentement:

– Coin coin coin coin!… Coin coin coin coin! Ce qui, dans leur langage, voulait dire:

– Va la chasser!… Assomme-la!

Et l’autre, gros imbécile, docilement répondait:

– Coin coin! Coin coin coin! Ce qui voulait dire:

– C’est bon! On y va!

Et il allait. Badalin, badalan, ventre à terre, le cou en bataille, c’est-à-dire le bec rasant le sol, et poc! poc! poc! à coups de bec, il assommait la poule qui se laissait faire stupidement et cherchait son salut dans une fuite précipitée.

Après quoi, il revenait en se dandinant et en se rengorgeant, recevoir les félicitations des deux mauvaises bougresses.

Il n’y a pas d’animal aussi stupide que la poule. Avec ça, bavarde, curieuse… et goinfre!… à ne pas croire. Elle a cette spécialité d’aller toujours se fourrer là où elle n’a que faire.

Nous avons dit que les poules qui nous occupent étaient séparées des oies et des canards par une haie. Dans cette haie, naturellement, elles trouvèrent des trous pour passer chez leurs voisins.

Un jour, quatre poules passèrent chez les canards. Les deux canes les aperçurent. Elles sautèrent sur le canard et lui firent la petite scène que nous avons décrite. Le canard, docile comme toujours, courut sus à la volaille.

Les poules poussèrent des gloussements perçants et se bousculèrent comme des idiotes qu’elles sont. Enfin, l’une d’elles aperçut un trou dans la haie. Elle s’y engouffra. Les trois autres suivirent.

Merveille!… Elles se trouvèrent dans un lieu qu’elles ne connaissaient pas. Dans leur affolement, elles s’étaient trompées de haie et elles étaient sur la petite place.

Le monument rectangulaire dont nous avons parlé attira leur attention. Nous avons dit que la poule est curieuse. Elle est méfiante aussi. Celles-ci voulurent voir ce qu’était cette grande machine. Elles en firent le tour de loin en se rapprochant insensiblement. Quand elles furent contre la muraille, elles découvrirent des trous et elles entrèrent…

Huit jours plus tard, elles étaient vingt, trente poules qui, les unes après les autres, quelquefois deux ou trois ensemble passaient à travers les haies et pénétraient dans le monument en question.

Au bout d’un temps plus ou moins long, la poule sortait et poussait des retentissants:

– Kot kot kot kot kot! Kot kot! Ce qui, on le sait, dans le langage des poules, veut dire: je viens de pondre un bel œuf!…

XLIII

Ce jour-là était un vendredi. Il y avait huit jours environ que Jehan le Brave vivait soigneusement caché chez Perrette la Jolie. Nous verrons bientôt ce qu’il y faisait.

Ils étaient trois, hâves, défaits, maigres comme des clous. Déguenillés, dépenaillés, minables, lamentables, méconnaissables. Ces trois-là étaient Gringaille, Escargasse et Carcagne. Ceci se passait une quinzaine de jours après ce fameux repas qu’ils avaient arraché à Colline Colle.

Comment avaient-ils vécu jusque-là?… Mystère! Il serait peut-être plus juste de se demander comment ils n’étaient pas morts de faim. Ils avaient vendu leurs habits confortables de bon drap et leurs bonnes bottes presque neuves. Et ils avaient endossé bravement les vieux vêtements, les vieilles chaussures depuis longtemps hors d’usage. Carcagne avait ce vieux pourpoint déchiré dans lequel nous lui avons vu cacher l’étui dérobé à Colline Colle.

Ils n’avaient gardé que leurs bonnes rapières. Les quelques sous qu’ils avaient tirés de la vente de leur dernier habit leur avaient permis de vivre quelques jours. Maintenant c’était fini. Ils ne savaient plus à quel saint se vouer, ni s’ils verraient jamais la couleur d’un écu.

À l’heure où nous les trouvons, il y avait huit jours qu’ils avaient été chassés de leur taudis. Il y avait deux jours qu’ils n’avaient pas mangé.